Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4). Жорж Санд

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Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4) - Жорж Санд


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qu'on n'a pas sondé entièrement. J'ai eu une servante qui avait la passion des cochons, et qui s'évanouissait de désespoir quand elle les voyait passer entre les mains du boucher; tandis que moi, élevée à la campagne, rustiquement même, et devant m'être habituée à voir ces animaux qu'on nourrit chez nous en grand nombre, j'en ai toujours eu une terreur puérile, insurmontable, jusqu'au point de perdre la tête si je me vois entourée de cette gent immonde: j'aimerais cent fois mieux me voir au milieu des lions et des tigres.

      C'est peut-être que tous les types, departis chacun spécialement à chaque race d'animaux, se retrouvent dans l'homme. Les physionomistes ont constaté des ressemblances physiques; qui peut nier les ressemblances morales? N'y a-t-il pas parmi nous des renards, des loups, des lions, des aigles, des hannetons, des mouches? La grossièreté humaine est souvent basse et féroce comme l'appétit du pourceau, et c'est ce qui me cause le plus de terreur et de dégoût chez l'homme. J'aime le chien, mais pas tous les chiens. J'ai même des antipathies marquées contre certains caractères d'individus de cette race. Je les aime un peu rebelles, hardis, grondeurs et indépendans. Leur gourmandise à tous me chagrine. Ce sont des êtres excellens, admirablement doués, mais incorrigibles sur certains points où la grossièreté de la brute reprend trop ses droits. L'homme-chien n'est pas un beau type.

      Mais l'oiseau, je le soutiens, est l'être supérieur dans la création. Son organisation est admirable. Son vol le place matériellement au-dessus de l'homme, et lui crée une puissance vitale que notre génie n'a pu encore nous faire acquérir. Son bec et ses pattes possèdent une adresse inouïe. Il a des instincts d'amour conjugal, de prévision et d'industrie domestique; son nid est un chef-d'œuvre d'habileté, de sollicitude et de luxe délicat. C'est la principale espèce où le mâle aide la femelle dans les devoirs de la famille, et où le père s'occupe, comme l'homme, de construire l'habitation, de préserver et de nourrir les enfans. L'oiseau est chanteur, il est beau, il a la grace, la souplesse, la vivacité, l'attachement, la morale, et c'est bien à tort qu'on en a fait souvent le type de l'inconstance. En tant que l'instinct de fidélité est départi à la bête, il est le plus fidèle des animaux. Dans la race canine si vantée, la femelle seule a l'amour de la progéniture, ce qui la rend supérieure au mâle; chez l'oiseau, les deux sexes, doués d'égales vertus, offrent l'exemple de l'idéal dans l'hyménée. Qu'on ne parle donc pas légèrement des oiseaux. Il s'en faut de fort peu qu'ils ne nous valent; et comme musiciens et comme poètes, ils sont naturellement mieux doués que nous. L'homme-oiseau c'est l'artiste.

      Puisque je suis sur le chapitre des oiseaux (et pourquoi ne l'épuiserais-je pas, puisque je me suis permis une fois pour toutes les interminables digressions?), je citerai un trait dont j'ai été témoin et que j'aurais voulu raconter à Buffon, ce doux poète de la nature. J'élevais deux fauvettes de différens nids et de différentes variétés: l'une à poitrine jaune, l'autre à corsage gris. La poitrine jaune, qui s'appelait Jonquille, était de quinze jours plus âgée que la poitrine grise, qui s'appelait Agathe. Quinze jours pour une fauvette (la fauvette est le plus intelligent et le plus précoce de nos petits oiseaux), cela équivaut à dix ans pour une jeune personne. Jonquille était donc une fillette fort gentille, encore maigrette et mal emplumée, ne sachant voler que d'une branche à l'autre, et même ne mangeant point seule; car les oiseaux que l'homme élève se développent beaucoup plus lentement que ceux qui s'élèvent à l'état sauvage. Les mères fauvettes sont beaucoup plus sévères que nous, et Jonquille aurait mangé seule quinze jours plus tôt, si j'avais eu la sagesse de l'y forcer en l'abandonnant à elle-même et en ne cédant pas à ses importunités.

      Agathe était un petit enfant insupportable. Elle ne faisait que remuer, crier, secouer ses plumes naissantes et tourmenter Jonquille, qui commençait à réfléchir et à se poser des problèmes, une patte rentrée sous le duvet de sa robe, la tête enfoncée dans les épaules, les yeux à demi fermés.

      Pourtant elle était encore très petite-fille, très gourmande, et s'efforçait de voler jusqu'à moi pour manger à satiété, dès que j'avais l'imprudence de la regarder.

      Un jour j'écrivais je ne sais quel roman qui me passionnait un peu; j'avais placé à quelque distance la branche verte sur laquelle perchaient et vivaient en bonne intelligence mes deux élèves. Il faisait un peu frais. Agathe, encore à moitié nue, s'était serrée et blottie sous le ventre de Jonquille, qui se prêtait à ce rôle de mère avec une complaisance généreuse. Elles se tinrent tranquilles toutes les deux pendant une demi-heure, dont je profitai pour écrire; car il était rare qu'elles me permissent tant de loisir dans la journée.

      Mais enfin l'appétit se réveilla, et Jonquille sautant sur une chaise, puis sur ma table, vint effacer le dernier mot au bout de ma plume, tandis qu'Agathe, n'osant quitter la branche, battait des ailes et allongeait de mon côté son bec entr'ouvert avec des cris désespérés.

      J'étais au milieu de mon dénoûment, et pour la première fois je pris de l'humeur contre Jonquille. Je lui fis observer qu'elle était d'âge à manger seule, qu'elle avait sous le bec une excellente pâtée dans une jolie soucoupe, et que j'étais résolue à ne point fermer les yeux plus longtemps sur sa paresse. Jonquille, un peu piquée et tétue, prit le parti de bouder et de retourner sur sa branche. Mais Agathe ne se résigna pas de même, et se tournant vers elle, lui demanda à manger avec une insistance incroyable. Sans doute elle lui parla avec une grande éloquence, ou si elle ne savait pas encore bien s'exprimer, elle eut dans la voix des accens à déchirer un cœur sensible. Moi, barbare, je regardais et j'écoutais sans bouger, étudiant l'émotion très visible de Jonquille, qui semblait hésiter et se livrer un combat intérieur fort extraordinaire.

      Enfin, elle s'arme de résolution, vole d'un seul élan jusqu'à la soucoupe, crie un instant, espérant que la nourriture viendra d'elle-même à son bec: puis elle se décide et entame la pâtée. Mais, ô prodige de sensibilité! elle ne songe pas à apaiser sa propre faim; elle remplit son bec, retourne à la branche, et fait manger Agathe avec autant d'adresse et de propreté que si elle eût été déjà mère.

      Depuis ce moment Agathe et Jonquille ne m'importunèrent plus, et la petite fut nourrie par l'aînée, qui s'en tira bien mieux que moi, car elle la rendit propre, luisante, grasse, et sachant se servir elle-même beaucoup plus vite que je n'y serais parvenue. Ainsi cette pauvrette avait fait de sa compagne une fille adoptive, elle, qui n'était encore qu'un enfant, et elle n'avait appris à se nourrir elle-même que poussée et vaincue par un sentiment de charité maternelle envers sa compagne4.

      Un mois après, Jonquille et Agathe, toujours inséparables, quoique de même sexe et de variétés différentes, vivaient en pleine liberté sur les grands arbres de mon jardin. Elles ne s'écartaient pas beaucoup de la maison, et elles élisaient leur domicile de préférence sur la cime d'un grand sapin. Elles étaient longuettes, lisses et fraîches. Tous les jours, comme c'était la belle saison, et que nous mangions en plein air, elles descendaient à tire d'ailes sur notre table, et se tenaient autour de nous comme d'aimables convives, tantôt sur notre épaule, tantôt volant au devant du domestique qui apportait les fruits, pour les goûter sur l'assiette avant nous.

      Malgré leur confiance en nous tous, elles ne se laissaient prendre et retenir que par moi, et à quelque moment que ce fût de la journée, elles descendaient du haut de leur arbre à mon appel, qu'elles connaissaient fort bien et ne confondaient jamais avec celui des autres personnes. Ce fut une grande surprise pour un de mes amis qui arrivait de Paris que de m'entendre appeler des oiseaux perdus dans les hautes branches, et de les voir accourir immédiatement. Je venais de parier avec lui que je les ferais obéir, et comme il n'avait pas assisté à leur éducation, il crut un instant à quelque diablerie.

      J'ai eu aussi un rouge-gorge qui, pour l'intelligence et la mémoire, était un être prodigieux; un milan royal, qui était une bête féroce pour tout le monde, et qui vivait avec moi dans de tels rapports d'intimité qu'il se perchait sur le bord du berceau de mon fils, et, de son grand bec, tranchant comme un rasoir, il enlevait délicatement et avec un petit cri tendre et coquet les mouches qui se posaient sur le visage de l'enfant. Il y mettait tant d'adresse et de précaution qu'il ne le réveilla jamais. Ce


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Il paraît que cette prodigieuse histoire est la chose la plus ordinaire du monde, car, depuis que j'ai écrit ce volume, nous en avons vu d'autres exemples. Une couvée de rossignols de muraille, élevée par nous, et commençant à peine à savoir manger, nourrissait avec tendresse tous les petits oiseaux de son espèce que l'on plaçait dans la même cage.