Mademoiselle La Quintinie. Жорж Санд

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Mademoiselle La Quintinie - Жорж Санд


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***?

      – Pour quoi faire?

      – Pour entendre chanter une demoiselle du pays qui est, dit-on, fort extraordinaire.

      – Oui, j'y vais, répondis-je tout tremblant. Où est-ce?

      – Suivez-nous,» me dit-il.

      Nous gravîmes un chemin très-rapide qui monte en zigzag à travers d'énormes rochers.

      «Et le nom de cette cantatrice? demandai-je à mon guide.

      – Attendez! Je ne sais plus; ce n'est pas une artiste de profession, c'est une personne de bonne famille qui chante en l'honneur de la fête du jour, la Trinité. Elle a un nom qui finit en ie… La Quirinie… Non. La Quintinie!.. m'y voilà.»

      Je sentis tous les frissons de la fièvre me reprendre; il faisait pourtant une chaleur d'orage accablante. Nous arrivâmes au pied d'un édifice fermé, à fenêtres grillées; c'était le couvent, et nous y trouvâmes une centaine de personnes qui s'étaient assises à l'ombre et qui attendaient que les nonnes eussent fini de psalmodier les vêpres. Aucun homme ne pénétrait dans ce couvent rigidement cloîtré. Les dames de la ville n'ont accès dans la chapelle qu'avec des permissions particulières. Cette chapelle était pleine et la porte close; mais, à cause de la chaleur, les fenêtres du chœur étaient ouvertes en partie, et, comme on entendait fort bien la psalmodie, on ne devait rien perdre du chant.

      Le mélomane qui m'avait renseigné, et que je ne quittais pas, entra sans façon en pourparlers avec les hommes qui se trouvaient là et les interrogea sur mademoiselle La Quintinie. Je recueillais tout avec avidité.

      «C'est une personne du plus grand mérite, disait-on, toute vouée aux bonnes œuvres, une vraie sainte, et, en même temps, c'est une femme charmante, qui fait les honneurs du salon de sa tante avec une grâce parfaite; mais jamais elle ne chante dans le monde. On dit qu'elle a fait le vœu de ne chanter que pour l'Église. Elle chantera le jour de la Fête-Dieu à la cathédrale, et je vous réponds qu'on y viendra de loin pour l'entendre. En ce moment-ci, elle fait une retraite de huit jours aux Carmélites. On dit qu'elle va se marier, mais d'autres disent qu'elle se fera religieuse; on ne sait pas.»

      En ce moment, un des amateurs de la ville signala une lourde voiture armoriée qui montait la côte.

      «C'est le vieux carrosse de la vieille mademoiselle de Turdy. Elle va entendre chanter sa petite nièce à la bénédiction du saint sacrement. Peut-être la ramènera-t-elle à la ville. Vous la verrez alors; elle est très-jolie!»

      La voiture arriva en effet à la porte de la chapelle, et j'en vis descendre la vieille tante, grasse, boiteuse, et soutenue par un homme d'environ quarante ans, dont la figure me frappa beaucoup: une tête méridionale, très-brune, très-accentuée, une mise sévère, beaucoup de cheveux noirs crépus rejetés en arrière, un front demi-chauve très-pur et très-lisse contrastant avec des yeux sombres et fatigués, d'un éclat fiévreux. Il entra dans l'église avec la vieille dame après avoir frappé d'une façon particulière. La porte se referma brusquement derrière eux.

      Quel était cet homme qui seul avait le droit d'entrer dans le sanctuaire? Je le demandai avec agitation à tout le monde. Personne ne le savait, personne ne le connaissait. C'était un laïque; rien dans sa mise et dans son attitude n'annonçait un prêtre: ce devait être, selon les assistants, qui tous me parurent plus ou moins ultra-montains, un personnage enyoyé par le pape pour recueillir le denier de saint Pierre, ou un grand dignitaire de la société de Saint-Vincent de Paul.

      Le bruit des cloches à toute volée annonça la fin des vêpres et le commencement du salut. Des voix de femmes entonnèrent un chœur fort pauvrement exécuté; puis l'orgue préluda, et la voix de Lucie se fit seule entendre. Ce qu'elle chanta, je n'en sais rien. Je ne suis pas érudit en musique, et je n'avais plus le loisir d'écouter mes voisins. J'étais dévoré de rage à cause de cet homme qui était entré là, et qui l'entendait de plus près que moi, qui la voyait peut-être, pendant que j'étais à la porte avec les inconnus. J'aurais voulu qu'elle chantât mal, que sa voix fût désagréable, et que tout le monde se mit à siffler comme au théâtre; n'en avait-on pas le droit, puisqu'on venait là comme au spectacle ou au concert?

      Mais comme elle chante, mon Dieu! Quelle voix limpide et puissante, quel accent large et sublime, quelle plénitude et quelle suavité! Et elle n'a pas chanté, elle ne chantera jamais pour moi seul! Je me le disais, je m'efforçais de me détacher de cette femme qui ne m'appartiendra jamais, et j'étais vaincu, brisé par cette voix surhumaine qui s'emparait de moi comme la brise s'empare de l'herbe qu'elle secoue et de la fleur qu'elle effeuille! En même temps que je la maudissais pour cet envahissement de tout mon être, je sentais des larmes gonfler ma poitrine et ruisseler sur mes joues. Cela était trop fort pour moi. Je m'éloignai. Je voulus descendre le sentier. Je voyais devant moi, de l'autre côté du ravin, l'étrange ville de Chambéry, avec ses toits d'ardoise sombre sans reflets, encadrés de fer-blanc brillant, comme une exhibition de linceuls noirs semés de larmes d'argent. Les montagnes à forme fantastique qui la dominent, le bruit des torrents qui la traversent, ses vieux édifices, ses ceintures d'arbres séculaires, tout cela s'agitait devant moi comme dans un rêve. Un instant les tambours et la musique de la garnison se firent entendre et formèrent un rauque contraste avec le chant de Lucie, qui planait tranquille comme une voix du ciel sur cette impuissante clameur de la terre. Je me jetai à l'écart dans les rochers qui surplombent le ravin. Je me bouchai les oreilles, j'entendais toujours Lucie, rien que Lucie; elle semblait me dire: «Tu n'as pas besoin de tes sens pour m'entendre, c'est mon âme qui parle à ton âme, et tu ne m'échapperas pas.»

      Tout à coup la voix cessa; les dilettanti du dehors s'oublièrent jusqu'à applaudir; mais les cloches couvrirent ces vains témoignages d'admiration mondaine, et, peu d'instants après, je me trouvai, je ne saurais dire comment, le premier auprès de la voiture où montait Lucie avec sa tante et le personnage inconnu objet de ma haine instinctive et de ma colère mal déguisée. Cet homme monta le dernier et jeta sur moi un regard froid comme l'acier, un regard qui m'exaspéra. Je ne sais ce que je fis, je ne suis pas sûr de ne lui avoir pas montré le poing d'un air de menace.

      Quant à Lucie, elle ne m'aperçut seulement pas. Vêtue de blanc et la taille enveloppée d'un léger burnous de cachemire, elle cherchait à dérober sa figure sous le capuchon à floches de soie; mais ce capuchon retomba sur son épaule, entraînant une partie de son abondante chevelure dénouée, et je vis sa figure pâle qui semblait ravie en extase, ou plutôt un peu égarée par l'épuisement de l'extase, car il y avait de la souffrance dans ses traits, et ses lèvres étaient aussi blanches que son vêtement; ses narines étaient dilatées, sa bouche serrée, ses yeux sans regard. Je ne croyais pas que sa physionomie aimante et douce pût se pétrifier ainsi sous la contraction mystique de la pensée. Elle me regarda et ne me vit pas; elle disparut sans voir personne, sans répondre à plusieurs saluts qui lui furent adressés sur son passage, et j'entendis que quelqu'un disait:

      «Elle chante avec trop de ferveur; il y a sous le calme triomphant de sa voix une émotion qui la tue.»

      Une seule personne malveillante, une femme très-parée, éleva un peu le ton pour dire:

      «Laissez donc! elle aime le succès, elle est femme!

      – Non, reprit mon Anglais dilettante, elle est artiste avant tout; elle n'est peut-être pas dévote!»

      Je recueillais machinalement les opinions, et cette dernière parole me frappa, car je n'étais plus capable de penser pour mon propre compte. Je me sentais très-mal, je me sentais mourir, car je venais de constater que je n'étais rien pour Lucie. Avant moi, il y avait en elle l'ascétisme, ou la musique, ou cet inconnu qui entrait avec elle dans le sanctuaire des femmes, peut-être le même qui portait des lis dans la chapelle du rocher, à la clarté des étoiles: que sais-je? Il y a une passion immense dans l'âme de Lucie, et je ne suis point l'objet de cette passion!

      Mon Anglais s'aperçut que j'étais pris de défaillance. Il me ramena à Aix dans sa voiture avec beaucoup d'obligeance et de courtoisie. Je me remis au lit, et je dormis près de quarante-huit heures. Je crois qu'on m'a saigné; on a mis le tout sur le compte d'un coup de soleil. J'ai passé encore deux jours à me remettre;


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