Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1. Жорж Санд

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Le péché de Monsieur Antoine, Tome 1 - Жорж Санд


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même que vous vous êtes trouvé où vous ne deviez pas être, répondit M. Cardonnet d'un ton sévère, et avec l'intention évidente d'intimider le hardi paysan. Jean, voici une dernière occasion de nous entendre et de nous connaître; profitez-en, ou vous vous en repentirez. Quand je suis arrivé ici, l'année dernière, j'ai remarqué votre activité, votre intelligence, l'affection que vous portaient tous les ouvriers et tous les habitants de ce village. J'ai eu sur votre probité les meilleurs renseignements, et j'ai résolu de vous mettre à la tête de mes travaux de charpente; j'ai offert de doubler pour vous seul le salaire, soit à la journée, soit à la tâche. Vous m'avez répondu par des billevesées, et comme si vous ne me preniez pas pour un homme sérieux.

      – Ce n'est pas ça, Monsieur, faites excuse; je vous ai dit que je n'avais pas besoin de vos travaux, et que j'en avais dans le bourg plus que je n'en pouvais faire.

      – Défaite et mensonge! Vous étiez très mal dans vos affaires, et vous y voilà pire que jamais. Poursuivi pour dettes, vous avez été forcé de quitter votre maison, d'abandonner votre atelier, et de vous cacher dans les montagnes comme un gibier traqué par les chasseurs.

      – Quand on se mêle de raisonner, reprit Jean avec hauteur, il faut dire la vérité. Je ne suis pas poursuivi pour dettes, comme vous l'entendez, Monsieur. J'ai toujours été un honnête homme et rangé, et si je dois un sou dans le village ou dans les environs, que quelqu'un vienne le dire et lever la main contre moi. Cherchez, vous ne trouverez personne!

      – Il y a pourtant trois mandats d'amener contre vous, et, depuis deux mois, les gendarmes sont à votre poursuite sans pouvoir vous appréhender.

      – Et ils y seront tant que je voudrai. Le grand mal, pas vrai, que ces braves gendarmes promènent leurs chevaux sur une rive de la Creuse, tandis que je promène mes jambes sur l'autre! Voilà des gens qui sont bien malades, eux qui sont payés pour prendre l'air et rendre compte de ce qu'ils ne font pas! Ne les plaignez pas tant, monsieur Cardonnet, c'est le gouvernement qui les paye, et le gouvernement est assez riche pour que je lui fasse banqueroute de mille francs … car c'est la vérité que je suis condamné à payer mille francs ou à aller en prison! Ça vous étonne, vous, jeune homme, qu'un pauvre diable qui a toujours obligé son prochain, au lieu de lui nuire, soit poursuivi comme un forçat évadé? Vous n'avez pas encore un mauvais cœur, quoique riche, parce que vous êtes jeune. Eh bien, sachez donc mes fautes. Pour avoir envoyé trois bouteilles de vin de ma vigne à un camarade qui était malade, j'ai été pris par les gabelous comme vendant du vin sans payer les droits, et comme je ne pouvais pas mentir et m'humilier pour obtenir une transaction, comme je soutenais la vérité qui est que je n'avais pas vendu une goutte de vin, et que, par conséquent, je ne pouvais pas être puni, j'ai été condamné à payer ce qu'ils appellent le minimum, cinq cents francs d'amende. Excusez, le minimum! cinq cents francs, le prix de mon travail de l'année pour un cadeau de trois bouteilles de vin! Sans compter que mon pauvre confrère, qui les avait reçues, a été condamné aussi, et c'est ce qui m'a mis le plus en colère. Et comme je ne pouvais pas payer une pareille somme, on a tout saisi, tout pillé, tout vendu chez moi, jusqu'à mes outils de charpentier. Alors, à quoi bon payer patente pour un métier qui ne peut plus vous nourrir? J'ai cessé de le faire, et, un jour que je travaillais en journée hors de chez moi, autre persécution, querelle avec l'adjoint, où j'ai failli m'oublier et le frapper. Que devenir? Le pain manquait dans mon bahut; j'ai pris un fusil et j'ai été tuer un lièvre dans la bruyère. Autrefois, dans ce pays-ci, le braconnage était passé à l'état de coutume et de droit: les anciens seigneurs n'y regardaient pas de près, depuis la révolution; ils braconnaient même avec nous, quand ça leur faisait plaisir.

      – Témoin M. Antoine de Châteaubrun, qui le fait encore, dit M. Cardonnet d'un ton ironique.

      – Pourvu qu'il n'aille pas sur vos terres, qu'est-ce que cela vous fait? reprit le paysan irrité. Tant il y a que, pour avoir tué un lièvre au fusil, et pris deux lapins au collet, j'ai été encore pincé et condamné à l'amende et à la prison. Mais je me suis échappé des pattes des gendarmes, comme ils me conduisaient à l'auberge du gouvernement; et, depuis ce temps-là, je vis comme je l'entends, sans vouloir aller tendre mon bras à la chaîne.

      – On sait fort bien comment vous vivez, Jean, dit M. Cardonnet. Vous errez nuit et jour, braconnant en tous lieux et en toute saison, ne couchant jamais deux nuits de suite au même endroit, et le plus souvent à la belle étoile; recevant parfois l'hospitalité à Châteaubrun, dont le châtelain a été nourri par votre mère, et que je ne blâme pas de vous assister, mais qui ferait plus sagement, dans vos intérêts, de vous prêcher le travail et une vie régulière. Allons, Jean, c'est assez de paroles inutiles, et vous allez m'écouter. Je prends pitié de votre sort, et je vais vous rendre la liberté et la sécurité, en me portant caution pour vous. Vous en serez quitte pour quelques jours de prison, seulement pour la forme, je paierai toutes vos amendes, et vous pourrez alors marcher tête levée, est-ce clair?

      – Oh! vous avez raison, mon père, s'écria Émile, vous êtes bon, vous êtes juste. Eh bien, Jean, vous ai-je trompé?

      – Il paraît que vous vous connaissiez déjà, dit M. Cardonnet.

      – Oui, mon père, répondit Émile avec feu, Jean m'a rendu personnellement service hier soir; et ce qui m'attache à lui encore plus, c'est que je l'ai vu ce matin exposer sa vie bien sérieusement pour retirer de l'eau un enfant qu'il a sauvé. Jean, acceptez les services de mon père, et que sa générosité triomphe d'un orgueil mal entendu.

      – C'est bien, monsieur Émile, répondit le charpentier, vous aimez votre père, c'est bien. Moi aussi, je respectais le mien! Mais voyons, monsieur Cardonnet, à quelles conditions ferez-vous tout ça pour moi?

      – Tu travailleras à mes charpentes, répondit l'industriel. Tu en auras la direction.

      – Travailler pour votre établissement, qui sera la ruine de tant de gens!

      – Non, mais qui fera la fortune de tous mes ouvriers et la tienne.

      – Allons, dit Jean ébranlé: si ce n'est pas moi qui fais vos charpentes, d'autres les feront, et je ne pourrai rien empêcher. Je travaillerai donc pour vous, jusqu'à concurrence de mille francs. Mais qui me nourrira pendant que je vous paierai ma dette au jour le jour?

      – Moi, puisque j'augmenterai d'un tiers le produit de ta journée.

      – Un tiers, c'est peu, car il faudra que je m'habille. Je suis tout nu.

      – Eh bien! je double; ta journée est de trente sous au prix courant du pays, je te la paie trois francs; tous les jours tu en recevras la moitié, l'autre moitié étant consacrée à t'acquitter envers moi.

      – Soit; ce sera long, j'en aurai au moins pour quatre ans.

      – Tu te trompes, pour deux ans juste. J'espère bien que dans deux ans je n'aurai plus rien à bâtir.

      – Comment, Monsieur, je travaillerai donc chez vous tous les jours, tous les jours de l'année sans désemparer?

      – Excepté le dimanche.

      – Oh! le dimanche, je le crois bien! Mais je n'aurai pas un ou deux jours par semaine que je pourrai passer à ma fantaisie?

      – Jean, tu es devenu paresseux, je le vois. Voilà déjà les fruits du vagabondage.

      – Taisez-vous! dit fièrement le charpentier; paresseux vous-même! Jamais le Jean n'a été lâche, et ce n'est pas à soixante ans qu'il le deviendra. Mais, voyez-vous, j'ai une idée pour me décider à prendre votre ouvrage. C'est celle de me bâtir une petite maison. Puisqu'on m'a vendu la mienne, j'aime autant en avoir une neuve, faite par moi tout seul, et à mon goût, à mon idée. Voilà pourquoi je veux au moins un jour par semaine.

      – C'est ce que je ne souffrirai pas, répondit l'industriel avec roideur. Tu n'auras pas de maison, tu n'auras pas d'outils à toi, tu coucheras chez moi, tu mangeras chez moi, tu ne te serviras que de mes outils, tu …

      – En voilà bien assez pour me faire voir que je serai votre propriété et votre esclave. Merci, Monsieur, il n'y a rien de fait.»

      Et


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