La Daniella, Vol. II. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. II - Жорж Санд


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Tartaglia a imaginé de faire tomber de temps en temps des pierres pour les inquiéter; mais ce jeu est dangereux, et, quelque doute leur étant venu, l'officier a commandé de faire feu à tout hasard sur la première brèche qui s'ouvrirait aux murailles.

      J'examine ces gendarmes, et je vois qu'ils sont beaucoup plus fins que les nôtres. Es sont italiens. Ce n'est pas ici que l'idée viendrait de les chansonner comme on le faisait chez nous, il y a quelques années, sur la candeur proverbiale de leur institution. Je crois bien qu'ils ne doivent pas être aussi incorruptibles; mais je ne suis pas assez muni d'argent pour espérer de les séduire, quand même je pourrais m'aboucher avec eux, ce que la surveillance de leurs chefs rend jusqu'ici tout à fait impossible.

      Je ne m'ennuie ni ne me décourage. Sans le chagrin que j'éprouve en songeant aux anxiétés de ma Daniella, et le serrement de coeur qui me saisit au souvenir de ma trop courte félicité, je prendrais gaîment l'étrange existence qui m'est faite. Tartaglia m'amuse malgré moi, et le capucin paraît s'accoutumer sans effort à son rôle de Carcioffo. Il dort à genoux devant la madone du portique, son chapelet enlacé aux doigts, tout le temps que nous passons à travailler. La prévoyance n'est pas le fléau de son imagination, et, tant qu'il aura quelque chose à mettre sous la dent, il conservera son sourire de crétinisme béat.

      J'en étais là, vous écrivant ces choses, pendant que Tartaglia mettait mon couvert, quand une circonstance inouïe ne fit courir sur la petite terrasse du casino.

      – Mossiou! mossiou! disait Tartaglia criant à voix basse, comme on s'habitue à le faire dans notre situation: voyez, voyez! Pouvez-vous expliquer pareille chose? Est-que je rêve? Est-que vous la voyez aussi? Regardez donc le haut des grandes clarinettes du terrazzone!

      Je levai la tête et vis les mascarons grotesques de ces grands tuyaux de cheminée se détacher en noir sur un fond rougeâtre, en même temps que, de leurs vastes bouches, sortaient des tourbillons de fumée.

      – Tout est perdu, mon pauvre Tartaglia, m'écriai-je. Les carabiniers ont trouvé l'entrée de cette fameuse cuisine: ils y sont installés, ils s'y réchauffent et y ont établi leur cantine.

      – Non, non, mossiou. Voyez! ils sont aussi étonnés que nous! Ils regardent et s'interrogent; ils cherchent de tous côtés, ils croient que nous avons mis le feu au château. Le feu à quoi, dans ces caves, je vous le demande? Qu'ils sont sots! Mais les voilà aussi en peine que nous, je vous jure, et même davantage, car ils n'osent pas rester sur la terrasse.

      En effet, une panique s'était emparée de nos gardes, et leurs officiers avaient beaucoup de peine à les calmer.

      – Au fait! dis-je à Tartaglia absorbé, la chose est assez importante!

      Comment l'expliques-tu?

      – Je ne l'explique pas, mossiou! dit-il en faisant le signe de la croix. On me l'avait toujours dit, que le diable revenait ici, et que l'on y voyait le feu des cuisines briller comme du temps où les papes y donnaient des festins de Lucullus! Mais je ne le croyais pas, je ne l'aurais jamais cru, et je vous avoue qu'à cette heure je me repens de mes fautes et recommande mon âme à Dieu!

      XXXV

      Mondragone, le…

      Je continue à ne pas dater avant d'avoir écrit la série d'aventures que j'ai à vous apprendre, et que je vous raconte quand et comme je peux.

      Je continue pourtant aussi à suivre une division par chapitres, qui me sert à régulariser les moments que je vous consacre. Vous savez que je suis un homme d'ordre, et cela me revient en dépit de la vie agitée que je mène.

      Je vous ai laissé faisant peut-être vos commentaires sur cette fumée fantastique qui s'échappait des longs tuyaux du terrazzone.

      Je ne cherchais pas à expliquer ce que je voyais, mais je ne partageais pas la consternation de Tartaglia. Bien au contraire, je ne sais quel espoir vague m'était suggéré par cette circonstance inexplicable. Je partis même d'un éclat de rire, en entendant mon Scapin mêler aux patenôtres qu'il débitait pour recommander à Dieu sa pauvre âme pécheresse; l'observation suivante:

      – Mon Dieu, comme ça sent la graisse fondue!

      Puis il reprit du même ton dolent, moitié dévot, moitié ironique:

      – Ayez pitié de moi, Seigneur! Douze cierges à mon saint patron si vous me sauvez de cette diablerie et de cette damnée odeur de cuisine qui me réjouit malgré moi; car, depuis deux jours je n'ai pas mangé ma faim, et, en ce moment, je serais capable d'avaler le diable en personne!

      – Mais c'est que tu as raison, m'écriai-je frappé de la justesse de sa remarque: ça sent la cuisine!

      – Et la bonne cuisine, je vous jure, mossiou! Ça nous arrive ici à bout portant. Ils ne sentent pas ça en bas, les carabiniers! Je parie qu'ils s'imaginent sentir la poudre! Ils croient que nous avons miné la terrasse et que nous allons les faire sauter.

      – Crois-tu? Eh bien, la première chose dont il faut nous occuper, c'est de voir si nous ne pourrions pas profiter de cette panique pour nous évader. Voyons! regarde bien, toi qui as des yeux de lynx, s'ils sont assez loin pour nous permettre de descendre par la corde.

      – Non, mossiou; ils sont là, à droite et à gauche, sur les allées qui aboutissent au terrazzone, et ils nous verraient comme je vous vois, par ce beau clair de lune.

      – Eh bien, ils tireront sur nous, mais ils nous manqueront; la terrasse est si grande!

      – Beaucoup trop grande dans tous les sens pour que je sois tenté de la traverser sous leur feu! D'ailleurs, que ferons-nous quand nous aurons atteint la balustrade? Encore la corde à noeuds pour descendre dans les lauriers? Et le temps de l'attacher?.. et les balustres qui ne tiennent à rien! Et puis croyez-vous que l'allée de cyprès ne soit pas gardée?

      – Il est bien question d'allée! Une fois au bas de l'esplanade, nous avons, pour fuir et nous cacher, plus d'une lieue carrée de jardins et de parcs remplis de massifs d'arbres, de ruines et de fourrés!

      – Ah! mon Dieu, mossiou, voilà que ça sent le poisson! Oui! je vous jure que ces clarinettes de la Befana nous envoient une délicieuse odeur de poisson frais!

      – C'est vrai! mais que nous importent les mystères de cette cuisine de sorciers? Il s'agit de fuir.

      – Il est trop tard, mossiou! voilà les carabiniers qui reviennent et la fumée qui se dissipe. Allons! monseigneur Lucifer est servi, et nous sommes toujours prisonniers.

      Nous observâmes quelques instants nos gardiens. Nous vîmes les officiers arpenter bravement le terrazzone et s'efforcer d'y ramener leurs hommes; puis capituler avec l'idée que cet espace nu serait tout aussi bien gardé par des sentinelles posées à chaque extrémité.

      – Ces gens ont peur, dis-je à Tartaglia; le moindre bruit un peu ressemblant à une explosion souterraine, que nous viendrions à bout de produire dans les salles basses du château, les mettrait en fuite, car il est certain qu'ils rêvent mine, écroulement.

      – Moi, je rêve quelque chose de plus raisonnable, mossiou, reprit Tartaglia sortant de sa méditation. Écoutez-moi, et si je suis fou, ne me croyez jamais!

      – Voyons ton idée!

      – Nous ne sommes pas seuls cachés ici: en doutez-vous maintenant?

      – Pas plus que toi… Alors?

      – Alors, mossiou, les gens qui font si belle cuisine sous le terrazzone, sans s'inquiéter de montrer leur fumée, et sans remords de nous envoyer cruellement la bonne odeur de leur ripaille…

      – Tais-toi, écoute! lui dis-je en l'interrompant. A présent crois-tu que j'aie rêvé le son d'un piano?

      – Oui, mossiou, je l'entends! Je ne suis pas sourd! bon piano! belle musique! Tiens! c'est l'air de la Norma! Ah! si j'avais ma harpe, je vous ferais entendre un joli duo, mossiou.

      Nous restâmes quelques instants silencieux, écoutant


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