Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau


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voyais les députés de la gauche – de la Montagne – échanger des regards enflammés, des paroles irritées et des gestes menaçants, avec ceux de la droite. Je voyais ceux du centre – du Marais, comme on disait alors – essayer de s’interposer entre des rancunes implacables.

      Je n’avais pas assez d’yeux pour regarder le président, immobile sur son fauteuil comme une statue, la main sur le manche d’ébène de sa sonnette.

      Derrière lui, dans un réduit grillé d’une douzaine de pieds carrés il me semblait apercevoir des ombres qui s’agitaient. Là, se tenaient des journalistes qui venaient de trouver le secret d’écrire aussi vite que l’on parle et qu’on appelait, pour cette raison, des logotachygraphes.

      C’est dans cette loge que quelques jours plus tard, le 10 août, Louis XVI, chassé des Tuileries, devait venir chercher un refuge.

      A la tribune où on montait par un escalier assez roide, était alors un petit homme maigre, qui parlait avec des gestes de convulsionnaire du salut public, l’unique et la suprême loi, disait-il.

      On ne l’écoutait guère.

      A tout bout de phrases les autres députés l’interrompaient, et dans les tribunes les conversations continuaient tout haut, comme à la Halle… Même, non loin de mon père et de moi, il y avait des gens qui buvaient et mangeaient, sans façon, comme s’ils eussent été chez eux.

      A la fin, cependant, cet orateur si peu écouté descendit de la tribune.

      Et je vis s’avancer pour le remplacer, un homme tout jeune encore, au regard doux, à la physionomie pensive.

      Autour de moi on chuchotait:

      Vergniaud! Vergniaud!..

      Ce qui me frappait en lui, c’était la grâce familière de sa démarche, une certaine nonchalance d’attitude et je ne sais quel inexprimable charme qui vous attirait vers lui et faisait qu’on l’aimait et qu’on souhaitait d’être son ami.

      Mais quand son pied frappa le parquet de la tribune, comme pour en prendre possession, il fut transfiguré… L’orateur surgissait de l’homme… Il m’apparut tel qu’un dieu, sur le Sinaï de la liberté, le front éblouissant d’éclairs.

      Le silence s’était fait, profond, intense.

      Au-dehors, même, les grondements sourds de la foule se taisaient.

      Lui, un peu pâle d’abord, et violemment ému d’une virile émotion, il promena son regard autour de la salle… son bras se leva d’un geste impérieux, ses lèvres s’entr’ouvrirent… Il parla.

      Le discours qu’il prononça ce jour-là, mes amis, marque une date dans les fastes de l’éloquence humaine – une date dans l’histoire de notre Révolution.

      Vous le trouverez, ce discours, dans tous les livres.

      Mais ce que les livres ne vous diront pas, c’est cette parole inspirée, cette voix puissante et grave, qui avait des caresses divines, quand il adjurait ses collègues de s’unir pour le salut de la patrie, et qui vibrait comme le métal des cloches quand montait son indignation.

      Dédaigneux des ménagements de la prudence, il alla droit au fait.

      Ce que la France pensait et disait tout bas, il le cria d’une voix si forte que le trône chancelant de Louis XVI en fut renversé…

      Après avoir déroulé l’effrayant tableau des calamités de la France, il disait l’immensité et l’imminence du péril, et aussi l’incurie criminelle du pouvoir. Il montrait l’ennemi à nos portes, les émigrés en armes à la frontière, l’invasion menaçante, et le roi paralysant de son veto toutes les mesures de salut public, le roi n’osant défendre formellement à ses généraux de vaincre, mais leur enlevant hypocritement les moyens de vaincre.

      «Appelez, ô mes collègues, disait-il, appelez, tous les Français à sauver la patrie… Montrez leur l’immensité du gouffre… Ce n’est que par un effort extraordinaire qu’ils pourront le franchir!..»

      Un frisson électrique parcourait l’Assemblée, à ces accents inspirés du grand orateur… Chacun avait cru entendre sonner le glas de la patrie agonisante.

      Alors il me fut donné de connaître l’empire de la parole humaine.

      Dans cette assemblée, l’instant d’avant si divisée, et agitée de tant de passions contraires, on eût dit que tous les cœurs battaient à l’unisson pour un même désir, pour une seule pensée.

      Sur les bancs de la gauche, à droite, au centre, dans les galeries, on applaudissait avec une sorte de frénésie.

      Pâle, les dents serrées, les yeux brillants de larmes, mon père m’étreignit le bras à le briser.

      – Ce n’est pas un homme qui parle, me disait-il, j’ai entendu la voix de la patrie elle-même… Maintenant, j’ai bon espoir.

      Et cependant, à trois ou quatre places de moi, j’avais remarqué un auditeur dont la contenance contrastait singulièrement avec l’enthousiasme de tous.

      C’était un très jeune homme, vêtu comme les ouvriers de la plus pauvre condition.

      Il était assis au premier rang, et, chaque fois qu’on prononçait le nom du roi, je voyais parfaitement ses doigts se crisper de rage contre le bois de balustrade.

      Par moments, il bondissait, se levait à demi et se penchait vers la salle comme pour jeter une insulte à la face de l’orateur.

      D’autre fois, il portait la main droite sous ses habits, d’un geste si convulsif, qu’on eût dit qu’il y cherchait une arme.

      Si extraordinaire était son manége que, malgré moi-même, je me pris à l’examiner avec toute l’attention dont j’étais capable.

      Évidemment les habits misérables qu’il portait n’étaient pas ses habits ordinaires. La blancheur de ses mains, les soins que trahissaient ses cheveux blonds, la finesse du peu qu’on apercevait de son linge, tout en lui trahissait l’aristocrate.

      Mais qu’était-il venu faire là? Pourquoi ce déguisement et ces gestes désordonnés?

      A une époque où les plus noires défiances empoisonnaient toutes les relations, où il n’était question que de trahisons et de complots, où on ne parlait que d’ennemis du peuple, d’espions de l’étranger et d’émissaires des émigrés, il y avait là de quoi me faire travailler prodigieusement l’esprit.

      J’allais peut-être faire part de mes soupçons à mon père, quand le jeune homme se retourna. Sa figure qui respirait l’audace et l’énergie, était de celles qu’on n’oublie pas. Nos yeux se rencontrèrent, et il me semble éprouver encore l’étrange sensation que je ressentis au choc de son regard. J’eus comme la certitude que cet individu se trouverait mêlé à ma vie, et serait pour quelque chose dans ma destinée.

      Si forte fut la sensation que je me tus.

      D’ailleurs les galeries se vidaient.

      Vergniaud venait de descendre de la tribune et de quitter la salle, et tout le monde se précipitait dehors pour l’attendre et l’acclamer au passage. Mon père m’entraîna.

      Mais c’est en vain qu’à l’exemple de plusieurs milliers de personnes, nous restâmes plantés sur nos jambes devant la grande porte, l’orateur de la Gironde avait dû s’échapper par quelque porte latérale.

      Beaucoup pour se dédommager de ce contre-temps, se donnèrent rendez-vous à la comédie française, où on fit une ovation à mademoiselle Candeille, qui était la maîtresse de Vergniaud.

      Le lendemain, 4 juillet, l’Assemblée décréta:

      Que dès que le péril deviendrait extrême, le Corps législatif le déclarerait lui-même, par cette formule solennelle: La patrie est en danger.

      Qu’à cette déclaration tous les citoyens seraient tenus de remettre aux autorités les armes par eux possédées, pour qu’il en fût


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