Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1). Voltaire

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Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1) - Voltaire


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fossé, un rempart, une forte muraille et des tours, depuis même que les Chinois se servent de canons, ils n'ont point suivi le modèle de nos Places de guerre; mais au-lieu qu'ailleurs on fortifie des Places, les Chinois ont fortifié leur Empire. La grande muraille qui séparait et défendait la Chine des Tartares, bâtie cent trente-sept ans avant notre Ère, subsiste encore dans un contour de 500 lieues, s'élève sur des montagnes, descend dans des précipices, ayant presque partout 20 de nos pieds de largeur sur plus de 30 de hauteur. Monument supérieur aux Pyramides d'Égypte par son utilité, comme par son immensité.

      Ce rempart n'a pu empêcher les Tartares de profiter dans la suite des temps des divisions de la Chine, et de la subjuguer; mais la constitution de l'État n'en a été ni affaiblie ni changée. Le Pays des Conquérants est devenu une partie de l'État conquis, et les Tartares Mandchous, maîtres aujourd'hui de la Chine, n'ont fait autre chose que se soumettre les armes à la main aux Lois du Pays dont ils ont envahi le Trône.

      Le revenu ordinaire de l'Empereur se monte, selon les supputations les plus vraisemblables, à deux cents millions d'onces d'argent. Il est à remarquer que l'once d'argent ne vaut pas cent de nos sous valeur intrinsèque, comme le dit l'Histoire de la Chine; car il n'y a point de valeur intrinsèque numéraire; mais à prendre le marc de notre argent à 50 de nos livres de compte, cette somme revient à 1250 millions de notre monnaie en 1740. Je dis en ce temps; car cette valeur arbitraire n'a que trop changé parmi nous, et changera peut-être encore: c'est à quoi ne prennent pas assez garde les Écrivains plus instruits des livres que des affaires, qui évaluent souvent l'argent étranger d'une manière fort fautive.

      Ils ont eu des Monnaies d'or et d'argent frappées avec le coin, longtemps avant que les Dariques fussent frappés en Perse. L'Empereur Cang-hi avait rassemblé une suite de 3000 de ces monnaies, parmi lesquelles il y en avait beaucoup des Indes; autre preuve de l'ancienneté des Arts dans l'Asie; mais depuis longtemps l'or n'est plus une mesure commune à la Chine, il y est marchandise comme en Hollande, l'argent n'y est plus monnaie: le poids et le titre en font le prix; on n'y frappe plus que du cuivre, qui seul dans ce Pays a une valeur arbitraire. Le Gouvernement dans des temps difficiles a passé en papier, comme on a fait depuis dans plus d'un État de l'Europe; mais jamais la Chine n'a eu l'usage des Banques publiques, qui augmentent les richesses d'une Nation, en multipliant son crédit.

      Ce Pays favorisé de la Nature possède presque tous les fruits de notre Europe, et beaucoup d'autres qui nous manquent. Le Blé, le Riz, la Vigne, les Légumes, les Arbres de toutes espèces y couvrent la terre; mais les Peuples n'ont jamais fait de Vin, satisfaits d'une liqueur assez forte qu'ils savent tirer du riz.

      L'Insecte précieux qui produit la Soie, est originaire de la Chine; c'est de-là qu'il passa en Perse assez tard avec l'Art de faire des étoffes, du duvet qui les couvre; et ces étoffes étaient si rares du temps même de Justinien, que la Soie se vendait en Europe au poids de l'or.

      Le Papier fin et d'un blanc éclatant était fabriqué chez les Chinois de temps immémorial, on en faisait avec les filets de bois de Bambou bouilli. On ne connaît pas la première époque de la Porcelaine et de ce beau Vernis qu'on commence à imiter et à égaler en Europe.

      Ils savent depuis 2000 ans fabriquer le Verre, mais moins beau et moins transparent que le nôtre.

      L'Imprimerie y fut inventée par eux du temps de Jules César. On sait que cette Imprimerie est une gravure sur des planches de bois, telle que Gutenberg la pratiqua le premier à Mayence au XIVe Siècle. L'Art de graver les caractères sur le bois, est plus perfectionné à la Chine; notre méthode d'employer les caractères mobiles et de fonte, beaucoup supérieure à la leur, n'a point encore été adoptée par eux, tant ils sont attachés à leurs anciens usages.

      Ils avaient un peu de Musique, mais si informe et si grossière, qu'ils ignoraient les semi-tons.

      L'usage des Cloches est chez eux de la plus haute antiquité. Ils ont cultivé la Chimie, et sans devenir jamais bons Physiciens, ils ont inventé la poudre; mais ils ne s'en servaient que dans des Fêtes, dans l'Art des Feux d'artifice, où ils ont surpassé les autres Nations. Ce furent les Portugais qui dans ces derniers Siècles leur ont enseigné l'usage de l'Artillerie, et ce sont les Jésuites qui leur ont appris à fondre le Canon. Si les Chinois ne s'appliquent pas à inventer ces instruments destructeurs, il ne faut pas en louer leur vertu, puisqu'ils n'en ont pas moins fait la guerre.

      Jamais leur Géométrie n'alla au-delà des simples éléments. Ils poussèrent plus loin l'Astronomie, en tant qu'elle est la science des yeux et le fruit de la patience. Ils observèrent le Ciel assidûment, remarquèrent tous les phénomènes, et les transmirent à la postérité. Ils divisèrent, comme nous, le cours du Soleil en 365 parties. Ils connurent, mais confusément, la précision des Équinoxes et des Solstices. Ce qui mérite peut-être le plus d'attention, c'est que de temps immémorial ils partagent le mois en semaines de sept jours.

      On montre encore les instruments dont se servit un de leurs fameux Astronomes mille ans avant notre Ère, dans une Ville qui n'est que du troisième ordre.

      Nankin, l'ancienne Capitale, conserve un Globe de bronze, que trois hommes ne peuvent embrasser, porté sur un cube de cuivre qui s'ouvre, et dans lequel on fait entrer un homme pour tourner ce Globe, sur lequel sont tracés les méridiens et les parallèles.

      Pékin a un Observatoire rempli d'Astrolabes et de Sphères armillaires; instruments à-la-vérité inférieurs aux nôtres pour l'exactitude, mais témoignages célèbres de la supériorité des Chinois sur les autres Peuples d'Asie.

      La Boussole qu'ils connaissaient, ne servait pas à son véritable usage de guider la route des Vaisseaux. Ils ne naviguaient que près des côtes; possesseurs d'une terre qui fournit tout, ils n'avaient pas besoin d'aller, comme nous, au bout du Monde. La Boussole, ainsi que la Poudre à tirer, était pour eux une simple curiosité, et ils n'en étaient pas plus à plaindre.

      Il est étrange que leur Astronomie et leurs autres Sciences soient en même temps si anciennes chez eux et si bornées: ce qui est moins étonnant, c'est la crédulité avec laquelle ces Peuples ont toujours joint leurs erreurs de l'Astrologie judiciaire aux vraies Connaissances célestes.

      Cette superstition a été celle de tous les hommes, et il n'y a pas longtemps que nous en sommes guéris, tant l'erreur semble faite pour le Genre humain.

      Si on cherche pourquoi tant d'Arts et de Sciences cultivées sans interruption depuis si longtemps à la Chine, ont cependant fait si peu de progrès, il y en a peut-être deux raisons; l'une est le respect prodigieux que ces Peuples ont pour ce qui leur a été transmis par leurs Pères, et qui rend parfait à leurs yeux tout ce qui est ancien, l'autre est la nature de leur Langue, premier principe de toutes les connaissances.

      L'Art de faire connaître ses idées par l'écriture, qui devrait n'être qu'une méthode très-simple, est chez eux ce qu'ils ont de plus difficile. Chaque mot a des caractères différents: un Savant à la Chine est celui qui connaît le plus de ces caractères, quelques-uns sont arrivés à la vieillesse avant de savoir bien écrire.

      Ce qu'ils ont le plus connu, le plus cultivé, le plus perfectionné, c'est la Morale et les Lois. Le respect des enfants pour les Pères est le fondement du Gouvernement Chinois. L'autorité paternelle n'y est jamais affaiblie. Un fils ne peut plaider contre son Père qu'avec le consentement de tous les parents, des amis, et des Magistrats. Les Mandarins lettrés y sont regardés comme les Pères des Villes et des Provinces, et le Roi comme le Père de l'Empire. Cette idée enracinée dans les cœurs, forme une famille de cet État immense.

      Tous les vices y existent comme ailleurs, mais plus réprimés par le frein des Lois.

      Les cérémonies continuelles qui y gênent la société, et dont l'amitié seule se défait dans l'intérieur des maisons, ont établi dans toutes les Nations une retenue et une honnêteté qui donne à la fois aux mœurs de la gravité et de la douceur. Ces qualités s'étendent jusqu'au dernier du peuple. Des Missionnaires racontent que souvent dans des Marchés publics, au milieu de ces embarras et de ces confusions qui excitent dans nos Contrées des clameurs si barbares et des emportements si fréquents et si odieux, ils ont vu les Paysans se mettre à genoux les uns devant les autres selon la coutume du Pays, se demander


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