La vie simple. Рихард Вагнер

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La vie simple - Рихард Вагнер


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la vie factice, c'est la manie de s'examiner et de s'analyser à tout propos. Je n'engage pas l'homme à se désintéresser de l'observation intérieure et de l'examen de conscience. Essayer d'y voir clair dans son esprit et dans ses motifs de conduite est un élément essentiel de la bonne vie. Mais autre chose est la vigilance, autre chose cette application incessante à se regarder vivre et penser, à se démonter soi-même comme une mécanique. C'est perdre son temps et se détraquer. L'homme qui, pour se mieux préparer à la marche, voudrait d'abord se livrer à un minutieux examen anatomique de ses moyens de locomotion risquerait de se disloquer avant d'avoir fait un seul pas. «Tu as ce qu'il te faut pour marcher, donc en avant! Prends garde de tomber et use de ta force avec discernement.» Les chercheurs de petites bêtes et les marchands de scrupules se réduisent à l'inaction. Il suffit d'une lueur de bon sens pour se rendre compte que l'homme n'est pas fait pour se regarder le nombril.

      Le bon sens, ne trouvez-vous pas que ce qu'on désigne par ce mot se fait aussi rare que les bonnes coutumes d'autrefois? Le bon sens c'est vieux jeu. Il faut autre chose; et l'on cherche midi à quatorze heures. Car c'est là un raffinement que le vulgaire ne saurait se payer, et il est si agréable de se distinguer! Au lieu de se comporter comme une personne naturelle qui se sert des moyens tout indiqués dont elle dispose, nous arrivons à force de génie aux plus étonnantes singularités. Plutôt dérailler que de suivre la ligne simple! Toutes les déviations et toutes les difformités corporelles que soigne l'orthopédie, ne donnent qu'une faible idée des bosses, des torsions, des déhanchements, que nous nous sommes infligés pour sortir du droit bon sens. Et nous apprenons à nos dépens qu'on ne se déforme pas impunément. La nouveauté après tout est éphémère. Il n'y a de durable que les immortelles banalités et si l'on s'en écarte c'est pour courir les plus périlleuses aventures. Heureux celui qui en revient, qui sait redevenir simple. Le simple bon sens n'est pas, comme plusieurs peuvent se l'imaginer, la propriété innée du premier venu, bagage vulgaire et trivial qui n'a coûté de peine à personne. Je le compare à ces vieilles chansons populaires, anonymes et impérissables, qui semblent être sorties du cœur même des foules. Le bon sens est le capital lentement et péniblement accumulé par le labeur des siècles. C'est un pur trésor, dont celui-là seul comprend la valeur, qui l'a perdu ou qui voit vivre les gens qui n'en ont plus. Pour ma part je pense qu'aucune peine n'est trop grande pour acquérir et garder le bon sens, pour maintenir ses yeux clairvoyants, son jugement droit. On prend bien garde à son épée, de peur de la fausser ou de la laisser ronger par la rouille. À plus forte raison faut-il prendre soin de sa pensée.

      Mais il faut bien comprendre ceci. Un appel au bon sens n'est pas un appel à la pensée terre à terre, à un positivisme étroit qui nie tout ce qu'il ne peut ni voir ni toucher. Car cela aussi est un manque de bon sens que de vouloir absorber l'homme dans sa sensation matérielle et d'oublier les hautes réalités du monde intérieur. Nous touchons ici à un point douloureux, autour duquel s'agitent les plus grands problèmes de l'humanité. Nous luttons en effet pour atteindre à une conception de la vie, nous la cherchons à travers mille obscurités et mille douleurs; et tout ce qui touche aux réalités spirituelles devient de jour en jour plus angoissant. Au milieu des graves embarras et du désordre momentané qui accompagne les grandes crises de la pensée, il semble plus que jamais difficile de se tirer d'affaire avec quelques principes simples. Pourtant la nécessité même nous vient en aide, comme elle l'a fait pour les hommes de tous les temps. Le programme de la vie est terriblement simple après tout, et par cela même que l'existence est si pressante et qu'elle s'impose, elle nous avertit qu'elle précède l'idée que nous pouvons nous en faire et que nul ne peut attendre pour vivre qu'il ait d'abord compris. Nous sommes partout en face du fait accompli avec nos philosophies, nos explications, nos croyances, et c'est ce fait accompli, prodigieux, irréfutable qui nous rappelle à l'ordre lorsque nous voulons déduire la vie de nos raisonnements et attendre pour agir que nous ayons fini de philosopher. Voilà l'heureuse nécessité qui empêche le monde de s'arrêter lorsque l'homme doute de son chemin. Voyageurs d'un jour, nous sommes emportés dans un vaste mouvement auquel nous sommes appelés à contribuer, mais que nous n'avons ni prévu, ni embrassé dans son ensemble, ni sondé dans ses fins dernières. Notre part consiste à remplir fidèlement le rôle de simple soldat qui nous est dévolu, et notre pensée doit s'adapter à cette situation. Ne disons pas que les temps sont plus difficiles pour nous que pour nos aïeux, car ce qui se voit de loin se voit souvent mal, et il y a d'ailleurs de la mauvaise grâce à se plaindre de n'être pas né du temps de son grand-père. Ce qu'on peut penser de moins contestable sur ce sujet, le voici: depuis que le monde existe il est malaisé d'y voir clair. Partout et toujours, penser juste a été difficile. Les anciens n'ont aucun privilège en cela sur les modernes. Et on peut ajouter qu'il n'y a aucune différence entre les hommes quand on en arrive à les considérer sous ce point de vue. Que l'homme obéisse ou commande, enseigne ou apprenne, tienne une plume ou un marteau, il lui en coûte également de bien discerner la vérité. Les quelques lumières que l'humanité acquiert en avançant lui sont sans doute d'une extrême utilité; mais elles agrandissent aussi le nombre et la portée des problèmes. La difficulté n'est jamais levée, toujours l'intelligence rencontre l'obstacle. L'inconnu nous domine et nous étreint de toutes parts. Mais de même qu'on n'a pas besoin d'épuiser toute l'eau des sources pour étancher sa soif, on n'a pas besoin de tout savoir pour vivre. L'humanité vit et a toujours vécu sur quelques provisions élémentaires.

      Nous essayerons de les indiquer: tout d'abord l'humanité vit par la confiance. Par là elle ne fait que refléter, dans la mesure de sa pensée consciente, ce qui est le fond obscur de tous les êtres. Une foi imperturbable à la solidité de l'univers, à son agencement intelligent, sommeille dans tout ce qui existe. Les fleurs, les arbres, les bêtes, vivent avec un calme puissant, une sécurité entière. Il y a de la confiance dans la pluie qui tombe, dans le matin qui s'éveille, dans le ruisseau qui court à la mer. Tout ce qui est, semble dire: «Je suis, donc je dois être; il y a de bonnes raisons pour cela, soyons tranquille.»

      Et de même l'humanité vit de confiance. Par cela même qu'elle est, elle porte en elle la raison suffisante de son être, un gage d'assurance. Elle se repose dans la volonté qui a voulu qu'elle fût. C'est à garder cette confiance et à ne la laisser déconcerter par rien, à la cultiver au contraire et à la rendre plus personnelle et plus évidente que doit tendre le premier effort de notre pensée. Tout ce qui augmente en nous la confiance est bon. Parce que de là naît l'énergie tranquille, l'action reposée, l'amour de la vie et du labeur fécond. La confiance fondamentale est le ressort mystérieux qui met en mouvement tout ce qu'il y a de forces en nous. Elle nous nourrit. C'est par elle que l'homme vit, bien plus que par le pain qu'il mange. Ainsi tout ce qui ébranle cette confiance est mauvais, c'est du poison, non de la nourriture.

      Est malsain tout système de pensée qui s'attaque au fait même de la vie, pour le déclarer mauvais. On a trop de fois mal pensé de la vie en ce siècle. Quoi d'étonnant que l'arbre se flétrisse quand vous en arrosez les racines de substances corrosives? Il y aurait cependant une bien simple réflexion à opposer à toute cette philosophie de néant: vous déclarez la vie mauvaise? Bon. Quel remède allez-vous nous offrir contre elle? Pouvez-vous la combattre, la supprimer? Je ne vous demande pas de supprimer votre vie, de vous suicider, à quoi cela nous avancerait-il? mais de supprimer la vie, non seulement la vie humaine, mais sa base obscure et inférieure, toute cette poussée d'existence qui monte vers la lumière et selon vous se rue vers le malheur; je vous demande de supprimer la volonté de vivre qui tressaille à travers l'immensité, de supprimer enfin la source de la vie. Le pouvez-vous? Non. Alors laissez-nous en paix. Puisque personne ne peut mettre un frein à la vie, ne vaut-il pas mieux apprendre à l'estimer et à l'employer qu'en dégoûter les gens?—Quand on sait qu'un mets est dangereux pour la santé, on n'en mange pas. Et quand une certaine façon de penser nous ôte la confiance, la joie et la force, il faut la rejeter, certains que non seulement elle est une nourriture détestable pour l'esprit, mais qu'elle est fausse. Il n'y a de vrai pour les hommes que les pensées humaines, et le pessimisme est inhumain. D'ailleurs il manque autant de modestie que de logique. Pour se permettre de trouver mauvaise cette chose prodigieuse qui se nomme la vie il faudrait en avoir vu le fond, et presque l'avoir faite. Quelle singulière attitude que celle de certains grands penseurs de ce temps! En vérité, ils se comportent comme s'ils avaient créé le monde dans leur jeunesse,


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