La Daniella, Vol. I. Жорж Санд

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La Daniella, Vol. I - Жорж Санд


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et dans son bonheur, dans sa raison peut-être! Ce qui me choque et m'étourdit dans cette estime de soi que rien ne justifie, c'est peut-être là, tout de bon, le moyen grossier, mais toujours sûr, de réaliser ses rêves. Mais où diable va-t-on chercher de pareils rêves?

      VI

      Passé Gênes, 16 mars, onze heures du soir.

      Toujours à bord du Castor! Mais j'ai passé une magnifique journée. Ce matin, je me suis éveillé à six heures, après avoir un peu dormi, bien malgré moi, car c'est un vrai plaisir, pour qui n'en a pas l'habitude, d'entendre, de voir et de sentir le flot, même dans les ténèbres. Je dis voir, parce que les sillages phosphorescents dessinent mille arabesques changeantes autour des flancs du navire. On s'hébète à regarder cela, il me semble que je ne m'en lasserais jamais.

      Je m'étais assoupi ayant froid, je me suis éveillé ayant chaud. Le soleil brillait déjà, le soleil d'Italie! C'est lui que j'ai salué le premier, et ensuite j'ai été libre de saluer le Gigante. Vous connaissez par les gravures et par le daguerréotype cette riante entrée du port de Gênes, cette colonnade des jardins du palais Doria, et cette statue colossale (qui n'est pas celle d'André) qui, de la colline où elle se tient depuis si longtemps sur ses grosses jambes, semble, d'un air bonhomme, vous souhaiter la bienvenue. Je vous ferai donc grâce de cette description. Le premier aspect de la ville a, vous le savez, plus d'étrangeté que de beauté; mais c'est une étrangeté souriante; et, ici, le moyen âge n'a rien laissé d'imposant, rien de lugubre non plus.

      On vous fait attendre le débarquement pendant deux mortelles heures, et ensuite, pour vous permettre de passer une journée sur le territoire sarde, on vous rançonne sous prétexte de visa, sans compter le temps qu'on vous prend encore à vous faire attendre le bon plaisir de la police et des ambassades. L'accueil n'a rien d'hospitalier, je vous jure, pour les pauvres diables. Enfin, il m'a été possible de pénétrer dans la ville et d'y chercher, à tout hasard, un coin pour déjeuner. Mon camarade Brumières n'avait pas voulu débarquer, sa princesse grecque ne débarquant pas. Je l'ai donc laissé tout le jour sur le Castor, occupé à tâcher de renouer la conversation avec l'objet de ses pensées et à tirer les vers du nez à ses domestiques. Et puis il est un peu comme le harpiste, il méprise Gênes, il méprise tout ce qui n'est pas Rome et les sept collines.

      Le hasard m'a conduit devant la porte du café de la Concordia. La vue du petit jardin m'a tenté. Je me suis fait servir le café sous des orangers, de véritables orangers couverts d'oranges, au milieu de plates-bandes fleuries auxquelles le soleil donnait des tons resplendissants. Mais ne soupirez pas trop. Le climat de cette région est, sinon aussi froid, du moins aussi variable que le nôtre. Nos déplorables printemps de ces dernières années ont eu ici leur contre-coup, et j'entendais dire autour de moi que cette belle journée était la première de l'année. J'en ai remercié le ciel, qui m'a permis de voir ainsi l'ancienne reine de la Méditerranée dans toute sa splendeur. En tant que cité commerçante, progressive et civilisée, elle est bien détrônée aujourd'hui par Marseille; mais, comme arrangement et distribution pittoresques, il y a la différence d'une belle aventurière à une belle bourgeoise. La première un peu follement accoutrée et mêlant des ornements exquis à des parures risquées, mais ayant ces grâces qui entraînent ou ces originalités qui plaisent; l'autre plus sage, plus soumise à la mode, décente, riche, propre, mais ressemblant à tout le monde.

      En somme, l'aspect général de Gênes n'est pas satisfaisant, mais le détail est souvent adorable. Les maisons peintes sont décidément une laide chose; heureusement, la mode s'en perd. La ville, jetée sur des plans inégaux, n'a ni queue ni tête, mais les belles rues sont curieuses et amusantes. On appelle ici les belles rues celles qui sont bordées de beaux palais; par malheur, elles sont si étroites, que ces beaux palais y sont enfouis. On passe en admirant les portes et les dessous de la construction; mais il faut se tordre le cou pour voir l'édifice, et encore, ne se fait-on, quelque part qu'on se mette, qu'une idée vague de ses proportions et de son élégance.

      Il faudrait consacrer une journée à chacune de ces demeures d'un style varié au dedans comme au dehors. Cette variété étonne, éblouit, amuse et fatigue. Il y a beaucoup de marbres, beaucoup de fresques, beaucoup de dorures, et tout cela a coûté beaucoup d'argent. C'est petit et mignon à l'extérieur. Au dedans, les salles sont vastes et l'on s'étonne qu'elles tiennent dans des palais qui semblent tenir eux-mêmes si peu de place. Plus loin, il y a de belles promenades bordées de vilaines petites maisons; des églises riches et encombrées de choses précieuses et coûteuses; et puis des sentiers à pic, bordés de hautes maisons très-laides, des passages noirs qui s'ouvrent tout à coup sur des verdures éblouissantes, puis le roc à pic devant et derrière soi; puis la mer vue d'en haut et toujours belle; des fortifications gigantesques, interminables; des jardins sur les toits; des villas jetées au hasard sur les collines environnantes, profusion de bâtisses criardes, qui, vues de loin, gâtent le cadre naturel de la ville; enfin, c'est incohérent: ce n'est pas une cité, c'est un amas de nids que toutes sortes d'oiseaux sont venus construire là, chacun faisant à sa tête et s'emparant de la place et des matériaux qui lui plaisaient. Si on ne se disait pas que c'est l'Italie, on se persuaderait volontiers que ce n'est pas ce que l'on attendait; mais il faut ne point penser à cela, et plutôt se livrer à cette influence de désordre et de caprice qui rend un peu fou à première vue.

      Après avoir couru deux ou trois heures, tantôt choqué, tantôt ravi, je suis entré dans quelques palais. Ah! mon ami, que j'ai vu de beaux Van Dyck et de beaux Véronèse! Mais les étranges intérieurs que ceux de ces nobles Génois! Quels drôles de petits détails attestent l'incurie ou l'absence du goût! quelles croûtes de portraits modernes, quels mesquins petits meubles, quelles plaisantes acquisitions de la veille au milieu de ces chefs-d'oeuvre, de ces décorations splendides et de ces raretés rapportées par les ancêtres voyageurs ou trafiquants éclairés! Comme la petite faïence anglaise jure à côté de la monumentale potiche de Chine, et comme nos colifichets d'industrie française à bon marché d'il y a dix ans sont étonnés de se trouver mêlés à ces vieux marbres et à ces fières peintures!

      Il semble que les descendants des illustrissimes navigateurs aient pris en dégoût tout ce luxe de pirates, ou que la lassitude du cérémonial ait gagné les têtes, comme celle de mon Anglais de la Réserve. Peut-être ont-ils perdu quelque chose de plus que le goût de la magnificence, le goût du beau. On va jusqu'à dire que, dans certains palais, des toiles de grands maîtres ont été vendues aux étrangers par des gardiens infidèles, remplacées par des copies médiocres, et que les propriétaires ne s'en sont pas encore aperçus.

      Je ne vous affirme nullement le fait; mais, pour vous résumer mon impression générale, je vous dirai qu'ici tout est surprise charmante ou brusque déception. Si j'eusse été en humeur de travailler, le pittoresque m'eût pourtant retenu; il est à chaque pas, dans une ville aussi raboteuse; il faudrait s'arrêter devant toutes ces ruelles qui se tordent et se précipitent d'un plan à l'autre, passant sous des arcades multipliées qui relient les maisons entre elles et projettent, sur ces profondeurs brillantes, des ombres d'un velouté et d'une transparence inouïs. Oh! s'il ne s'agissait que de peinture, la vie tout entière d'un artiste minutieux pourrait bien se consumer devant une de ces ruelles à perspective mouvementée! Mais il s'agit d'autre chose; il s'agit d'avancer, de comprendre, de vivre si faire se peut!

      Pendant que j'avalais Gênes des yeux, des jambes et de l'esprit, mons Brumières poursuivait sa déesse. Mais voilà où Recommence l'aventure, qui, j'espère, va vous faire oublier l'informe esquisse que je viens de mettre sous vos yeux.

      Quand, à huit heures du soir, je suis remonté, affamé et harassé, sur le Castor, j'ai trouvé le pont tellement encombré de beau monde, qu'on eût dit d'une fête. Ce bruit et cette foule venaient d'un notable surcroît de passagers à bord; des Anglais, toujours des Anglais, et puis quelques Français et quelques indigènes, ces derniers ayant amené là toute leur famille et tous leurs amis, qui, en manière d'adieux, causaient gaiement avec eux, en attendant le moment de lever l'ancre.

      Au milieu de cette bagarre, que rendaient plus étourdissante les chanteurs et guitaristes ambulants postés dans des barques autour du Castor, et tendant leurs casquettes aux passagers,


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