Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

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Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


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cependant on donna raison au père Plantat, M. Courtois essaya de suivre l’exemple général. Dieu sait pourtant qu’il n’avait pas le moindre appétit.

      Et alors, autour de cette table, humide encore du vin versé par les assassins, le juge d’instruction, le père Plantat, le médecin et le maire vinrent s’asseoir et prendre à la hâte une collation improvisée.

      V

      L’escalier avait été consigné, mais le vestibule était resté libre. On y entendait des allées et des venues, des piétinements, des chuchotements étouffés puis, dominant ce bourdonnement continu, les exclamations et les jurements des gendarmes essayant de contenir la foule.

      De temps à autre, une tête effarée se glissait le long de la porte de la salle à manger restée entrebâillée. C’était quelque curieux qui, plus hardi que les autres, voulait voir manger les «gens de la justice» et essayait de surprendre quelques paroles pour les rapporter et s’en faire gloire. Mais les «gens de justice» – pour parler comme à Orcival – se gardaient bien de rien dire de grave, portes ouvertes, en présence d’un domestique circulant autour de la table pour le service.

      Très émus de ce crime affreux, inquiets du mystère qui recouvrait encore cette affaire, ils renfermaient et dissimulaient leurs impressions. Chacun, à part soi, étudiait la probabilité de ses soupçons et gardait sa pensée intime.

      Tout en mangeant, M. Domini mettait de l’ordre dans ses notes, numérotant les feuilles de papier, marquant d’une croix certaines réponses des inculpés particulièrement significatives et qui devaient être comme les bases de son rapport.

      Il était peut-être le moins tourmenté des quatre convives de ce lugubre repas. Ce crime ne lui semblait pas de ceux qui font passer des nuits blanches aux juges d’instruction. Il en voyait nettement le mobile, ce qui est énorme, et il tenait La Ripaille et Guespin, deux coupables ou tout au moins complices.

      Assis l’un près de l’autre, le père Plantat et le docteur Gendron s’entretenaient de la maladie qui avait enlevé Sauvresy.

      M. Courtois, lui, prêtait l’oreille aux bruits du dehors.

      La nouvelle du double meurtre se répandait dans le pays, la foule croissait de minute en minute. Elle encombrait la cour et de plus en plus devenait audacieuse. La gendarmerie était débordée.

      C’était, ou jamais, pour le maire d’Orcival, le moment de se montrer.

      – Je vais aller faire entendre raison à ces gens, dit-il, et les engager à se retirer.

      Et aussitôt, s’essuyant la bouche, il jeta sur la table sa serviette roulée et sortit.

      Il était temps. On n’écoutait déjà plus les injonctions du brigadier. Quelques curieux, plus enragés que les autres, avaient tourné la position et s’efforçaient d’ouvrir la porte donnant sur le jardin.

      La présence du maire n’intimida peut-être pas beaucoup la foule, mais elle doubla l’énergie des gendarmes; le vestibule fut évacué. Aussi, que de murmures contre cet acte d’autorité!

      Quelle superbe occasion de discours! M. Courtois ne la manqua pas. Il supposa que son éloquence, douée de la vertu des douches d’eau glacée, calmerait cette effervescence insolite de ses sages administrés.

      Il s’avança donc sur le perron, la main gauche passée dans l’ouverture de son gilet, gesticulant de la main droite, dans cette attitude fière et impassible que la statuaire prête aux grands orateurs. C’est ainsi qu’il se pose devant son conseil, lorsque, trouvant une résistance inattendue, il entreprend de faire triompher sa volonté et de ramener les récalcitrants. Tel dans l’Histoire de la Restauration on représente Manuel, au moment du fameux: «Empoignez-moi cet homme-là.»

      Son discours arrivait par bribes jusqu’à la salle à manger. Suivant qu’il se tournait de droite ou de gauche, sa voix était claire ou distincte, ou bien se perdait dans l’espace. Il disait:

      «Messieurs et chers administrés,

      «Un crime inouï dans les fastes d’Orcival vient d’ensanglanter notre paisible et honnête commune. Je m’associe à votre douleur. Je comprends donc et je m’explique votre fiévreuse émotion, votre indignation légitime. Autant que vous, mes amis, plus que vous, je chérissais et j’estimais ce noble comte de Trémorel et sa vertueuse épouse; l’un et l’autre, ils ont été la providence de notre contrée. Nous les pleurons ensemble…»

      – Je vous assure, disait le docteur Gendron au père Plantat, que les symptômes que vous me dites ne sont pas rares à la suite des pleurésies. On croit avoir triomphé de la maladie, on rengaine la lancette, on se trompe. De l’état aigu, l’inflammation passe à l’état chronique et se complique de pneumonie et de phtisie tuberculeuse.

      – «… Mais rien ne justifie, poursuivait le maire, une curiosité qui, par ses manifestations inopportunes et bruyantes, entrave l’action de la justice et est, dans tous les cas, une atteinte punissable à la majesté de la loi. Pourquoi ce rassemblement inusité, pourquoi ces cris dans les groupes, pourquoi ces rumeurs, ces chuchotements, ces suppositions prématurées?..»

      – Il y a eu, disait le père Plantat, deux ou trois consultations qui n’ont pas donné de résultats favorables. Sauvresy accusait des souffrances tout à fait étranges et bizarres. Il se plaignait de douleurs si invraisemblables, si absurdes, passez-moi le mot, qu’il déroutait les conjectures des médecins les plus expérimentés.

      – N’était-ce pas R… de Paris, qui le voyait?

      – Précisément. Il venait tous les jours et souvent restait coucher au château. Maintes fois, je l’ai vu remonter soucieux la grande rue du bourg, il allait surveiller la préparation de ses ordonnances chez notre pharmacien.

      – «… Sachez donc, criait M. Courtois, sachez modérer votre juste courroux, soyez calmes, soyez dignes.»

      – Certainement, poursuivait le docteur Gendron, votre pharmacien est un homme intelligent, mais vous avez, à Orcival même, un garçon qui lui dame joliment le pion. C’est un gaillard qui fait le commerce des simples et qui a su y gagner de l’argent, un certain Robelot…

      – Robelot le rebouteur?

      – Juste. Je le soupçonne même de donner des consultations et de faire de la pharmacie à huis clos. Il est fort intelligent. C’est moi, du reste, qui ai fait son éducation. Il a été pendant plus de cinq ans mon garçon de laboratoire et encore maintenant, quand j’ai quelque manipulation délicate…

      Le docteur s’arrêta, frappé de l’altération des traits de l’impassible père Plantat.

      – Eh! cher ami, demanda-t-il, qu’est-ce qui vous prend? Seriez-vous incommodé?

      Le juge d’instruction abandonna ses paperasses pour regarder.

      – En effet, dit-il, monsieur le juge de paix est d’une pâleur.

      Mais déjà le père Plantat avait repris sa physionomie habituelle.

      – Ce n’est rien, répondit-il, absolument rien. Avec mon maudit estomac, dès que je change l’heure de mes repas…

      Arrivant à la péroraison de sa harangue, M. Courtois enflait la voix et abusait vraiment de ses moyens.

      – «… Regagnez donc disait-il, vos paisibles demeures, retournez à vos occupations, reprenez vos travaux. Soyez sans crainte, la loi vous protège. Déjà la justice a commencé son œuvre, deux des auteurs de l’exécrable forfait sont en son pouvoir et nous sommes sur la trace de leurs complices.»

      – De tous les domestiques actuellement au château, remarquait le père Plantat, il n’en est pas un seul qui ait connu Sauvresy. Peu à peu, toute la maison a été renouvelée.

      – Il est de fait, répondait le docteur, que la vue d’anciens serviteurs n’eût pu qu’être fort désagréable à M. de Trémorel…

      Il fut interrompu par le maire qui rentrait, l’œil


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