La Daniella, Vol. II. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. II - Жорж Санд


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un pauvre frère quêteur qui, me voyant ici, m'a demandé l'aumône.

      Je lui ai ouvert parce que…

      – Épargnez-nous les mensonges. Ce frère quêteur est là, qu'il y reste.

      – C'est impossible.

      – C'est la consigne.

      – Elle ne me concerne pas, je suppose, moi qui suis venu ici pour tendre des lacets aux lapins… Vous savez qu'il y en a beaucoup dans ces ruines…

      – Lapin vous-même; c'est assez, taisez-vous.

      – Mais… ami… songez à qui vous parlez; c'est moi!.. c'est moi qui…

      – C'est vous qui trahissez. Attention, vous autres! apprêtez armes!

      – Quoi donc? vous prétendez… Laissez-moi vous parler bas.

      Approchez!..

      – Je n'approcherai pas. Je veux bien vous dire la consigne. Personne n'entrera ici, personne n'en sortira, d'ici à quinze jours… et plus!

      – J'entends, s'écria Tartaglia effaré. Cristo! vous n'êtes pas des chrétiens! Vous voulez nous faire mourir de faim?

      – Vous avez porté des vivres ce matin; il fallait en porter davantage: tant pis pour vous!

      – Mais…

      – Mais c'est assez. Fermez votre guichet ou je commande le feu sur cette porte. Carabiniers! en joue!

      Tartaglia n'attendit pas que l'on commandât le feu, il ferma précipitamment le guichet.

      – Ça va mal! ça va bien mal, mossiou! me dit-il quand nous eûmes ramené au casino le capucin éperdu. Je n'aurais pas cru qu'on en viendrait là. Avec les gens de la police… (il y a là dedans tant d'espèces d'originaux!) nous nous en serions tirés; mais ces démons de carabiniers n'entendent à rien et ne connaissent que leur damnée consigne. Sancto Dio! que faire pour leur persuader de laisser sortir ce moine et de me permettre d'aller aux vivres demain matin?

      – Tu as pu regarder dehors: sont-ils beaucoup?

      – Environ une douzaine, campés dans le gros massif de fortification antique qui est en dehors, juste en face de la grande porte de la cour. Il y a là de grandes voûtes où ils ont établi leur poste. J'ai vu les chevaux. De là, ils surveillent à bout portant, pour ainsi dire, les deux portes.

      – Attends, lui dis-je; laissons le capucin ici se remettre, et allons faire une ronde.

      – A quoi bon, mossiou? J'ai tout exploré et vous aussi! Vous savez très-bien que, sur la face nord, tout est muré. D'ailleurs, tenez, ajouta-t-il en sortant avec précaution sur la petite terrasse du casino, voyez! ils sont là aussi. Ils allument même un feu de bivouac pour passer la nuit!

      En effet, douze autres carabiniers occupaient la grande terrasse au-dessous de celle où nous étions; nous fîmes l'exploration de tous les côtés du château, par où une descente, au moyen de la corde à noeuds, nous eût été tant soit peu possible. Tout était gardé. Nous comptâmes cinquante hommes autour de notre citadelle. C'était plus qu'il n'en fallait pour nous bloquer. La grille de l'esplanade, dont, au reste, nous n'avions pas les clefs (cela est du domaine de Felipone), et qui se trouve très-voisine des portes du parterre et de la grande cour, était gardée aussi; précaution assez inutile, puisque nous ne pouvions pas aller sur l'esplanade dite le terrazzone.

      – Ah! mossiou! s'écria Tartaglia en rentrant de nouveau dans le casino avec moi, nous sommes pris! Il est évident que l'on respectera notre asile, en prenant à la lettre la défense du cardinal de franchir les portes du château; car il n'est pas besoin de cinquante hommes pour faire sauter les gonds ou pour mettre le feu aux battants; mais on nous fera dessécher ici tout doucement, ou bien on tirera sur nous au premier mouvement que nous ferons pour sortir. N'avancez pas comme ça la tête au-dessus des balustres, mossiou! ils sont capables de vous envoyer des balles, sous prétexte que vous avez la tête estra-muros.

      Le pauvre Tartaglia était démoralisé; d'autant plus que, pendant notre ronde, le capucin, pour se remettre de son épouvante, avait avalé les restes copieux de mon souper.

      – Ogni santi! (Par tous les saints!) s'écria Tartaglia en lui arrachant le plat des mains, nous avons là un joli convive! J'ai beau être un cuisinier de génie et un homme de ressources, que ferons-nous, mossiou, de ce capucin qui mange comme six, de cet estomac d'autriche (Tartaglia voulait sans doute dire autruche), de cette sangsue qui sera capable de nous sucer vivants pendant notre sommeil? Va-t'en au diable, capucino! ajouta-t-il en italien, je ne me charge pas de toi. Tu t'arrangeras pour faire cuire à ton usage les herbes de la cour. C'est bien bon pour un homme dont l'état est de se mortifier; mais, si tu touches à nos vivres, tiens, vois-tu, je te mets à la broche, quelque osseux et peu appétissant que tu sois.

      Le pauvre capucin tomba sur ses genoux en demandant grâce; il pleurait comme un enfant.

      – Rassurez-vous, frère Cyprien, lui dis-je, et rassure-toi aussi, Tartaglia. La position n'est pas si mauvaise qu'elle vous semble. Avant tout, sachez que, le jour où nous manquerons de vivres, et où toute tentative d'évasion sera reconnue impossible, je ne vous laisserai pas souffrir inutilement une heure de plus. J'irai me livrer, en franchissant le seuil de la porte, et vous serez immédiatement délivrés.

      – Je ne le souffrirai pas, mossiou! s'écria Tartaglia avec une emphase héroïque; nous tiendrons ici jusqu'à ce qu'il nous reste un chardon à mettre sous la dent et un souffle de vie dans les mâchoires.

      – Bon, bon! merci, mon pauvre garçon; mais ceci me regarde. Du moment que votre vie serait en danger, je me croirais relevé de mon serment envers Daniella.

      – Je vous en relève! murmura le capucin avec effusion; je vous absous de tout parjure et de tout péché.

      – Voyez-vous ce poltron et cet égoïste de moine! reprit Tartaglia avec mépris. Eh! je me moque bien de sa peau, à lui! mais sachez, mossiou, qu'en vous livrant vous ne me sauveriez pas. Vous avez bien entendu que l'on m'accuse de trahir… ceux qui me croyaient leur compère pour vous persécuter et vous engager à sortir d'ici! Mon affaire, à présent, n'est donc pas meilleure que la vôtre, et j'aimerais mieux devenir aussi sec qu'une pierre de ces ruines que d'avoir maille à partir avec le saint-office. Ce n'est pas la première fois que je goûte de la prison… et je sais ce qui en est! Ne songez donc pas à une générosité inutile. Quant à ce moine, j'espère bien que, pour l'empêcher de jeûner et de maigrir, comme c'est son devoir, vous n'irez pas nous exposer…

      – Je ne t'exposerai pas; tu seras toujours libre de rester; mais je ne le laisserai pas souffrir ce pauvre homme qui est venu ici…

      – Pour manger notre soupe! Il n'avait pas d'autre souci!

      – N'importe! c'est l'oncle de ma chère Daniella, c'est le frère de la bonne Mariuccia, et, d'ailleurs, c'est un homme!

      – Non, non! s'écria Tartaglia oubliant ses habituelles simagrées de respect pour tout ce qui porte la livrée de l'Église; un capucin n'est pas un homme! Et plutôt que de vous laisser prendre pour sauver celui-là, je vous débarrasserais tout de suite de vos scrupules en le faisant sortir… n'importe par où!

      Le capucin était tellement horrifié de ces menaces, qu'il était comme pétrifié sur sa chaise. J'imposai silence à Tartaglia. Je priai le pauvre moine de se tranquilliser et de compter sur moi. Il m'écoutait sans avoir l'air de comprendre. Il était au bout de ses facultés d'émotion et de raisonnement. Et, d'ailleurs, il avait pris un tel à-compte de macaroni sur la famine à venir, qu'il n'éprouvait plus que la pesanteur de la digestion. Il s'endormait sur la table. Je le conduisis à sa paille, en lui donnant, pour s'envelopper, ma couverture de laine, sacrifice dont il ne songea pas même à me remercier.

      Je retrouvai Tartaglia livré à ses réflexions et plus tranquille que je ne l'avais laissé.

      – Voyons, mossiou, dit-il, il faut raisonner, et, quand on raisonne, on se console toujours


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