Histoire du véritable Gribouille. Жорж Санд

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Histoire du véritable Gribouille - Жорж Санд


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te l'accorder.

      – Hélas! monsieur, répondit Gribouille tout transi de peur, ce que j'aurais à vous demander, vous ne pourrez pas faire que cela soit. Je ne suis pas aimé de mes parents et je voudrais l'être.

      – Il est vrai que la chose n'est point facile, répondit le monsieur habillé de noir; mais je ferai toujours quelque chose pour toi. Tu as beaucoup de bonté, je le sais, je veux que tu aies beaucoup d'esprit.

      – Ah! monsieur, s'écria Gribouille, si, pour avoir de l'esprit, il faut que je devienne méchant, ne m'en donnez point. J'aime mieux rester bête et conserver ma bonté.

      – Et que veux-tu faire de ta bonté parmi les méchants? reprit le gros monsieur d'une voix plus sombre encore et en roulant ses yeux, ardents comme braise.

      – Hélas! monsieur, je ne sais que vous répondre, dit Gribouille de plus en plus effrayé; je n'ai point d'esprit pour vous parler, mais je n'ai jamais fait de mal à personne: ne me donnez pas l'envie et le pouvoir d'en faire.

      – Allons, vous êtes un sot, repartit le monsieur noir. Je vous laisse, je n'ai pas le temps de vous persuader; mais nous nous reverrons, et, si vous avez quelque chose à me demander, souvenez-vous que je n'ai rien à vous refuser.

      – Vous êtes bien bon, monsieur, répondit Gribouille, dont les dents claquaient de peur. Mais aussitôt le monsieur se retourna, et son grand habit de velours noir, étant frappé par le soleil, devint gros bleu d'abord et puis d'un violet magnifique; sa barbe se hérissa, son manteau s'enfla; il fit entendre un rugissement sourd plus affreux que celui d'un lion, et, s'élevant lourdement de terre, il disparut à travers les branches du chêne.

      Gribouille alors se frotta les yeux et se demanda si tout ce qu'il avait vu et entendu était un rêve. Il lui sembla que c'en était un en effet, et que, du moment seulement où le monsieur s'était envolé, il s'était senti tout de bon éveillé. Il ramassa son bâton et sa gibecière et s'en retourna à la maison, car il craignait d'être encore battu pour s'être absenté trop longtemps.

      A peine fut-il entré que sa mère lui dit:

      – Ah! vous voilà? Il est bien temps de revenir. Voyez un peu l'imbécile, à qui le plus grand bonheur du monde arrive et qui ne s'en doute seulement pas!

      Quand elle eut bien grondé, elle prit la peine de lui dire que M. Bourdon était venu dans la forêt, qu'il s'était arrêté dans la maison du garde-chasse, qu'il y avait mangé un grand pot de miel, qu'il avait pour cela payé un beau louis de vrai or, enfin, qu'après avoir regardé l'un après l'autre tous les enfants, frères et sœurs de Gribouille, il avait dit à la mère Brigoule: «Ça, madame, n'avez-vous point un enfant plus jeune que ceux-ci?» Et ayant appris qu'il y en avait un septième, âgé seulement de douze ans et qu'on appelait Gribouille, il s'était écrié: «Oh! le beau nom! voilà l'enfant que je cherche. Envoyez-le-moi, car je veux faire sa fortune.» Là-dessus il était sorti, sans s'expliquer autrement.

      – Mais, dit Gribouille tout stupéfait, qu'est-ce donc que M. Bourdon? car je ne le connais pas.

      – M. Bourdon, répondit la mère, est un riche seigneur qui vient d'arriver dans le pays et qui va acheter une grande terre et un beau château tout près d'ici. Personne ne le connaît, mais tout le monde s'accorde à dire qu'il est généreux et jette l'or et l'argent à pleines mains. Peut-être bien qu'il est un peu fou, mais, puisqu'il a de la fantaisie pour votre nom de Gribouille, allez-vous-en vite le trouver, car, pour sûr, il veut vous faire un riche présent.

      – Et où irai-je le trouver? dit Gribouille.

      – Dame! je n'en sais rien, répondit Brigoule; j'étais si interloquée que je n'ai pas pensé à le lui demander; mais sûrement qu'il demeure déjà dans le château qu'il est en train d'acheter. C'est à la lisière de la forêt; vous connaissez tout le pays, et il faudrait que vous fussiez bien sot pour ne pas trouver un homme que tout le monde connaît déjà et dont on parle comme d'une merveille. Allez, partez, dépêchez-vous, et ce qu'il vous donnera, ayez bien soin de le rapporter ici: si c'est de l'argent, n'en prenez rien pour vous; si c'est quelque chose à manger, ne le flairez seulement point; remettez-le tel que vous l'aurez reçu à votre père ou à moi. Sinon, gare à votre peau!

      – Je ne sais pas pourquoi vous me dites tout cela, ma chère mère, répondit Gribouille; vous savez bien que je ne vous ai jamais rien dérobé, et que je mourrais plutôt que de vous tromper.

      – C'est vrai que vous êtes trop bête pour cela, reprit sa mère; allons, ne raisonnez point, et partez.

      Quand Gribouille fut sur le chemin du château que sa mère lui avait indiqué, il se sentit bien fatigué, car il n'avait rien mangé depuis le matin, et la journée finissait. Il fut obligé de s'asseoir sous un figuier qui n'avait encore que des feuilles, car ce n'était point la saison des fruits, et il allait se trouver mal de faiblesse quand il entendit bourdonner un essaim au-dessus de sa tête. Il se dressa sur la pointe des pieds, et vit un beau rayon de miel dans un creux de l'arbre. Il remercia le ciel de ce secours, et mangea un peu de miel le plus proprement qu'il put. Il allait continuer sa route, lorsque, du creux de l'arbre, sortit une voix perçante qui disait: «Arrêtez ce méchant! à moi, mes filles, mes servantes, mes esclaves; mettons en pièces ce voleur qui nous prive de nos richesses!»

      Qui eut grand'peur? ce fut Gribouille.

      – Hélas! mesdames les abeilles, fit-il en tremblant, pardonnez-moi. Je mourais de faim, et vous êtes si riches, que je ne croyais pas vous faire grand tort en goûtant un peu à votre miel; il est si bon, si jaune, si parfumé, votre miel! vrai, j'ai cru d'abord que c'était de l'or, et c'est quand j'y ai goûté que j'ai compris que c'était encore meilleur et plus agréable à trouver que de l'or fin.

      – Il n'est pas trop sot, reprit alors une petite voix douce, et, pour ses jolis compliments, je vous prie, chère Majesté, ma mère, de lui faire grâce et de le laisser continuer son chemin.

      Là-dessus il se fit dans l'arbre un grand bourdonnement, comme si tout le monde parlait à la fois et se disputait; mais personne ne sortit, et Gribouille se sauva sans être poursuivi. Quand il se trouva un peu loin, il eut la curiosité de se retourner, et il vit l'endroit qu'il avait quitté si brillant, qu'il s'arrêta pour regarder. Le soleil, qui se couchait, envoyait une grande lumière dans les branches du figuier, et dans ce rayon, qui, à force d'être vif, faisait mal aux yeux, il y avait une quantité innombrable de petites figures transparentes qui dansaient et tourbillonnaient en faisant une fort jolie musique. Gribouille regarda tant qu'il put; mais, soit qu'il fût trop loin, soit que le soleil lui donnât dans les yeux, il ne put jamais comprendre ce qu'il voyait. Tantôt c'était comme des dames et des demoiselles qui avaient des robes dorées et des corsages bruns: tantôt c'était tout simplement une ruche d'abeilles qui reluisait dans le ciel en feu.

      Mais, comme la nuit venait toujours et que le soleil descendait derrière les buissons, Gribouille ne vit bientôt plus rien, et il se remit en marche pour le château de M. Bourdon.

      Il marcha longtemps, longtemps, se croyant toujours près de la lisière du bois, et enfin il s'aperçut qu'il ne savait où il était et qu'il s'était perdu. Il s'assit encore une fois pour se reposer, et il avait grande envie de dormir: mais, pour ce qu'il avait peur des loups, il sut se tenir éveillé, et marcher encore le plus longtemps qu'il put. Enfin il allait se laisser tomber de fatigue, lorsqu'il vit beaucoup de lumières qui brillaient à travers les arbres, et, quand il se fut avancé de ce côté-là, il se trouva en face d'une grande belle maison tout illuminée et où l'on faisait, du haut en bas, grand bruit de bal, de musique et de cuisine.

      Gribouille, tout honteux de se présenter si tard, alla pourtant frapper à la grande porte et demanda à parler au maître de la maison, si le maître de la maison s'appelait M. Bourdon.

      – Et vous, lui répondit le portier, entrez, si vous vous appelez Gribouille, car nous avons commandement de bien recevoir celui qui porte ce nom-là. Monseigneur achète ce château et donne une grande fête. Vous lui parlerez demain.

      – A la bonne heure, répondit Gribouille, car je m'appelle Gribouille, en effet.

      – En ce cas, venez souper et vous


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