Histoire du véritable Gribouille. Жорж Санд

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Histoire du véritable Gribouille - Жорж Санд


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valet de chambre. On lui servit un beau souper de fruits et de confitures. Il aurait mieux aimé une bonne soupe et un bon morceau de pain, mais il n'osa en demander, et, quand il eut apaisé sa faim le mieux qu'il put, on lui dit qu'il pouvait se jeter sur le lit et faire un somme.

      Il profita de la permission, mais le bruit qui se faisait dans toute la maison l'empêcha de dormir de bon cœur. A chaque instant on ouvrait les portes, et il entendait la musique des grosses contre-basses qui ronflaient comme le tonnerre. On refermait les portes, la musique paraissait finie; mais alors on entendait le cliquetis des casseroles dans la cuisine et des flacons dans l'office, et le chuchotement des valets qui avaient l'air de comploter je ne sais quoi, si bien que Gribouille, tantôt écoutant, tantôt rêvant, ne savait point au juste s'il était éveillé ou endormi.

      Tout d'un coup, il lui sembla que le valet de chambre de monseigneur, qui l'avait si bien traité, entrait et s'approchait de son lit, et qu'il le regardait dormir, encore qu'il parût n'avoir point d'yeux dans sa vilaine grosse tête. Gribouille eut peur et voulut lui parler, mais le valet de chambre se mit à faire tic, tac, et à remuer les bras et les jambes, et puis à monter au plafond, à redescendre, à remonter encore, à croiser des fils sur d'autres fils, avec beaucoup d'adresse et de promptitude, toujours faisant tic, tac, comme une pendule. D'abord ce jeu amusa Gribouille; mais, quand il se vit tout enveloppé dans un grand filet, il eut peur encore une fois et voulut parler: ce lui fut impossible, car, au lieu de sa voix ordinaire, il ne sortit de son gosier qu'un petit sifflement aigu et faible comme celui d'un cousin. Il essaya de sortir ses bras du lit, et, au lieu de bras, il se vit des petites pattes si menues qu'il craignit, en les remuant, de les casser. Enfin il s'aperçut qu'il était devenu un pauvre petit moucheron, et que ce qu'il avait pris pour le valet de chambre de monseigneur Bourdon n'était qu'une affreuse araignée d'une grandeur démesurée, toute velue, et tout occupée de le prendre dans sa toile pour le dévorer. Pour le coup, Gribouille fut si effrayé qu'il réussit à s'éveiller, et il ne vit dans la chambre que le domestique, sous sa forme naturelle, qui était occupé à fourrer dans son buffet des bouteilles pleines, des couverts d'argent, des vases précieux et des bijoux qu'il volait pendant la fête, se promettant de mettre ses larcins sur le compte de quelque pauvre diable moins avancé que lui dans les bonnes grâces de monseigneur.

      D'abord Gribouille ne comprit pas ce qu'il faisait, mais il le devina lorsque le valet se tourna vers lui d'un air effrayé et menaçant, et qu'il lui dit d'une voix sèche et cassée qui ressemblait au mouvement d'une vieille horloge usée:

      – Pourquoi me regardez-vous, et pourquoi ne dormez-vous pas?

      Gribouille, qui n'était pas du tout si simple que l'on croyait, ne fit semblant de rien, et, se levant, il demanda la permission d'aller voir la fête, puisqu'aussi bien le bruit l'empêchait de dormir.

      – Allez, allez, vous êtes libre, lui dit le valet qui aimait bien autant être débarrassé de lui.

      Gribouille s'en alla donc droit devant lui, monta des escaliers, en descendit, traversa plusieurs chambres, et vit quantité de choses auxquelles il ne comprit rien du tout, mais qui ne laissèrent pas de le divertir. Dans une de ces chambres il y avait beaucoup de messieurs habillés de noir et de dames très-parées qui jouaient aux cartes et aux dés en se disputant des monceaux d'or.

      Dans une autre salle, d'autres hommes noirs et d'autres femmes parées et bariolées dansaient au son des instruments. Ceux qui ne dansaient pas avaient l'air de regarder, mais ils bourdonnaient si bruyamment qu'on n'entendait plus la musique.

      Ailleurs on mangeait debout, d'un air affamé et pas moitié aussi proprement que Gribouille avait coutume de le faire. On allait d'une chambre à l'autre, on se poussait, on mourait de chaud, et tout ce monde agité paraissait triste ou en colère. Enfin le jour parut, et on ouvrit les fenêtres. Gribouille, qui s'était assoupi sur une banquette, crut voir s'envoler, par ces fenêtres ouvertes, de grands essaims de bourdons, de frelons et de guêpes, et quand il ouvrit les yeux il se trouva seul dans la poussière. Les lustres s'éteignaient, les valets, harassés, se jetaient en travers sur les canapés et sur les tables. D'autres faisaient main basse sur les restes des buffets. Gribouille s'en fut achever paisiblement son somme sous les arbres du jardin, lequel était fort beau et tout rempli de fleurs magnifiques.

      Quand il s'éveilla, bien rafraichi et bien reposé, il vit devant lui un gros et grand monsieur tout habillé de velours noir tirant sur le violet, et ressemblant si fort à celui qu'il avait vu en rêve, sous le chêne du carrefour Bourdon, qu'il pensa que ce fut le même. Il ne put s'empêcher de lui dire…

      – Hé bonjour, monsieur le Bourdon, comment vous portez-vous, depuis hier matin?

      – Gribouille, répondit le riche seigneur avec la même voix ronflante et le même grasseyement que Gribouille avait entendus dans son rêve, je suis bien aise de vous voir; mais je suis étonné de ce que vous me demandez, car c'est la première fois que nous nous rencontrons. Je sais que vous êtes arrivé cette nuit, mais j'étais couché, et je ne vous ai point vu.

      Gribouille, pensant qu'il avait dit une sottise en parlant de son rêve comme d'une chose que M. Bourdon devait se rappeler, chercha à réparer ses paroles imprudentes en lui demandant s'il n'était point malade.

      – Moi, point du tout, je me porte au mieux, répondit M. Bourdon; pourquoi me demandez-vous cela?

      – C'est à cause, reprit Gribouille de plus en plus interdit, que vous donniez un grand bal et que je pensais que vous y seriez.

      – Non, cela m'aurait beaucoup ennuyé, répondit M. Bourdon. J'ai donné une fête pour montrer que je suis riche, mais je me dispense d'en faire les honneurs. Ça, parlons de vous, mon cher Gribouille; vous avez bien fait de venir me voir, car je vous veux du bien.

      – C'est donc à cause que je m'appelle Gribouille? demanda Gribouille qui n'osait faire de questions raisonnables dans la crainte de faire encore quelque bévue.

      – C'est à cause que vous vous appelez Gribouille, répondit M. Bourdon; cela vous étonne, mais apprenez, mon enfant, que, dans ce monde, il ne s'agit pas de comprendre ce qui nous arrive, mais d'en profiter.

      – Eh bien, monsieur, dit Gribouille, quel bien est-ce que vous voulez me faire?

      – C'est à vous de parler, répondit le seigneur.

      Gribouille fut bien embarrassé, car, de tout ce qu'il avait vu, rien ne lui faisait envie, et d'ailleurs tout lui semblait trop beau et trop riche pour qu'il fût honnête de le désirer. Quand il eut un peu réfléchi, il dit:

      – Si vous pouviez me faire un don qui me fît aimer de mes parents, je vous serais fort obligé.

      – Dites-moi d'abord, fit M. Bourdon, pourquoi vos parents ne vous aiment point, car vous me semblez un fort gentil garçon.

      – Hélas! monsieur, reprit Gribouille, ils disent comme ça que je suis trop bête.

      – En ce cas, dit M. Bourdon, il faut vous donner de l'esprit.

      Gribouille, qui, dans son rêve, avait déjà refusé l'esprit, n'osa pas cette fois montrer de la défiance.

      – Et que faut-il faire, dit-il, pour avoir de l'esprit?

      – Il faut apprendre les sciences, mon petit ami. Sachez que je suis un habile homme et que je puis vous enseigner la magie et la nécromancie.

      – Mais comment, dit Gribouille, apprendrai-je ces choses-là, dont je ne connais même pas le nom, si je suis trop simple pour apprendre quoi que ce soit?

      – Ces choses-là ne sont point difficiles, répondit M. Bourdon, je me charge de vous les montrer; mais, pour cela, il faut que vous veniez demeurer avec moi et que vous soyez mon fils.

      – Vous êtes bien honnête, monsieur, dit Gribouille, mais j'ai des parents, je les aime et ne les veux point quitter. Quoiqu'ils aient d'autres enfants qu'ils aiment mieux que moi, je puis leur être nécessaire, et il me semble que ce serait mal de ne plus vouloir être leur fils.

      – C'est comme vous voudrez, dit M. Bourdon, je ne force personne. Bonjour, mon cher Gribouille, je n'ai pas le temps de causer davantage avec vous, puisque vous ne voulez pas


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