Leone Leoni. Жорж Санд

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Leone Leoni - Жорж Санд


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hautaines, nivelait tous les rangs. Ce n'étaient tous les jours que cavalcades, feux d'artifice, spectacles, concerts, mascarades. Leoni était grand et généreux; les ouvriers auraient fait pour lui une émeute. Il semait les bienfaits à pleines mains, et trouvait de l'or et du temps pour tout. Ses fantaisies devenaient aussitôt celles de tout le monde. Toutes les femmes l'aimaient, et les hommes étaient tellement subjugués par lui, qu'ils ne songeaient point à en être jaloux.

      Comment, au milieu d'un tel entraînement, aurais-je pu rester insensible à la gloire d'être recherchée par l'homme qui fanatisait toute une province? Leoni nous accablait de soins et nous entourait d'hommages. Nous étions devenues, ma mère et moi, les femmes les plus à la mode de la ville. Nous marchions à ses côtés, à la tête de tous les divertissements; il nous aidait à déployer un luxe effréné; il dessinait nos toilettes et composait nos costumes de caractère: car il s'entendait à tout, et aurait fait lui-même au besoin nos robes et nos turbans. Ce fut par de tels moyens qu'il accapara l'affection de la famille. Ma tante fut la plus difficile à conquérir. Longtemps elle résista et nous affligea de ses tristes observations. – Leoni, disait-elle, était un homme sans conduite, un joueur effréné. Il gagnait et il perdait chaque soir la fortune de vingt familles; il dévorerait la nôtre en une nuit. Mais Leoni entreprit de l'adoucir, et il y réussit en s'emparant de sa vanité, ce levier qu'il manoeuvrait si puissamment en ayant l'air de l'effleurer. Bientôt il n'y eut plus d'obstacles. Ma main lui fut promise avec une dot d'un demi-million; ma tante fit observer encore qu'il fallait avoir des renseignements plus certains sur la fortune et la condition de cet étranger. Leoni sourit et promit de fournir ses titres de noblesse et de propriété en moins de vingt jours. Il traita fort légèrement la rédaction du contrat, qui fut dressé de la manière la plus libérale et la plus confiante envers lui. Il paraissait à peine savoir ce que je lui apportais. M. Delpech et, sur la parole de celui-ci, tous les nouveaux amis de Leoni assuraient qu'il avait quatre fois plus de fortune que nous, et qu'en m'épousant il faisait un mariage d'amour. Je me laissai facilement persuader. Je n'avais jamais été trompée, et je ne me représentais les faussaires et les filous que sous les haillons de la misère et les dehors de l'ignominie…

      Un sentiment pénible oppressa la poitrine de Juliette. Elle s'arrêta, et me regarda d'un air égaré. – Pauvre enfant! lui dis-je, Dieu aurait dû te protéger.

      – Oh! me dit-elle en fronçant légèrement son sourcil d'ébène, j'ai prononcé des mots affreux; que Dieu me les pardonne! Je n'ai pas de haine dans le coeur, et je n'accuse point Leoni d'être un scélérat; non, non, car je ne veux pas rougir de l'avoir aimé. C'est un malheureux qu'il faut plaindre. Si vous saviez… Mais je vous dirai tout.

      – Continue ton histoire, lui dis-je; Leoni est assez coupable: ton intention n'est pas de l'accuser plus qu'il ne le mérite.

      Juliette reprit son récit.

      Le fait est qu'il m'aimait, il m'aimait pour moi-même; la suite l'a bien prouvé. Ne secouez pas la tête, Bustamente. Leoni est un corps robuste, animé d'une âme immense; toutes les vertus et tous les vices, toutes les passions coupables et saintes y trouvent place en même temps. Personne n'a jamais voulu le juger impartialement; il avait bien raison de le dire, moi seule l'ai connu et lui ai rendu justice.

      Le langage qu'il me parlait était si nouveau à mon oreille, que j'en étais enivrée. Peut-être l'ignorance absolue où j'avais vécu de tout ce qui touchait au sentiment me faisait-elle paraître ce langage plus délicieux et plus extraordinaire qu'il n'eût semblé à une fille plus expérimentée. Mais je crois (et d'autres femmes le croient aussi) que nul homme sur la terre n'a ressenti et exprimé l'amour comme Leoni. Supérieur aux autres hommes dans le mal et dans le bien, il parlait une autre langue, il avait d'autres regards, il avait aussi un autre coeur. J'ai entendu dire à une dame italienne qu'un bouquet dans la main de Leoni avait plus de parfum que dans celle d'un autre, et il en était ainsi de tout. Il donnait du lustre aux choses les plus simples, et rajeunissait les moins neuves. Il y avait un prestige autour de lui; je ne pouvais ni ne désirais m'y soustraire. Je me mis à l'aimer de toutes mes forces.

      Dans ce moment je me sentis grandir à mes propres yeux. Que ce fût l'ouvrage de Dieu, celui de Leoni ou celui de l'amour, une âme forte se développa et s'épanouit dans mon faible corps. Chaque jour je sentis un monde de pensées nouvelles se révéler à moi. Un mot de Leoni faisait éclore en moi plus de sentiments que les frivoles discours entendus dans toute ma vie. Il voyait ce progrès, il en était heureux et fier. Il voulut le hâter et m'apporta des livres. Ma mère en regarda la couverture dorée, le vélin et les gravures. Elle vit à peine le titre des ouvrages qui allaient bouleverser ma tête et mon coeur. C'étaient de beaux et chastes livres, presque tous écrits par des femmes sur des histoires de femmes: Valérie, Eugène de Rothelin, Mademoiselle de Clermont, Delphine. Ces récits touchants et passionnés, ces aperçus d'un monde idéal pour moi élevèrent mon âme, mais ils la dévorèrent. Je devins romanesque, caractère le plus infortuné qu'une femme puisse avoir.

      VI

      Trois mois avaient suffi pour cette métamorphose. J'étais à la veille d'épouser Leoni. De tous les papiers qu'il avait promis de fournir, son acte de naissance et ses lettres de noblesse étaient seuls arrivés. Quant aux preuves de sa fortune, il les avait demandées à un autre homme de loi, et elles n'arrivaient pas. Il témoignait une douleur et une colère extrêmes de ce retard, qui faisait toujours ajourner notre union. Un matin, il entra chez nous d'un air désespéré. Il nous montra une lettre non timbrée qu'il venait de recevoir, disait-il, par une occasion particulière. Cette lettre lui annonçait que son chargé d'affaires était mort, que son successeur ayant trouvé ses papiers en désordre était forcé de faire un grand travail pour les reconnaître, et qu'il demandait encore une ou deux semaines avant de pouvoir fournir à sa seigneurie les pièces qu'elle réclamait. Leoni était furieux de ce contre-temps; il mourrait d'impatience et de chagrin, disait-il, avant la fin de cette horrible quinzaine. Il se laissa tomber sur un fauteuil en fondant en larmes.

      Non, ce n'étaient pas des larmes feintes; ne souriez pas, don Aleo. Je lui tendis la main pour le consoler; je la sentis baignée de ses pleurs, et, frappée aussitôt d'une commotion sympathique, je me mis à sangloter.

      Ma pauvre mère n'y put tenir. Elle courut en pleurant chercher mon père à sa boutique. – C'est une tyrannie odieuse, lui dit-elle en l'entraînant près de nous. Voyez ces deux malheureux enfants! comment pouvez-vous refuser de faire leur bonheur, quand vous êtes témoin de ce qu'ils souffrent? Voulez-vous tuer votre fille par respect pour une vaine formalité? Ces papiers n'arriveront-ils pas aussi bien et ne seront-ils pas aussi satisfaisants après huit jours de mariage? Que craignez-vous? Prenez-vous notre cher Leoni pour un imposteur? Ne comprenez-vous pas que votre insistance pour avoir les preuves de sa fortune est injurieuse pour lui et cruelle pour Juliette?

      Mon père, tout étourdi de ces reproches, et surtout de mes pleurs, jura qu'il n'avait jamais songé à tant d'exigence, et qu'il ferait tout ce que je voudrais. Il m'embrassa mille fois, et me tint le langage qu'on tient à un enfant de six ans lorsqu'on cède à ses fantaisies pour se débarrasser de ses cris. Ma tante arriva et parla moins tendrement. Elle me fit même des reproches qui me blessèrent. – Une jeune personne chaste et bien élevée, disait-elle, ne devait pas montrer tant d'impatience d'appartenir à un homme. – On voit bien, lui dit ma mère, tout à fait piquée, que vous n'avez jamais pu appartenir à aucun. Mon père ne pouvait souffrir qu'on manquât d'égards envers sa soeur. Il pencha de son côté, et fit observer que notre désespoir était un enfantillage, que huit jours seraient bientôt passés. J'étais mortellement offensée de l'impatience qu'on me supposait, et j'essayais de retenir mes larmes; mais celles de Leoni exerçaient sur moi une puissance magnétique, et je ne pouvais m'arrêter. Alors il se leva, les yeux tout humides, les joues animées, et, avec un sourire d'espérance et de tendresse, il courut vers ma tante; il prit ses mains dans une des siennes, celles de mon père dans l'autre, et se jeta à genoux en les suppliant de ne plus s'opposer à son bonheur. Ses manières, son accent, son visage, avaient un pouvoir irrésistible; c'était d'ailleurs la première fois que ma pauvre tante voyait un homme à ses pieds. Toutes les résistances furent vaincues. Les bans étaient publiés, toutes les formalités préparatoires étaient


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