Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II. Constantin-François Volney

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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome II - Constantin-François Volney


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descendre jusqu’au temps de Pompée pour trouver une phrase riche d’instruction, malgré sa brièveté: nous la devons à Justin31, abréviateur de Trogus, qui accompagna en Asie le général romain.

      «Ninus (dit-il), ayant subjugué tout l’Orient, eut une dernière guerre avec Zoroastre, roi des Bactriens, que l’on dit avoir le premier inventé les pratiques des mages, et avoir profondément étudié les mouvements des astres et les principes moteurs de l’univers. Ninus, l’ayant mis à mort, mourut lui-même, et laissa son trône à sa femme Sémiramis, et à son fils Ninias, encore jeune32

      Ce passage est d’autant plus précieux, que son auteur, Trogus, avait voyagé en Médie et en Assyrie à la suite de Pompée, et qu’il put y consulter les monuments et les traditions du pays. Zoroastre, roi de Bactriane, est une circonstance désavouée des Parsis, et contredite par Ktésias, qui dit que le roi de Bactriane attaqué par Ninus se nommait Oxuartès; à la vérité, ce nom paraît être générique, puisque, en le décomposant, on l’explique roi de l’Oxus. Mais, outre l’accord que cette circonstance forme avec le récit des Parsis, en laissant croire que le nom propre de ce roi put être Kestasp, cette guerre elle-même d’un prince étranger contre la Bactriane, le rôle important et presque royal que Zoroastre y joue, sa mort qui y arriva selon la plupart des Orientaux modernes, sont autant d’accessoires qui, par leur ressemblance, constatent le fait fondamental, savoir, que Zoroastre vécut au temps de Ninus: et si l’on remarque qu’aucune chronique grecque n’a pu remonter d’un fil continu jusqu’au temps d’Homère et de Lycurgue; que dès le siècle d’Alexandre, les idées étaient obscures sur Pythagore, sur Thalès, sur Solon, l’on concevra qu’Hérodote et Xanthus ont pu être embarrassés sur le temps infiniment plus reculé de Zoroastre.

      Au témoignage de Trogus, vient se joindre celui de Képhalion (vers l’an 115 de notre ère), dont les recherches profondes et variées en chronologie sont fréquemment citées par Eusèbe et par le Syncelle. Ce dernier nous a conservé un trait qui s’encadre très-bien ici:

      «Jadis, selon Képhalion, régnèrent les Assyriens, à qui commanda Ninus… Puis cet auteur illustre joint la naissance de Sémiramis et du mage Zoroastre; il parcourt les 52 années du règne de Ninus… etc.33

      Voilà donc encore Zoroastre contemporain de Ninus, puisqu’il l’est de son épouse Sémiramis: et Képhalion ne se bornait pas là; car l’Arménien Moïse de Chorène, qui eut en main son ouvrage, le censure, pour avoir placé immédiatement après l’avènement de Sémiramis, la guerre que cette reine ne fit à Zoroastre qu’après son retour des Indes, et pour avoir dit que Zoroastre y succomba, tandis que ce fut elle qui y périt.

      Le livre de Moïse de Chorène n’ayant été publié qu’en 1736, les chronologistes antérieurs à cette date ont été privés de cette citation importante; et comme tout le fragment contient des détails précieux et décisifs sur la question qui nous occupe, le lecteur les verra avec d’autant plus de plaisir, que ce livre n’est pas très-commun.

      Après avoir rapporté, conformément au livre chaldéen d’Alexandre, les guerres mythologiques de Haïk et de Bélus, Moïse de Chorène arrive à des guerres réellement historiques, et sa transition se marque par quelques observations dont la substance mérite d’être citée.

      «A l’égard des conquêtes nombreuses, dit-il, qui signalèrent le règne d’Aram, principal fondateur de notre état, si elles ne se trouvent pas dans les archives publiques des temples ou des rois, ce n’est pas une raison d’en douter; car outre qu’elles ont précédé l’époque de Ninus, et qu’elles sont arrivées dans des temps où l’on ne croyait pas nécessaire d’écrire ce qui se passait hors du pays et chez les étrangers, Mar-Ibas nous apprend encore que ces récits ont été faits par des particuliers anonymes, dont les Mémoires furent joints aux archives royales, et il ajoute que si l’on a perdu le souvenir de beaucoup de choses, c’est parce que Ninus, enflé d’orgueil34 et avide de célébrité, fit brûler beaucoup de livres et d’histoires des temps qui l’avaient précédé, afin qu’on ne parlât que de lui et de son règne35.

      «Or Aram laissa un fils appelé Araï36, qui, lui ayant succédé peu de temps avant la mort de Ninus, obtint de ce monarque la même faveur qu’avait obtenue son père [c’est-à-dire celle d’être confirmé dans sa principauté à titre de vassal, de porter un bandeau orné de perles, et d’être le second personnage de l’empire37]».

      Moïse de Chorène raconte ensuite comment, après la mort de Ninus, Sémiramis, éprise de la beauté d’Araï, voulut en faire son amant et même son époux. Le prince arménien s’y étant refusé, l’Assyrienne lui fit la guerre, et battit son armée dans la plaine qui reçut alors le nom d’Ararat. Le corps d’Araï, tué dans le combat, tomba aux mains de Sémiramis, qui d’abord, pour calmer les Arméniens, fit courir le bruit que ses dieux et ses magiciens (ou prophètes) l’avaient ressuscité pour satisfaire ses désirs; puis elle attaqua tout le pays, et le subjugua. L’historien ajoute que, charmée de la beauté du climat, bien plus tempéré que celui de Ninive, cette reine bâtit une ville, un palais et des jardins délicieux près du lac de Vanck (et en effet les anciens géographes placent dans ce local Semiramo Kerta, la ville de Sémiramis). Mosès décrit l’aspect général du pays, le site particulier du lieu, sa disposition variée en collines, vallons et prairies, etc.; ses ruisseaux d’eaux vives et douces, et la chaussée dispendieuse qui fut construite pour former un lac charmant; il spécifie et le nombre des ouvriers employés à ces travaux, lequel fut de 42,000, et les constructions et les distributions, et les genres d’ornements; tout cela avec des détails qui prouvent que le livre chaldéen d’Alexandre fut composé sur des documents officiels38.

      Moïse de Chorène continue:

      «Alors que Sémiramis se fut fait cette habitation délicieuse, elle prit l’habitude d’y venir passer l’été. Elle confia le gouvernement de Ninive et de l’Assyrie au mage Zerdust39, prince des Mèdes; elle finit même par lui laisser l’administration de tout l’empire...... La vie dissolue qu’elle menait lui ayant attiré des reproches de la part des enfants de Ninus, elle les fit tous périr, excepté Ninyas; mais par la suite Zerdust manqua à sa confiance, et comme il voulut se rendre indépendant, Sémiramis lui fit une guerre dont les suites, devenues très-graves, la contraignirent à fuir devant lui en Arménie, où son fils Ninyas la fit mettre à mort. Ceci, ajoute Moïse de Chorène, me rappelle le récit de Képhalion, qui, comme bien d’autres, place après l’avénement de Sémiramis au trône, d’abord sa guerre contre Zoroastre, guerre dans laquelle il prétend qu’elle fut victorieuse, puis son expédition aux Indes. Mais je regarde comme bien plus certain ce que Mar-Ibas rapporte, d’après les livres chaldéens; car il explique avec ordre et clarté les événements et les causes de cette guerre; et ce savant Syrien a en sa faveur nos traditions populaires, qui, en récitant la mort de Sémiramis, disent, dans leurs chansons, que cette reine fut obligée de fuir à pied; que, dévorée de soif, elle demanda un peu d’eau dont elle but, et que, se voyant approchée par les soldats, elle jeta son collier dans la mer40, d’où est venu le proverbe: Jeter les joyaux de Sémiramis à l’eau

      Après des détails aussi précis, provenus d’une source aussi authentique, il ne peut rester de doute sur l’époque de Zoroastre; et si nous comparons les faits divers qui nous sont fournis, tant par les Parsis que par les historiens grecs, et par le livre chaldéen d’Alexandre, nous pouvons tracer de la vie de ce législateur, un tableau plus probable que tout ce que l’on en a écrit jusqu’ici.

      §


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<p>31</p>

Lib. I, cap. I.

<p>32</p>

Ce qu’Augustin, De civitate Dei, lib. XXI, cap. 14; ce qu’Orose, lib. I, cap. 4, dans le Ve siècle; et ce qu’Arnobe, lib. I, dans le IIIe siècle, disent de Zoroastre et de Ninus, ne sont que la répétition de ce passage.

<p>33</p>

Syncelle, p. 167.

<p>34</p>

Chap. 13, p. 40.

<p>35</p>

Érostrate brûla aussi le temple d’Éphèse pour qu’on parlât de lui: d’Érostrate à Ninus, quelle est la différence?

<p>36</p>

Chap. 14.

<p>37</p>

Ibid. pag. 37.

<p>38</p>

La preuve que Mosès n’a pas fait un roman, est qu’ayant présenté sa description à M. Amédée Jaubert, aujourd’hui auditeur au conseil-d’état, qui a voyagé dans le pays, il nous a assuré, dès la seconde page, qu’il reconnaissait parfaitement les environs du lac de Vanck, et particulièrement le local appelé Arnès, lieu redouté à cause des voleurs qui s’y cachent dans les trous d’une ruine dont la forme retrace une vieille digue.

<p>39</p>

La traduction latine porte Zoroastre à la manière des Grecs; mais le texte porte Zerdust à la manière des Parsis. Les traducteurs ne devraient jamais se permettre ces changements de noms propres: il en résulte quelquefois de graves contre-sens; par exemple, cette même traduction rend à la page 97, le pays de Klesoi par Cœlésyrie, pendant que c’est l’Akilis-ène de Strabon. Avec ces interprétations, on a introduit une foule d’erreurs et de difficultés dans l’histoire ancienne.

<p>40</p>

Les Arméniens, comme les Arabes, nomment d’un même mot tout grand espace d’eau: cette mer est le lac de Vank. En Égypte, le fleuve s’appelle Bahr, comme l’Océan même. Tout ce récit de Mosès a cela de remarquable, qu’en le confrontant à celui de Ktésias, l’on trouve que le Grec nous a donné le commencement de l’histoire de Sémiramis, et l’Arménien, le dénouement; tous les deux sont parfaitement d’accord sur le caractère. Et Mosès paraît n’avoir connu Ktésias que par Diodore.