La coucaratcha. II. Эжен Сю

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La coucaratcha. II - Эжен Сю


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se refoulèrent à l'horizon, le soleil étincela sur les toits humides, le ciel devint bleu, l'air tiède et chaud, enfin jamais journée de printemps commencée sous d'aussi funèbres auspices ne parut se devoir terminer plus riante et plus pure.

      Belissan, au lieu de remercier Dieu, ne pensa qu'à sa culotte de gourgouran, à son habit de ratine, prit son chapeau sous son bras, rajusta sa coiffure, et en sept minutes fut au bas de son escalier, fringant, pimpant, lustré, pomponné, éblouissant à voir.

      – Mais hélas! quel horrible spectacle! les pavés étaient fangeux, les gouttières filtraient l'eau, et une foule d'équipages se croisaient dans la rue.

      Alors Belissan prit résolument le parti de marcher sur ses pointes et entreprit la périlleuse tournée qui devait le réunir à sa Catherine. Il n'était plus qu'à quelques pas de la boutique de cette jolie fille, lorsque les piétons se refoulent à la hâte, se pressent, se heurtent, avertis par un piqueur à livrée verte et orange qui précédait un bel équipage à quatre chevaux. – Mais quatre magnifiques chevaux bai-bruns, les deux de volées surtout étaient du plus pur sang danois, circonstance qui ne pouvait échapper à la vue de Belissan, car le malheureux, par une incroyable fatalité, fut placé au premier rang des piétons, et les chevaux danois, qui piaffaient beaucoup, ayant un pas fort relevé, couvrirent le pauvre clerc d'une pluie de boue, mais si noire, mais si épaisse, mais si grasse, qu'elle tacha affreusement l'habit de ratine et la culotte de gourgouran.

      Ce seigneur qui venait de passer était M. le marquis de Beaumont; il revenait de Versailles, et allait visiter M. le duc de Luynes.

      Belissan resta stupéfait et moucheté comme un tigre, mais comme un tigre aussi il se prit à rugir en montrant le poing au brillant équipage, comme naguère il l'avait montré à Dieu, le montrant surtout à un grand coureur tout chamarré d'or et de soie qui, perché derrière la voiture, se pâmait de rire insolemment.

      De ce moment, de cette minute, de cette seconde, Belissan jura haine éternelle à Dieu, aux marquis, aux voitures, aux coureurs, aux chevaux danois, et se proclama l'égal de tout le monde, grand seigneur, laquais ou cheval danois.

      Il allait peut-être se livrer à une longue et fougueuse méditation sur l'inégalité des positions sociales, lorsqu'il se souvint de Catherine; il remit donc sa colère à plus tard, jeta un triste coup-d'œil sur ses mouchetures, et dit en soupirant:

      – Après tout, il vaut peut-être mieux laisser sécher la boue que de l'étendre; d'ailleurs, Catherine me plaindra…

      Et il continua sa route, la tête bouleversée, exaspérée par ses idées d'amour et d'égalité, de bonheur et de haine. C'était alors une fournaise que le cerveau de Claude Belissan, et, quand il entra dans la rue où demeurait sa maîtresse, sa tête devait certainement fumer, tant ses pensées étaient brûlantes et effervescentes…

      Mais, hélas! plaignez Belissan… figurez-vous ce que devint, ce qu'éprouva, ce que ressentit Belissan… mettez-vous à la place de Belissan quand il vit arrêté, presqu'en face la porte de Catherine, l'équipage maudit qui l'avait si curieusement tigré!

      Or, le père de Catherine était parfumeur-gantier, à la Bonne-Foi, et sa boutique se trouvait toute proche de l'hôtel de Luynes.

      Belissan respira pourtant lorsqu'il ne vit plus le grand coureur. Il s'approcha de la porte de la boutique, jeta un dernier regard de désespoir sur sa toilette souillée, et entra…

      Mais en entrant il passa par toutes les nuances du prisme, à partir du blanc jusqu'au violet; ses yeux se troublèrent, il vit des flammes bleues, la tête lui tourna, il ne put que s'asseoir convulsivement sur le comptoir, et sur la main du gantier, qui s'écria: Prenez donc garde, monsieur Belissan.

      Mais Belissan ne prenait pas garde. Belissan avait vu en entrant la jolie gantière essayer des gants au grand coureur, fort bel homme en vérité, Belissan avait encore vu le grand coureur serrer les mains de Catherine, qui avait souri en rougissant…

      Et puis il n'avait plus rien vu.

      Mais il avait pensé…

      Le clerc fit alors un mouvement désordonné, comme si un fer rouge lui eût traversé la cervelle, et frappa un grand coup de poing sur le comptoir.

      A ce bruit, Catherine leva la tête.

      Le beau coureur leva la tête.

      Et tous deux, voyant Belissan si tigré, si moucheté, si colère, si pâle, si singulier, si effaré, partirent d'un éclat de rire prolongé, dans lequel le timbre pur et frais de la jolie Catherine se mêlait à la basse sonore et retentissante du coureur.

      Belissan fit une grimace colérique et un geste de possédé.

      Et le duo de rire recommença de plus belle; seulement, le rire sec et cassé du mercier, vint gâter l'harmonie.

      Belissan ne se possédant plus, s'avança contre le coureur en levant une aune; mais au même instant ses deux poignets furent emprisonnés de la large main du coureur et il entendit l'honnête gantier s'écrier: Comment! vous osez porter la main sur un des gens de M. le marquis de Beaumont, dont nous espérons avoir la pratique! pour un ami, c'est mal à vous, monsieur Belissan.

      Et Catherine aussi lui dit aigrement:

      – Eh! quand on est fait de la sorte, on ne vient pas chez les gens.

      Et le beau coureur reprit:

      – Mon petit monsieur, sans les beaux yeux de cette jolie demoiselle, vous passiez par la porte, vrai comme je m'appelle Almanzor, vrai comme j'ai l'honneur d'être au service de M. le marquis de Beaumont.

      – Pardonnez-lui pour cette fois, monsieur Almanzor, dit Catherine d'un air caressant, en lorgnant le beau coureur.

      – Allez vous changer… vous nous faites peur, monsieur Belissan, dit le gantier en contraignant à peine un éclat de rire.

      – Il y a un baigneur étuviste, là-bas au numéro 15, dit enfin Almanzor en conduisant Belissan à la porte de la boutique avec une politesse moqueuse…

      Le clerc se croyait sous l'obsession d'un affreux cauchemar… il ne répondit pas un mot, n'entendit rien, ne vit rien, partit comme un trait, et ne s'arrêta qu'aux Champs-Elysées.

      Et encore il ne s'arrêta que parce qu'il se heurta avec un homme qui s'écria: Tiens, c'est Belissan!

      Belissan rappela ses esprits…

      – Qui me parle? où suis-je? que me veut-on?.. soupira-t-il.

      – C'est moi, Lucien, qui te parle; tu es aux Champs-Elysées, crotté jusqu'à l'échine. Je veux te dire adieu, car je vais au Hâvre.

      – Tu vas au Hâvre? Je pars avec toi!

      – Mais je pars aujourd'hui, à l'instant!

      – Je pars aujourd'hui, à l'instant!

      – Je prends le coche; je vais par eau…

      – J'irai par eau, par le coche, par le diable; mais je veux quitter cet infâme Paris; je veux aller vivre dans un désert, dans une île où tout me soit égal et où je sois égal à tout… Comprends-tu, Lucien?..

      – Non, mais l'heure presse… Viens-tu?.. Mais enfin du linge… des vêtements?

      – Tu m'en prêteras, Lucien, répondit Belissan avec une touchante mélancolie, tu m'en donneras des vêtements; les hommes sont frères.

      – De l'argent.

      – Je partagerai avec toi, bon Lucien; les hommes sont égaux, va.

      – A la bonne heure! dit Lucien;

      Il est malade ou fou, pensa-t-il; ce petit voyage ne peut que lui faire du bien, je l'emmène.

      – Adieu, vil égout, vil Paris, dit dédaigneusement le clerc en se jetant sur le coche.

      Et voilà comment Claude Belissan quitta Paris.

      CHAPITRE II.

      Comment le royaume de France fut désormais privé de Claude Belissan

      Le


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