Les enfants des bois. Майн Рид
Читать онлайн книгу.son kraal actuel fût au delà des frontières, il entretenait encore des relations avec les établissements, et voulait, autant que possible, ne pas les perdre. Ces considérations de voisinage étaient peu de chose en présence d'une imminente nécessité; aussi, après quelques minutes de délibération, le boor donna l'ordre de marcher à l'ouest.
Le Bosjesman monta sur le siège, fit claquer son fouet puissant et s'avança dans la plaine. Gertrude et le petit Jan s'assirent à ses côtés, ayant derrière eux la jolie springbok, qui allongeait la tête et promenait autour d'elle ses yeux ronds avec une inquiète curiosité. Hans et Hendrik, à cheval, assistés de leurs chiens, chassaient devant eux les bœufs et les moutons.
Jetant un dernier regard sur son kraal désolé, Von Bloom lâcha la bride à son cheval et suivit silencieusement la charrette.
CHAPITRE VII.
DE L'EAU! DE L'EAU!
La petite caravane s'avança tranquillement, mais non sans bruit. On entendait incessamment retentir la voix de Swartboy et les claquements de son fouet colossal, qui produisaient au loin l'effet d'une décharge de mousqueterie. Hendrik criait à tue-tête, et Hans, d'ordinaire si calme, était dans la nécessité de vociférer pour maintenir le troupeau dans la bonne voie.
Par intervalles, les deux garçons, mis brusquement en réquisition, aidaient Swartboy à guider son attelage rétif, qui aurait pu s'écarter de la route. Hans et Hendrik galopaient en avant, remettaient la tête des bœufs dans le droit chemin et faisaient jouer sur leurs flancs le redoutable jambok.
Le jambok, auquel le plus mutin des animaux de trait se soumet, est un fouet élastique, de près de six pieds de long, qui va en s'amincissant régulièrement depuis le manche jusqu'à la pointe; il est en peau de rhinocéros ou d'hippopotame.
Toutes les fois que les bœufs qui traînaient la charrette se comportaient mal, et que Swartboy ne pouvait les atteindre avec son voorslag ou fouet de cocher, Hendrik les chatouillait avec son rude et flexible jambok, et les contraignait à rentrer dans le devoir.
D'ordinaire, dans l'Afrique méridionale, les attelages de bœufs ont un conducteur; mais ceux du porte-drapeau avaient été habitués à s'en passer depuis que les domestiques hottentots s'étaient enfuis. Swartboy avait souvent parcouru plusieurs milles avec son long fouet pour unique auxiliaire; mais après le passage des criquets émigrants, la terre avait un aspect si étrange, que les bœufs étaient en proie à une vague terreur. D'ailleurs les sentiers qu'ils auraient pu suivre n'avaient plus le moindre jalon. La superficie du sol était la même partout. Von Bloom, qui possédait à merveille la configuration du pays, pouvait à peine s'y reconnaître et n'avait pour guide que le soleil.
Hendrik surtout s'occupait de diriger les bœufs, laissant à son jeune frère Hans le soin de conduire les bestiaux, ce qui était moins difficile. La peur réunissait les pauvres bêtes qui marchaient ensemble, sans dévier, n'ayant point d'herbage qui les attirât à droite ou à gauche.
Von Bloom allait devant pour conduire la caravane. Ni lui ni ses fils n'avaient fait de changement à leur costume, qui était celui de tous les jours. Le porte-drapeau avait, comme la plupart des boors du Cap, un chapeau blanc de feutre à larges bords, un gilet de peau de faon, une grande veste de drap vert garnie sur les côtés de larges poches, et des culottes de cuir, qu'on appelle dans le pays carkers. Il était chaussé de feldt-schoenen ou souliers de campagne, en cuir brut. Sur sa selle était étendu un kaross ou fourrure de léopard; il portait sur l'épaule un roer, lourd fusil de gros calibre d'environ six pieds de long, avec une platine à la mode antique. C'est l'arme en laquelle le boor met toute sa confiance. Un Américain des frontières serait disposé à en rire à première vue; mais, s'il connaissait la colonie du Cap, il changerait promptement d'opinion. La carabine de petit calibre employée dans les bois d'Amérique, et dont la balle n'est guère plus grosse qu'un pois, serait presque inutile contre le gros gibier des contrées que nous parcourons; mais, quelle que soit la différence des armes, il y a d'adroits chasseurs dans les karoos d'Afrique, aussi bien que dans les forêts ou les prairies américaines.
Sous le bras gauche du porte-drapeau se courbait une immense poudrière, qui ne pouvait provenir que de la tête d'un bœuf africain. C'était une corne de bœuf des Bechuanas; mais on aurait pu en tirer une semblable de la plupart des comtés du Cap. Quand elle était pleine, elle ne comptait pas moins de six livres de poudre!
Von Bloom avait une carnassière de peau de léopard sous le bras droit, un couteau de chasse à la ceinture, et une grosse pipe d'écume passée dans le galon de son chapeau.
Le costume, les armes, l'équipement de Hans et de Hendrik étaient à peu près identiques. Leurs larges culottes étaient faites de peau de mouton tannée; ils portaient également des vestes de drap vert, des chapeaux blancs à larges bords, et des feldt-schoenen ou souliers de campagne.
Hans avait un léger fusil de chasse: Hendrik était armé d'un yager, forte carabine, excellente pour le gros gibier. Il en était fier, s'en servait avec adresse, et enfonçait un clou avec une balle à une centaine de pas de distance. C'était le tireur par excellence de la compagnie.
Chacun des enfants avait une gibecière remplie de balles et une grosse poire à poudre en forme de croissant. Les selles de leurs chevaux étaient ornées de kaross; seulement ces fourrures étaient l'une d'antilope et l'autre de chacal, tandis que le kaross de leur père était une peau de léopard de premier choix.
Le petit Jan était aussi revêtu d'un chapeau blanc, d'une veste, d'amples culottes et de feldt-schoenen. Malgré sa petite taille, c'était le portrait exact de son père sous le rapport du costume, un type de boor en abrégé.
Gertrude avait un corsage piqué et brodé à la mode hollandaise, une jupe de laine bleue. Ses cheveux blonds étaient cachés sous un chapeau de paille garni de rubans.
Totty avait la tête nue, et elle était habillée très-simplement d'une toile grossière de fabrication domestique.
Quant à Swartboy, il n'avait pour vêtement qu'une chemise rayée et de vieilles culottes de cuir, sans compter le kaross en peau de mouton posé auprès de lui.
Pendant une marche de vingt milles, les voyageurs ne trouvèrent ni eau ni fourrage. Le soleil avait un éclat dont ils se seraient passés volontiers, car la chaleur était aussi forte qu'entre les tropiques. Ils l'auraient difficilement supportée sans la brise qui souffla toute la journée. Malheureusement elle leur venait droit dans la figure, et une épaisse poussière s'élevait du sol qu'avaient remué les sauterelles avec leurs millions de pieds. Des nuages enveloppaient la petite caravane, augmentaient les difficultés de la marche, couvraient les vêtements, emplissaient la bouche ou rougissaient les yeux des infortunés émigrants.
Ce n'était pas tout: longtemps avant la nuit, ils eurent à souffrir du manque d'eau. Pressé de quitter le kraal désolé, Von Bloom n'avait pas songé à mettre dans la charrette une provision d'eau. C'était une impardonnable négligence dans une contrée comme le sud de l'Afrique, où les sources sont rares et les ruisseaux souvent taris. Comme il se repentit quand il sentit les tourments de la soif et entendit les cris de ses enfants, qui demandaient de l'eau en gémissant!...
Von Bloom ne se plaignait pas: il s'accusait comme d'un crime d'une irréflexion qui causait tant de souffrances. Du moins s'il eût pu les calmer! mais il ne connaissait pas de source plus proche que celle dont nous avons parlé, et il était impossible d'y arriver avant le lendemain.
Les bœufs ont le pas lent: on était parti tard, et il fallait s'attendre à n'être guère qu'à moitié chemin quand le soleil se coucherait. Pour trouver de l'eau, on aurait dû marcher toute la nuit; mais comment le faire avec des animaux exténués et privés d'aliments? Le malheureux Von Bloom pensait qu'il aurait pu ramasser assez de locustes pour en nourrir