Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1). Voltaire

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Abrégé de l'Histoire universelle depuis Charlemagne jusques à Charlequint (Tome 1) - Voltaire


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Superstition y a dès longtemps étouffé les Sciences qu'on y venait apprendre dans les temps reculés. Les Bonzes et les Bramins,4 successeurs des Bracmanes5, y soutiennent la doctrine de la Métempsycose. Ils y répandent d'ailleurs l'abrutissement avec l'erreur: ils engagent, quand ils peuvent, les femmes à se brûler sur le corps de leurs maris morts. Les vastes Côtes de Coromandel sont en proie à ces coutumes affreuses, que le Gouvernement Mahométan n'a pu encore détruire.

      Ces Bramins, qui entretiennent dans le peuple la plus stupide idolâtrie, ont pourtant entre leurs mains un des plus anciens Livres du Monde, écrit par leurs premiers Sages, dans lequel on ne reconnaît qu'un seul Être suprême. Ils conservent précieusement ce témoignage qui les condamne. Ils prêchent des erreurs qui leur sont utiles, et cachent une vérité qui ne serait que respectable.

      Dans ce même Indoustan sur les Côtes de Malabar et de Coromandel, on est surpris de trouver des Chrétiens établis depuis environ 1200 ans. Ils se nomment les Chrétiens de St. Thomas. Un Marchand Chrétien de Syrie nommé Mar Thomas (Mar signifie Monsieur) y établit sa religion avec son commerce. Il y laissa une nombreuse famille, des Facteurs, des Ouvriers, qui s'étant un peu multipliés, ont depuis douze Siècles conservé la Religion de Mar Thomas, qu'on n'a pas manqué de prendre ensuite pour St. Thomas l'Apôtre.

      Ces Chrétiens ne connaissaient ni la Suprématie de Rome, ni la Transubstantiation, ni plusieurs Sacrements, ni le Purgatoire, ni le Culte des Images. Nous verrons en son temps comment de nouveaux Missionnaires leur ont appris ce qu'ils ignoraient.

      En remontant vers la Perse, on y trouve un peu avant le temps qui me sert d'époque, la plus grande et la plus prompte révolution que nous connaissions sur la Terre.

      Une nouvelle Domination, une Religion et des Mœurs jusqu'alors inconnues, avaient changé la face de ces Contrées; et ce changement s'étendait déjà fort avant en Asie, en Afrique et en Europe.

      Pour me faire une idée du Mahométisme qui a donné une nouvelle forme à tant d'Empires, je me rappellerai d'abord les parties du Monde qui lui furent les premières soumises.

      La Perse avait étendu sa domination avant Alexandre, de l'Égypte à la Bactriane au-delà du Pays où est aujourd'hui Samarcande, et de la Thrace jusqu'au Fleuve de l'Inde.

      Divisée et resserrée sous les Séleucides, elle avait repris des accroissements sous Arsaces le Parthien 250 ans avant JÉSUS-CHRIST. Les Arsacides n'eurent ni la Syrie, ni les Contrées qui bordent le Pont-Euxin; mais ils disputèrent avec les Romains de l'Empire de l'Orient, et leur opposèrent toujours des barrières insurmontables.

      Du temps d'Alexandre Sévère, vers l'an 226, Artaxare enleva ce Royaume et rétablit l'Empire des Perses, dont l'étendue ne différait guères alors de ce qu'elle est de nos jours.

      Au milieu de toutes ces révolutions, l'ancienne Religion des Mages s'était toujours soutenue en Perse, et ni les Dieux des Grecs, ni d'autres Divinités n'avaient prévalu.

      Noushirvan ou Cosroés le Grand, sur la fin du VIe Siècle, avait étendu son empire dans une partie de l'Arabie pétrée et de celle qu'on nommait heureuse. Il en avait chassé des Abyssins Chrétiens, qui l'avaient envahie. Il proscrivit autant qu'il le put le Christianisme de ses propres États, forcé à cette sévérité par le crime d'un fils de sa femme, qui s'étant fait Chrétien, se révolta contre lui.

      La dernière année du règne de ce fameux Roi, naquit Mahomet à la Mecque dans l'Arabie pétrée en 570. Son Pays défendait alors sa liberté contre les Perses et contre ces Princes de Constantinople, qui retenaient toujours le nom d'Empereurs Romains.

      Les enfants du Grand Noushirvan, indignes d'un tel Père, désolaient la Perse par des guerres civiles et par des parricides. Les successeurs du sage Justinien avilissaient le nom de l'Empire. Maurice venait d'être détrôné par les armes de Phocas, et par les intrigues du Patriarche Ciriaque et de quelques Évêques, que Phocas punit ensuite de l'avoir servi. Le sang de Maurice et de ses cinq fils avait coulé sous la main du bourreau; et le Pape Grégoire le Grand, ennemi des Patriarches de Constantinople, tâchait d'attirer le Tyran Phocas dans son parti, en lui prodiguant des louanges, et en condamnant la mémoire de Maurice, qu'il avait loué pendant sa vie.

      L'Empire de Rome en Occident était anéanti, un déluge de Barbares, Goths,

      Hérules, Huns, Vandales inondaient l'Europe, quand Mahomet jetait dans les

      Déserts de l'Arabie les fondements de la Religion et de la Puissance

      Musulmane.

      On sait que Mahomet était le cadet d'une famille pauvre, qu'il fut longtemps au service d'une femme de la Mecque, nommée Caditscha, laquelle exerçait le négoce; qu'il l'épousa, et qu'il vécut obscur jusqu'à l'âge de quarante ans. Il ne déploya qu'à cet âge les talents qui le rendaient supérieur à ses compatriotes. Il avait une éloquence vive et forte, dépouillée d'art et de méthode, telle qu'il la fallait à des Arabes; un air d'autorité et d'insinuation, animé par des yeux perçants et par une physionomie heureuse; l'intrépidité d'Alexandre, sa libéralité, et la sobriété dont Alexandre aurait eu besoin pour être un grand-homme en tout.

      L'amour, qu'un tempérament ardent lui rendait nécessaire, et qui lui donna tant de femmes et de concubines, n'affaiblit ni son courage, ni son application, ni sa santé. C'est ainsi qu'en parlent les Arabes contemporains, et ce portrait est justifié par ses actions.

      Après avoir bien connu le caractère de ses concitoyens, leur ignorance, leur crédulité et leur disposition à l'enthousiasme, il vit qu'il pouvait s'ériger en Prophète. Il feignit des révélations, il parla, il se fit croire d'abord dans sa maison, ce qui était probablement le plus difficile. En trois ans il eut quarante-deux disciples persuadés; Omar, son persécuteur, devint son Apôtre; au bout de cinq ans il en eut 114.

      Il enseignait aux Arabes adorateurs des Étoiles, qu'il ne fallait adorer que le Dieu qui les a faites: que les Livres des Juifs et des Chrétiens s'étant corrompus et falsifiés, on devait les avoir en horreur: qu'on était obligé sous peine de châtiment éternel de prier cinq fois par jour; de donner l'aumône; et surtout, en ne reconnaissant qu'un seul Dieu, de croire en Mahomet son dernier Prophète; enfin de hasarder sa vie pour sa foi.

      Il défendit l'usage du Vin, parce que l'abus en est trop dangereux. Il conserva la Circoncision pratiquée par les Arabes, ainsi que par les anciens Égyptiens, instituée probablement pour prévenir ces abus de la première puberté, qui énervent souvent la jeunesse. Il permit aux hommes la pluralité des femmes, usage immémorial de tout l'Orient. Il n'altéra en rien la Morale, qui a toujours été la même dans le fond chez tous les hommes, et qu'aucun Législateur n'a jamais corrompue.

      Il proposait pour récompense une Vie éternelle, où l'Âme serait enivrée de tous les plaisirs spirituels, et où le Corps ressuscité avec ses sens goûterait par ces sens même toutes les voluptés qui lui sont propres.

      Sa Religion s'appela l'Islamisme,6 qui signifie résignation à la volonté de Dieu. Le Livre qui la contient, s'appela Coran, c'est-à-dire le Livre, ou l'Écriture, ou la Lecture par excellence.

      Tous les Interprètes de ce Livre conviennent que sa morale est contenue dans ces paroles: Recherchez qui vous chasse; donnez à qui vous offense; pardonnez à qui vous offense; faites du bien à tous; ne contestez point avec les Ignorants.

      Parmi les déclamations incohérentes, dont ce Livre est rempli selon le goût Oriental, on ne laisse pas de trouver des morceaux qui peuvent paraître sublimes. Mahomet, par exemple, en parlant de la cessation du Déluge, s'exprime ainsi. Dieu dit, Terre engloutis tes eaux, Ciel puise les ondes que tu a versées: le Ciel et la Terre obéirent.

      Sa définition de Dieu est d'un genre plus véritablement sublime. On lui demandait quel était cet Alla qu'il annonçait: C'est celui, répondit-il, qui tient l'être de soi-même, et de qui les autres le tiennent; qui n'engendre point, et qui n'est point engendré; et à qui


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<p>4</p>

Orthographe originale de l'édition de Jean Neaulme (1753).

<p>5</p>

Orthographe originale de l'édition de Jean Neaulme (1753).

<p>6</p>

Écrit «Ismamisme» dans l'édition originale de Jean Neaulme (1753).