Mademoiselle La Quintinie. Жорж Санд

Читать онлайн книгу.

Mademoiselle La Quintinie - Жорж Санд


Скачать книгу
que l'on aime Dieu par-dessus toutes choses?

      – Aimer est le mot le plus élastique et le plus vague que l'homme ait inventé. Dieu ne peut nous inspirer qu'un genre d'adoration auquel rien ne se compare et qu'aucune langue ne peut exprimer. Dieu ne veut donc pas être aimé avec le même esprit et avec le même cœur qu'il nous a donnés pour aimer notre semblable, et, du moment que nous croyons en lui, nous avons nécessairement pour lui le sentiment qu'il réclame de nous; mais ce sentiment n'existe pas dans une âme que l'ascétisme dérobe à l'amour humain, car il s'y dénature et devient amour humain lui-même, ce qui est une idolâtrie, un délire et un blasphème.

      – J'entends! vous croyez que sainte Thérèse…

      – Était folle et consumée de flammes terrestres auxquelles son imagination malade essayait de donner le change. Je hais ces mensonges de l'âme, comme tout ce qui est contre nature.»

      Lucie ne répondit rien, elle marchait dans le jardin et cueillait des fleurs machinalement; mais ses mains tremblaient, et sa démarche trahissait une grande agitation.

      «Mon ami, me dit-elle enfin quand ses deux mains furent pleines, – car nous sommes amis toujours et quand même, n'est-ce pas? – vous dites des choses qui me bouleversent, et, vous voyez, je ne vous réponds pas. Suis-je vaincue par le raisonnement ou persuadée par un charme mystérieux dont je doive me méfier? Je ne sais pas; en vérité, je ne sais pas! Il faut que j'y pense. Ne désespérez pas et n'ayez pas non plus trop d'orgueil. Il faut que je me prive de vous voir pendant quelques jours, et je vous dirai ensuite si j'ai fait un pas en avant ou en arrière. Je ne veux point être persuadée par surprise.»

      Cette résolution, contre laquelle je n'avais pas le droit de protester, me jeta dans une vive inquiétude, et j'eus là le pressentiment de quelque chose de grave. Elle essaya de me rassurer.

      «Voyez où nous en sommes, dit-elle; on presse la situation un peu plus que nous ne le voudrions. On a déjà écrit à mon père, sans vous nommer, il est vrai; mais il paraît qu'il s'impatiente et demande des détails. Il va falloir parler à ma tante, qui ne sait rien encore. Avez-vous écrit à votre père, vous?

      – Non. J'attendais, je devais attendre une véritable espérance.

      – Eh bien, n'écrivez pas encore, promettez-le-moi, et n'allons pas plus avant sans que je sois sûre de moi-même. Je vous disais l'autre jour que je ne voyais pas d'obstacles; j'en vois aujourd'hui. Je vous disais aussi que je ne voyais pas non plus de parti à prendre. Cela n'est guère possible du moment qu'il faut apaiser la sollicitude de deux familles par des résolutions quelconques. Ne nous laissons donc pas entraîner par les impatiences des autres, car là est le danger. Forçons-les à nous attendre, en nous attendant nous-mêmes patiemment et volontairement.»

      Je ne pouvais que me soumettre, mais je m'en allai épouvanté, car Lucie ne fixait que vaguement le terme de mon exil. C'était tantôt huit jours, tantôt quinze, et je me disais par moments que c'était peut-être toute la vie.

      Cinq jours, cinq mortels jours après, j'ai reçu un billet de M. de Turdy qui me disait: «Je suis seul, venez me voir.» Je l'ai trouvé seul en effet. Lucie était allée à Chambéry passer une semaine auprès de sa grand'tante. M. de Turdy était triste, bien qu'il voulût faire contre fortune bon cœur. Nous n'avons parlé que de Lucie, tout en essayant de n'en point trop parler.

      «Lucie, m'a-t-il dit, subit des influences mystérieuses que je ne peux pas saisir. Vous avez entendu notre discussion de l'autre jour: j'ai gagné le point important, le confesseur. C'est un bon homme. Ma sœur est une bonne fille dont la dévotion n'a rien d'exalté; son entourage est très-arriéré d'opinions, mais il n'y a là personne d'assez fort pour avoir du crédit sur l'esprit de ma petite-fille. Vous avez vu qu'elle se moque de ces vieux seigneurs de village qui n'ont pas le sens commun, et, quant à elle, vous avez dû constater que, dans tout ce qui tient à la vie pratiqué, à la politique, au temporel, comme ils disent chez sa tante, elle est très-libérale; mais elle avait toujours dit et elle recommence à dire qu'elle ne veut pas devenir la femme d'un incrédule. Je me suis épuisé à la gronder, à la contredire; elle m'a promis de s'interroger elle-même, et elle m'a paru très-ébranlée en partant.

      – Soyez certain, lui dis-je avec amertume, qu'à présent elle a repris ses forces, et que l'influence mystérieuse dont vous parlez s'est de nouveau emparée d'elle.

      – Ah! si je savais qui! s'est écrié le vieillard en frappant sa canne sur le parquet avec vivacité. Ce sera quelqu'une des nonnes de ***. Il y a là un couvent de carmélites très-austères, et je sais qu'elle y va quelquefois. Oui, oui, ce doit être un foyer de fanatisme: Je ne veux plus qu'elle y mette les pieds!»

      Je me sentais bien mal défendu contre le malheur de ma destinée par ce vieux enfant; mais je le voyais si chagrin et si tourmenté, que je consentis à passer la journée et la soirée avec lui. Je fis tant bien que mal sa partie de trictrac pour remplacer Lucie, qui la fait tous les soirs quand ils sont tête à tête.

      Il était tard quand nous eûmes fini, et, pour épargner au batelier de la maison la peine de me faire passer le lac, j'acceptai l'hospitalité que le châtelain m'offrait pour la nuit.

      Ici se place un fait fort étranger peut-être à ma situation, un fait qui te paraîtra sans doute insignifiant, mais qui m'a trop frappé pour que je ne te le rapporte pas.

      J'étais si agité de me trouver dans cette maison pleine de l'image de Lucie, dans cette maison qui eût pu devenir la mienne, si j'étais moins loyal ou moins jaloux, que je ne pus fermer l'œil. Ma chambre était au rez-de-chaussée et avait une sortie directe sur le jardin. Je m'en échappai sans bruit et me promenai une demi-heure dans ce jardin, qui n'est pas grand, mais qui est un Éden quand même, grâce à ses beaux ombrages, à ses massifs de fleurs et à ce site magnifique qu'on y domine. La lune, réduite à un croissant assez délié, se leva vers minuit, éclairant à peine le pied des arbres; mais la nuit était si claire et si constellée, que je distinguais, sinon la couleur, du moins la forme de tous les objets environnants. Le lac se détachait comme une plaque d'argent bruni au sein d'une masse sombre qui paraissait incommensurable. Des buissons de fraxinelle, plante que l'on cultive beaucoup ici dans les jardins, et qui atteint de grandes proportions, exhalaient des parfums exquis. Tout était recueillement voluptueux, mystère d'amour peut-être, dans cette nuit tiède. Une charmante cascade, qui bondit au bout du jardin après avoir mis en mouvement une petite usine, était emprisonnée dans son écluse. Tout était muet et comme endormi profondément. Je pensais à Lucie avec une ardeur de désir et de terreur qui me faisait frissonner sans cause, non pas au moindre bruit, il ne s'en produisait aucun, mais à l'idée, à l'appréhension du moindre souffle de l'air dans mes cheveux.

      Tout à coup, j'entends dans ce morne silence le bruit cadencé d'une paire de rames sur le lac, et, en suivant la direction du son, je vis distinctement une barque qui cinglait en droite ligne sur le petit port placé à l'angle du rocher qui porte le manoir. Cette barque, vue de la plate-forme, était si petite, que je n'eusse pu la distinguer, si l'eau, vivement brillantée en cet endroit, ne l'eût détachée comme un point noir à la surface.

      Quoi de plus simple que la présence d'une embarcation sur ce lac souvent exploré la nuit par les pêcheurs ou les oisifs? Mon imagination excitée vit pourtant là un événement capable de décider de ma vie. C'était Lucie qui revenait me surprendre, et que j'allais voir aborder au-dessous de moi!

      Aborder là, non pourtant, ce n'était pas possible: le rocher est à pic; mais, si la barque s'engageait dans l'ombre projetée sur l'eau par la masse de ce rocher, évidemment elle se dirigeait sur le petit port, et, comme du jardin on ne voit pas le débarcadère, je sortis du jardin en franchissant un mur à hauteur d'appui, et je descendis précipitamment le sentier.

      Grâce à l'ombrage des grands marronniers qui, plantés à mi-côte, étendent leurs longues branches au-dessus des chaumières jusqu'au bord de l'eau, je gagnai la rive sans être aperçu, et je vis la barque d'assez près pour m'assurer qu'elle ne contenait que deux hommes, un batelier qui faisait force de rames; et un personnage enveloppé d'un manteau et coiffé d'un chapeau à larges bords. Ils passèrent à peu de brasses du rivage et disparurent en remontant vers


Скачать книгу