Henri VIII. Уильям Шекспир
Читать онлайн книгу.poids des richesses qu'elles portaient, et l'effort qu'elles avaient à faire leur servait de fard. La mascarade d'aujourd'hui était proclamée incomparable, la nuit suivante vous la faisait regarder comme une pauvreté et une niaiserie. Les deux rois égaux en splendeur paraissaient chacun à son tour, ou le premier ou le second, selon qu'ils se faisaient remarquer par leur présence. Celui qu'on voyait était toujours le plus loué, et lorsqu'ils étaient tous deux présents, on croyait n'en voir qu'un; et nul connaisseur n'eût hasardé sa langue à prononcer un jugement entre eux. Dès que ces deux soleils (car c'est ainsi qu'on les nomme) eurent par leurs hérauts invité les nobles courages à venir éprouver leurs armes, il se fit des choses tellement au delà de l'effort de la pensée, que les histoires fabuleuses furent reconnues possibles, et que l'on en vint à croire aux prouesses de Bevis 1.
BUCKINGHAM.–Oh! c'est aller bien loin.
NORFOLK.–Non, comme je suis soumis à l'honnêteté et tiens à la pureté de mon honneur, la représentation de tout ce qui s'est passé perdrait, dans le récit du meilleur narrateur, quelque chose de cette vie qui ne peut être exprimée que par l'action elle-même. Tout y était royal: nulle confusion, nulle disparate ne troublait l'harmonie de l'ensemble; l'ordre faisait voir chaque objet dans son vrai jour; chacun dans son emploi remplissait distinctement toute l'étendue de ses fonctions.
BUCKINGHAM.–Savez-vous qui a dirigé cette belle fête, je veux dire qui en a ajusté le corps et les membres?
NORFOLK.–Un homme, certes, qui n'en est pas à son apprentissage de telles affaires.
BUCKINGHAM.–Qui, je vous prie, milord?
NORFOLK.–Tout a été réglé par les bons soins du très-vénérable cardinal d'York.
BUCKINGHAM.–Que le diable l'emporte! Personne ne saurait avoir son écuelle à l'abri de ses doigts ambitieux. Qu'avait-il affaire dans toutes ces vanités guerrières? Je ne conçois pas que ce pâté de graisse soit parvenu à intercepter de sa masse les rayons du soleil bienfaisant, et à en priver la terre.
NORFOLK.–Certainement il faut qu'il ait eu dans son propre fonds de quoi parvenir à ce point; car n'étant pas soutenu par ces aïeux dont la gloire aplanit le chemin à leurs descendants, n'étant pas distingué par de grands services rendus, ni aidé par des alliés puissants, mais comme l'araignée tirant de lui-même les fils de sa toile, il nous fait voir qu'il n'avance que par la force de son propre mérite; présent dont le ciel a fait les frais, et qui lui a valu la première place auprès du roi.
ABERGAVENNY.–Je ne saurais dire quels présents il a reçus du ciel; des yeux plus savants que les miens pourraient le découvrir: mais ce que je suis en état de voir, c'est l'orgueil qui lui sort de partout; et d'où l'a-t-il eu, si ce n'est de l'enfer? Il faut que le diable soit un avare, ou bien qu'il ait déjà tout donné, et que celui-ci refasse en lui-même un nouvel enfer.
BUCKINGHAM.–Eh! pourquoi diable dans ce voyage de France a-t-il pris sur lui de désigner, sans en parler au roi, ceux qui devaient accompagner Sa Majesté? Il y a fait passer toute la noblesse, et cela fort peu dans l'intention de les honorer, du moins pour la plupart, mais pour leur imposer une charge ruineuse; et sur sa simple lettre, sans qu'il vous eût fait l'honneur de prendre l'avis du conseil, ceux à qui il avait écrit étaient obligés d'arriver.
ABERGAVENNY.–J'ai trois de mes parents, pour le moins, dont ceci a tellement dérangé les affaires que jamais ils ne se reverront dans leur première aisance.
BUCKINGHAM.–Oh! il y en a beaucoup dans ce grand voyage qui se sont cassé les reins à porter sur eux leurs domaines. Et que nous a servi toute cette parade? à nous ménager des négociations dont le résultat est bien pitoyable.
NORFOLK.–Malheureusement, la paix conclue entre la France et nous ne vaut pas ce qu'il nous en a coûté pour la conclure.
BUCKINGHAM.–Aussi, après l'effroyable orage qui suivit la conclusion, chacun se trouva prophète; et tous, sans s'être consultés, prédirent à la fois que cette tempête, en déchirant la parure de la paix, donnait lieu de présager qu'elle serait bientôt rompue.
NORFOLK.–L'événement vient d'éclore; car la France a rompu le traité: elle a saisi nos marchandises à Bordeaux.
ABERGAVENNY.–Est-ce donc pour cela qu'on a refusé de recevoir l'ambassadeur?
NORFOLK.–Oui, sans doute.
ABERGAVENNY.–Vraiment une belle paix de nom! Et à quel prix ruineux l'avons-nous achetée!
BUCKINGHAM.–Voilà pourtant l'ouvrage de notre vénérable cardinal!
NORFOLK.–N'en déplaise à Votre Grâce, on remarque à la cour le différend particulier qui s'est élevé entre vous et le cardinal. Je vous donne un conseil, et prenez-le comme venant d'un coeur à qui votre honneur et votre sûreté sont infiniment chers; c'est de considérer tout ensemble la méchanceté et le pouvoir du cardinal, et de bien songer ensuite que lorsque sa profonde haine voudra venir à bout de quelque chose, son pouvoir ne lui fera pas défaut. Vous connaissez son caractère, combien il est vindicatif; et je sais, moi, que son épée est tranchante: elle est longue, et on peut dire qu'elle atteint de loin; et où elle ne peut atteindre, il la lance. Enfermez mon conseil dans votre coeur; vous le trouverez salutaire.–Tenez, vous voyez approcher l'écueil que je vous avertis d'éviter.
WOLSEY.–L'intendant du duc de Buckingham? Ah! où est sa déposition?
LE SECRÉTAIRE.–La voici, avec votre permission.
WOLSEY.–Est-il prêt à la soutenir en personne?
LE SECRÉTAIRE.–Oui, dès qu'il plaira à Votre Grâce.
WOLSEY.–Eh bien! nous en saurons donc davantage, et Buckingham abaissera ce regard altier.
BUCKINGHAM.–Ce chien de boucher 2 a la dent venimeuse, et je ne suis pas en état de le museler: il vaut donc mieux ne point l'éveiller de son sommeil. Le livre d'un gueux vaut mieux aujourd'hui que le sang d'un noble.
NORFOLK.–Quoi! vous vous emportez? Priez le ciel qu'il vous donne la modération; elle est le seul remède à votre mal.
BUCKINGHAM.–J'ai lu dans ses yeux quelque projet contre moi; son regard est tombé sur moi comme sur l'objet de ses mépris: en ce moment même, il me joue quelque tour perfide. Il est allé chez le roi; je veux le suivre et l'effrayer par ma présence.
NORFOLK.–Demeurez, milord; attendez que votre raison ait interrogé votre colère sur ce que vous allez faire. Pour gravir une pente escarpée, il faut monter doucement d'abord. La colère ressemble à un cheval fougueux qui, abandonné à lui-même, est bientôt fatigué par sa propre ardeur. Personne, en Angleterre, ne pourrait me conseiller aussi bien que vous: soyez pour vous-même ce que vous seriez pour votre ami.
BUCKINGHAM.–Je vais aller trouver le roi; et je veux faire taire, en parlant comme il sied à un homme de mon rang, ce roturier d'Ipswich, ou bien je publierai qu'il n'y a plus aucune distinction entre les hommes.
NORFOLK.–De la prudence. N'allez point attiser pour votre ennemi une fournaise si ardente que vous vous y brûliez vous-même. Un excès de vitesse peut nous emporter au delà du but, et nous faire manquer le prix de la course. Ne savez-vous pas que le feu qui élève la liqueur d'un vase jusque par-dessus les bords la perd en paraissant l'augmenter? De la prudence, je vous le répète; il n'y a point d'homme en Angleterre plus capable de vous guider que vous-même, si vous vouliez vous servir des sucs de la raison pour éteindre ou seulement calmer le feu de la passion.
BUCKINGHAM.–Je vous rends grâces et je suivrai votre conseil; mais je sais par des informations, et des preuves aussi claires que les fontaines en juillet, quand nous y apercevons chaque grain de sable, que cet archi-insolent (et ce n'est point l'impétuosité de la bile qui me le fait nommer ainsi, mais une honnête indignation)
1
Les anciennes ballades anglaises ont célébré la gloire et les exploits de Bevis, guerrier saxon, que son extraordinaire valeur fit créer duc de Southampton, par Guillaume le Conquérant.
2
Wolsey était fils d'un boucher.