Le capitaine Coutanceau. Emile Gaboriau

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Le capitaine Coutanceau - Emile Gaboriau


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ministres, pâle, attendri, ému, pouvant à peine croire à cette incroyable et soudaine réconciliation.

      – Je ne fais qu’un avec vous, balbutia-t-il, notre union sauvera la France…

      Et dans les tribunes publiques et au dehors, mille cris d’allégresse répondaient; tout le monde avait des larmes dans les yeux…

      La séance levée, cependant, lorsque je traversai la terrasse des Feuillants pour regagner la maison paternelle, je fus croisé par deux hommes dont l’un disait à l’autre:

      – On s’embrassait aussi la veille de la Saint-Barthélemy.

      L’exclamation de ces deux hommes me révolta si fort que, pour un peu, je leur aurais cherché querelle.

      – Ceux-là, pensais-je, sont de ces êtres haineux qui jugent les autres d’après eux.

      Et, en effet, comment ne pas se sentir véritablement réjoui après ce que je venais de voir et en présence du spectacle que j’avais sous les yeux.

      Le roi, de retour aux Tuileries, s’est empressé de faire ouvrir le jardin qu’il tenait fermé depuis les scènes du 20 juin, et un peuple immense s’y était précipité et se pressait sous les fenêtres du château en criant à pleins poumons: Vive le roi!..

      Je vous le demande, mes amis, n’était-ce pas à s’y méprendre!

      Et la preuve, c’est que ma mère, à qui je racontai en rentrant ce qui se passait, me dit, la pauvre femme:

      – Il faut écrire à ton père, il verra que la tranquillité va revenir, et il fera des achats plus considérables.

      J’écrivis, en effet, à l’adresse que mon père nous avait assignée, à l’hôtel de la Nation, tenu par un nommé Servan, qui descendait toujours chez nous, quand il venait à Paris faire ses provisions.

      Niais que j’étais!.. Mon père n’avait pas reçu ma lettre que déjà tout était changé et redevenu pire qu’avant.

      Ce beau rêve de concorde avait duré ce que durent les rêves, une nuit.

      Paris, à son réveil, bafoua d’un éclat de rire immense un projet qu’il jugea beaucoup trop beau pour être réalisable.

      Dès le matin, des crieurs s’étaient répandus dans les rues, offrant pour deux sous la Grande Pantalonnade sentimentale de ces Messieurs de l’Assemblée, pamphlet plus injurieux que spirituel, composé par les rédacteurs du Journal du Diable.

      Les chansons ne tardèrent pas à s’en mêler, car en aucun temps on ne rima davantage.

      Il me semble voir encore un grand vieux tout dépenaillé, qui se tenait devant Saint-Roch, abrité sous un large parapluie, et qui chantait une longue complainte dont le refrain était:

      Encore un baiser, Lamourette,

      Encore un baiser!..

      Enfin, des députés que j’avais vu de mes yeux, dans les bras l’un de l’autre, s’embrassant comme du pain, écrivirent aux journaux pour démentir le fait.

      Cette scène de réconciliation n’avait-elle donc été qu’une hypocrisie préméditée des partis, désireux d’endormir leurs mutuelles défiances?..

      N’était-elle, comme d’aucuns l’insinuaient, qu’une comédie convenue entre le roi et l’évêque de Lyon pour détourner les esprits de la discussion de la loi du danger de la patrie, et laisser ainsi aux Prussiens le temps d’arriver?

      M. Goguereau, que je me permis d’interroger, m’affirma que ce n’était ni l’un ni l’autre.

      – Pourquoi donc, me dit-il, n’aurions-nous pas été sincères!.. La haine n’est pas si douce!.. Nous avons été émus et entraînés… Toutes les assemblées sont exposées à des surprises sentimentales de ce genre…

      Je vous donne l’explication telle qu’elle m’a été donnée. Ce qui n’empêche qu’une célébrité de ridicule est demeurée attachée à cette scène, qui m’avait tiré des larmes… Encore aujourd’hui, un «baiser Lamourette» est le synonyme de comédie et de trahison.

      Mais précisément parce qu’ils étaient furieux d’avoir été dupes d’un mouvement de leur cœur, les partis n’en étaient devenus que plus acharnés.

      Une mesure qu’on ne manqua pas de dire provoquée par la cour devait d’ailleurs attiser encore les colères.

      Je l’appris, au matin, d’un ouvrier, qui était entré dans notre boutique acheter un pain. Comme il me semblait exaspéré, je lui demandai ce qu’il avait:

      – J’ai, me répondit-il, que le directoire de Paris vient de suspendre Pétion de ses fonctions, et veut le poursuivre comme organisateur de la manifestation du 20 juin.

      C’était si grave que, tout d’abord, je crus à une de ces fausses nouvelles comme on en lançait dix par jour dans la circulation.

      Frapper Pétion, le maire de Paris, l’homme le plus populaire du moment… était-ce possible.

      C’était vrai. Le premier passant m’apprit que le roi, au lieu d’annuler, comme il le pouvait, cette décision, venait de la notifier à l’Assemblée, en lui laissant «le soin de statuer sur l’événement.»

      – C’est encore une trahison! criaient les sans-culottes, furibonds.

      – Quelle épouvantable maladresse! gémissaient les patriotes paisibles.

      Mais le sentiment général était que la cour n’eût point hasardé ce coup de partie, si elle n’eût été sûre de l’approche des Prussiens.

      Quoi qu’il en soit, c’est au milieu de ce déchaînement de l’opinion, que fut enfin présentée à l’Assemblée par Hérault de Séchelles, la déclaration du danger de la patrie.

      C’était le 11 juillet 1792.

      Le rapport entendu, les conclusions furent adoptées, et, aussitôt après, le président se levant, prononce d’une voix émue et au milieu d’un silence effrayant, la formule solennelle:

      «Citoyens, la patrie est en danger.»

      L’effet, je me le rappelle, fut terrible.

      Il n’y eut pas un cri dans les tribunes publiques, pas un mot, pas un geste.

      Et quand la séance fut levée, la foule, turbulente d’ordinaire, et qui emplissait les escaliers du tumulte de ses discussions, la foule s’écoula muette et consternée.

      Cependant, les patriotes étaient satisfaits.

      – Voilà enfin un acte, disaient-ils, et qui vaut un peu mieux que les embrassades de l’autre jour… Ça ira, maintenant; il faudra bien que M. Véto marche droit.

      Mais c’est en vain que le lendemain on attendit les grandes mesures du salut public.

      La déclaration demandée le 30 juin, formulée le 4 juillet et votée le 11, ne devait être proclamée que le 22 juillet. Il fallut tout ce temps pour obtenir du pouvoir exécutif l’autorisation nécessaire.

      Je vous laisse à penser si pendant ces onze jours les esprits se montèrent. Je voyais, pour ainsi dire, l’exaltation augmenter d’heure en heure…

      La veille, les ministres en masse avaient donné leur démission et avaient été remplacés par d’autres. Bast! on n’y avait pas pris garde. Ce n’est assurément pas sur eux qu’on comptait.

      J’avais acheté une carte des frontières, et tous nos voisins venaient la consulter. Et il fallait que je leur montre Coblentz, où était, disait-on, l’armée prussienne, et nous calculions les journées de marche qu’il y a pour une grande troupe de la frontière à Paris.

      Les gens, d’ailleurs, répétaient comme un verset d’Evangile, une phrase du dernier discours de Robespierre aux Jacobins.

      «Dans des circonstances aussi critiques, avait-il dit, les moyens ordinaires sont dérisoires:


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