Le crime d'Orcival. Emile Gaboriau

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Le crime d'Orcival - Emile Gaboriau


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œil qui n’était rien moins qu’amical.

      – Puisque vous savez tant de choses, lui dit-il sèchement, nous allons procéder à l’examen du théâtre du crime.

      – Je suis aux ordres de monsieur le juge d’instruction, répondit laconiquement l’agent de la Sûreté.

      Et comme tout le monde se levait, il profita du mouvement pour s’approcher du père Plantat et lui tendre sa bonbonnière.

      – Monsieur le juge de paix en use-t-il?

      Le père Plantat ne crut pas devoir lui refuser, il avala un morceau de jujube et la sérénité reparut sur le front de l’agent de la Sûreté. Il lui faut, comme à tous les grands comédiens, un public sympathique, et vaguement il sentait qu’on allait travailler devant un amateur.

      VI

      M. Lecoq s’engagea le premier dans l’escalier, et tout d’abord les taches de sang lui sautèrent aux yeux.

      – Oh! faisait-il, d’un air révolté, à chaque tache nouvelle, oh! oh! les malheureux.

      M. Courtois fut très touché de rencontrer cette sensibilité chez un agent de police. Il pensait que cette épithète de commisération s’appliquait aux victimes. Il se trompait, car M. Lecoq, tout en montant, continuait:

      – Les malheureux! On ne salit pas tout ainsi dans une maison, ou du moins on essuie. On prend des précautions, que diable!

      Arrivé au premier étage, à la porte du boudoir précédant la chambre à coucher, l’agent de la Sûreté s’arrêta, étudiant bien, avant d’y pénétrer, la disposition de l’appartement.

      Ayant bien vu ce qu’il voulait voir, il entra en disant:

      – Allons! je n’ai pas affaire à de mes pratiques.

      – Mais il me semble, remarqua le juge d’instruction, que nous avons déjà des éléments d’instruction qui doivent singulièrement faciliter votre tâche. Il est clair que Guespin, s’il n’est pas complice du crime, en a du moins eu connaissance.

      M. Lecoq eut un coup d’œil pour le portrait de la bonbonnière. C’était plus qu’un regard, c’était une confidence. Évidemment il disait à la chère défunte ce qu’il n’osait dire tout haut.

      – Je sais bien, reprit-il, Guespin est terriblement compromis. Pourquoi ne veut-il pas dire où il a passé la nuit? D’un autre côté il a contre lui l’opinion publique, et alors, moi, naturellement je me défie.

      L’agent de la Sûreté se tenait seul au milieu de la chambre – les autres personnes, sur sa prière, étaient restées sur le seuil – et promenant autour de lui son regard terne, il cherchait une signification à l’horrible désordre.

      – Imbéciles! disait-il d’une voix irritée, doubles brutes! Non, vrai, on ne travaille pas de cette façon. Ce n’est pas une raison parce qu’on tue les gens afin de les voler, de tout casser chez eux. On ne défonce pas les meubles, que diable! On porte avec soi des rossignols, de jolis rossignols qui ne font aucun bruit, mais qui font d’excellente besogne. Maladroits! idiots! Ne dirait-on pas…

      Il s’arrêta, bouche béante.

      – Eh! reprit-il, pas si maladroits peut-être.

      Les témoins de cette scène se tenaient immobiles à l’entrée, suivant avec un intérêt mêlé de surprise les mouvements – il faudrait presque dire les exercices de M. Lecoq.

      Agenouillé sur le tapis, il promenait sa main à plat sur le tissu épais, au milieu des morceaux de porcelaine.

      – C’est humide, très humide, tout le thé n’était pas bu, il s’en faut, quand on a cassé la porcelaine.

      – Il pouvait rester beaucoup de thé dans la théière, objecta le père Plantat.

      – Je le sais, répondit M. Lecoq, et c’est justement ce que j’étais en train de me dire. De telle sorte, que cette humidité ne suffit pas pour nous donner le moment précis du crime.

      – Mais la pendule nous le donne, s’écria M. Courtois, et très exactement même.

      – En effet, approuva M. Domini, monsieur le maire dans son procès-verbal explique fort bien que dans la chute le mouvement s’est arrêté.

      – Eh bien! dit le père Plantat, c’est justement l’heure de cette pendule qui m’a frappé. Elle marque trois heures et vingt minutes et nous savons que la comtesse était complètement habillée, comme dans le milieu du jour quand on l’a frappée. Était-elle donc encore debout, prenant une tasse de thé à trois heures du matin? C’est peu probable.

      – Et moi aussi, reprit l’agent de la Sûreté, j’ai été frappé de cette circonstance, et c’est pour cela que tout à l’heure je me suis écrié: «Pas si bêtes!» Au surplus, nous allons bien voir.

      Aussitôt, avec des précautions infinies, il releva la pendule et la replaça sur la tablette de la cheminée s’appliquant à la poser bien d’aplomb.

      Les aiguilles étaient toujours arrêtées sur trois heures vingt minutes.

      – Trois heures vingt, murmurait M. Lecoq, tout en glissant une petite cale sous le socle, ce n’est pas à cette heure-là, que diable! qu’on prend le thé. C’est encore moins à cette heure-là, qu’en plein mois de juillet, au lever du jour, on assassine les gens.

      Il ouvrit, non sans peine, le caisson du cadran et poussa la grande aiguille jusque sur la demie de trois heures.

      La pendule sonna onze coups.

      – À la bonne heure! s’écria M. Lecoq triomphant, voilà la vérité!

      Et tirant de sa poche la bonbonnière à portrait, il goba un carré de guimauve et dit:

      – Farceurs!..

      La simplicité de ce moyen de contrôle, auquel personne n’avait songé, ne laissait pas de surprendre les spectateurs.

      M. Courtois, particulièrement, était émerveillé.

      – Voilà, dit-il au docteur, un drôle qui ne manque pas de moyens dans sa partie.

      – Ergo, reprenait M. Lecoq, qui sait le latin, nous avons en face de nous, non plus des brutes, comme j’ai failli le croire d’abord, mais des gredins qui y voient plus loin que le bout de leur couteau. Ils ont mal calculé leur affaire, c’est une justice à leur rendre, mais enfin ils ont calculé; l’indication est précise. Ils ont eu l’intention d’égarer l’instruction en la trompant sur l’heure.

      – Je ne vois pas clairement leur but, insinua M. Courtois.

      – Il est cependant bien visible, répondit M. Domini. N’était-il pas de l’intérêt des assassins de faire croire que le crime a été commis après le dernier passage du train se dirigeant sur Paris? Quittant ses camarades à neuf heures, à la gare de Lyon, Guespin pouvait être ici à dix heures, assassiner ses maîtres, s’emparer de l’argent qu’il savait en la possession du comte de Trémorel et regagner Paris par le dernier train.

      – Ces suppositions sont très aimables, objecta le père Plantat. Mais alors, comment Guespin n’est-il pas allé rejoindre ses camarades chez Wepler, aux Batignolles; par là, jusqu’à un certain point, il se ménageait une espèce d’alibi.

      Dès le commencement de l’enquête, le docteur Gendron s’était assis sur l’unique chaise intacte de la chambre, réfléchissant au subit malaise qui avait fait pâlir le père Plantat lorsqu’on avait parlé de Robelot le rebouteux.

      Les explications du juge d’instruction le tirèrent de ses méditations; il se leva.

      – Il y a autre chose encore, dit-il, cette avance de l’heure très utile à Guespin peut devenir accablante pour La Ripaille, son complice.

      – Mais, répondit M. Domini, il se peut fort bien que La Ripaille n’ait point été consulté. Pour ce qui est de Guespin,


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