Leone Leoni. Жорж Санд

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Leone Leoni - Жорж Санд


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On m'avait accoutumée à me divertir de celui que les femmes ne nous épargnaient guère, et à le regarder comme une marque d'envie; mais notre beauté nous avait jusque-là préservées du dédain des hommes, et je pensai que Leoni était le plus insolent qui eût jamais existé. Il me fit horreur, et quand, après avoir ramené ma mère à sa place, il m'invita pour la contredanse suivante, je le refusai fièrement. Sa figure exprima un tel étonnement, que je compris à quel point il comptait sur un bon accueil. Mon orgueil triompha, et je m'assis auprès de ma mère en déclarant que j'étais fatiguée. Leoni nous quitta en s'inclinant profondément à la manière des Italiens, et en jetant sur moi un regard de curiosité où perçait toujours la moquerie de son caractère.

      Ma mère, étonnée de ma conduite, commença à craindre que je ne fusse capable d'une volonté quelconque. Elle me parla doucement, espérant qu'au bout de quelque temps je consentirais à danser et que Leoni m'inviterait de nouveau; mais je m'obstinai à rester à ma place. Au bout d'une heure, nous entendîmes à diverses reprises, dans le bourdonnement vague du bal, le nom de Leoni; quelqu'un dit en passant près de nous que Leoni perdait six cents louis. – Très-bien! dit ma tante d'un ton sec; il fera bien de chercher une belle fille à marier avec une belle dot!

      – Oh! il n'a pas besoin de cela, reprit une autre personne, il est si riche!

      – Tenez, ajouta une troisième, le voilà qui danse; voyez s'il a l'air soucieux.

      Leoni dansait en effet, et son visage n'exprimait pas la moindre inquiétude. Il se rapprocha ensuite de nous, adressa des fadeurs à ma mère avec la facilité d'un homme du grand monde, et puis essaya de me faire dire quelque chose en m'adressant des questions indirectes. Je gardai un silence obstiné, et il s'éloigna d'un air indifférent. Ma mère, désespérée, m'emmena.

      Pour la première fois elle me gronda, et je la boudai. Ma tante me donna raison et déclara que Leoni était un impertinent et un mauvais sujet. Ma mère, qui n'avait jamais été contrariée à ce point, se mit à pleurer, et j'en fis autant.

      Ce fut par ces petites agitations que l'approche de Leoni et de la funeste destinée qu'il m'apportait commença à troubler la paix profonde où j'avais toujours vécu. Je ne vous dirai pas avec les mêmes détails ce qui se passa les jours suivants. Je ne m'en souviens pas aussi bien, et le commencement de la passion inapaisable que je conçus pour lui m'apparaît toujours comme un rêve bizarre où ma raison ne peut mettre aucun ordre. Ce qu'il y a de certain, c'est que Leoni se montra piqué, surpris et atterré par ma froideur, et qu'il me traita sur-le-champ avec un respect qui satisfit mon orgueil blessé. Je le voyais tous les jours, dans les fêtes ou à la promenade, et mon éloignement pour lui s'évanouissait vite devant les soins extraordinaires et les humbles prévenances dont il m'accablait. En vain ma tante essayait de me mettre en garde contre la morgue dont elle l'accusait; je ne pouvais plus me sentir offensée par ses manières ou ses paroles; sa figure même avait perdu cette arrière-pensée de sarcasme qui m'avait choquée d'abord. Son regard prenait de jour en jour une douceur et une tendresse inconcevables. Il ne semblait occupé que de moi seule; et, sacrifiant son goût pour les cartes, il passait les nuits entières à faire danser ma mère et moi, ou à causer avec nous. Bientôt il fut invité à venir chez nous. Je redoutais un peu cette visite; ma tante me prédisait qu'il trouverait dans notre intérieur mille sujets de raillerie dont il ferait semblant de ne pas s'apercevoir, mais qui lui fourniraient à rire avec ses amis. Il vint, et, pour surcroît de malheur, mon père, qui se trouvait sur le seuil de sa boutique, le fit entrer par là dans la maison. Cette maison, qui nous appartenait, était fort belle, et ma mère l'avait fait décorer avec un goût exquis; mais mon père, qui ne se plaisait que dans les occupations de son commerce, n'avait point voulu transporter sous un autre toit l'étalage de ses perles et de ses diamants. C'était un coup d'oeil magnifique que ce rideau de pierreries étincelantes derrière les grands panneaux de glace qui le protégeaient, et mon père disait avec raison qu'il n'était pas de décoration plus splendide pour un rez-de-chaussée. Ma mère, qui n'avait eu jusque-là que des éclairs d'ambition pour se rapprocher de la noblesse, n'avait jamais été choquée de voir son nom gravé en larges lettres de strass au-dessous du balcon de sa chambre à coucher. Mais lorsque, de ce balcon, elle vit Leoni franchir le seuil de la fatale boutique, elle nous crut perdues, et me regarda avec anxiété.

      V

      Dans le peu de jours qui avaient précédé celui-là, j'avais eu la révélation d'une fierté inconnue. Je la sentis se réveiller, et, poussée par un mouvement irrésistible, je voulus voir de quel air Leoni faisait la conversation au comptoir de mon père. Il tardait à monter, et je supposais avec raison que mon père l'avait retenu pour lui montrer, selon sa naïve habitude, les merveilles de son travail. Je descendis résolument à la boutique, et j'y entrai en feignant quelque surprise d'y trouver Leoni. Cette boutique m'était interdite en tout temps par ma mère, dont la plus grande crainte était de me voir passer pour une marchande. Mais je m'échappais quelquefois pour aller embrasser mon pauvre père, qui n'avait pas de plus grande joie que de m'y recevoir. Lorsqu'il me vit entrer, il fit une exclamation de plaisir et dit à Leoni: – Tenez, tenez, monsieur le baron, je vous montrais peu de chose; voici mon plus beau diamant. La figure de Leoni trahit une émotion délicieuse; il sourit à mon père avec attendrissement, et à moi avec passion. Jamais un tel regard n'était tombé sur le mien. Je devins rouge comme le feu. Un sentiment de joie et de tendresse inconnue amena une larme au bord de ma paupière pendant que mon père m'embrassait au front.

      Nous restâmes quelques instants sans parler, et Leoni, relevant la conversation, trouva le moyen de dire à mon père tout ce qui pouvait flatter son amour-propre d'artiste et de commerçant. Il parut prendre un extrême plaisir à lui faire expliquer par quel travail on tirait les pierres précieuses d'un caillou brut, pour leur donner l'éclat et la transparence. Il dit lui-même à ce sujet des choses intéressantes; et, s'adressant à moi, il me donna quelques détails minéralogiques à ma portée. Je fus confondue de l'esprit et de la grâce avec lesquels il savait relever et ennoblir notre condition à nos propres yeux. Il nous parla de travaux d'orfèvrerie qu'il avait eu l'occasion de voir dans ses voyages, et nous vanta surtout les oeuvres de son compatriote Cellini, qu'il plaça près de Michel-Ange. Enfin, il attribua tant de mérite à la profession de mon père et donna tant d'éloges à son talent, que je me demandais presque si j'étais la fille d'un ouvrier laborieux ou d'un homme de génie.

      Mon père accepta cette dernière hypothèse, et, charmé des manières du Vénitien, il le conduisit chez ma mère. Durant cette visite, Leoni eut tant d'esprit et parla sur toutes choses d'une manière si supérieure, que je restai fascinée en l'écoutant. Jamais je n'avais conçu l'idée d'un homme semblable. Ceux qu'on m'avait désignés comme les plus aimables étaient si insignifiants et si nuls auprès de celui-là, que je croyais faire un rêve. J'étais trop ignorante pour apprécier tout ce que Leoni possédait de savoir et d'éloquence, mais je le comprenais instinctivement. J'étais dominée par son regard, enchaînée à ses récits, surprise et charmée à chaque nouvelle ressource qu'il déployait.

      Il est certain que Leoni est un homme doué de facultés extraordinaires. En peu de jours il réussit à exciter dans la ville un engouement général. Vous savez qu'il a tous les talents, toutes les séductions. S'il assistait à un concert, après s'être fait un peu prier, il chantait ou jouait tous les instruments avec une supériorité marquée sur les musiciens. S'il consentait à passer une soirée d'intimité, il faisait des dessins charmants sur les albums des femmes. Il crayonnait en un instant des portraits pleins de grâce ou des caricatures pleines de verve; il improvisait ou déclamait dans toutes les langues; il savait toutes les danses de caractère de l'Europe, et il les dansait toutes avec une grâce enchanteresse; il avait tout vu, tout retenu, tout jugé, tout compris; il savait tout; il lisait dans l'univers comme dans un livre de poche. Il jouait admirablement la tragédie et la comédie; il organisait des troupes d'amateurs; il était lui-même le chef d'orchestre, le premier sujet, le décorateur, le peintre et le machiniste. Il était à la tête de toutes les parties et de toutes les fêtes. On pouvait vraiment dire que le plaisir marchait sur ses traces, et que tout, à son approche, changeait d'aspect et prenait une face nouvelle. On l'écoutait avec enthousiasme, on lui obéissait aveuglément; on croyait en lui comme en un prophète; et s'il eût promis


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