LUPIN - Les aventures du gentleman-cambrioleur. Морис Леблан
Читать онлайн книгу.construction d’un nouveau sous-marin – encore un cadeau à la France. Eh bien ! parmi ces plans, j’avais gardé ceux d’un canot automobile submersible, et voilà comment tu as l’honneur de naviguer en ma compagnie…
Il appela Charolais.
– Fais-nous monter, plus de danger…
Ils bondirent jusqu’à la surface et la cloche de verre émergea… Ils se trouvaient à un mille des côtes, hors de vue par conséquent, et Beautrelet put alors se rendre un compte plus juste de la rapidité vertigineuse avec laquelle ils avançaient.
Fécamp d’abord passa devant eux, puis toutes les plages normandes, Saint-Pierre, les Petites-Dalles, Veulettes, Saint-Valery, Veules, Quiberville.
Lupin plaisantait toujours, et Isidore ne se lassait pas de le regarder et de l’entendre, émerveillé par la verve de cet homme, sa gaieté, sa gaminerie, son insouciance ironique, sa joie de vivre.
Il observait aussi Raymonde. La jeune femme demeurait silencieuse, serrée contre celui qu’elle aimait. Elle avait pris ses mains entre les siennes et souvent levait les yeux sur lui, et plusieurs fois Beautrelet remarqua que ses mains se crispaient un peu et que la tristesse de ses yeux s’accentuait. Et, chaque fois, c’était comme une réponse muette et douloureuse aux boutades de Lupin. On eût dit que cette légèreté de paroles, cette vision sarcastique de la vie lui causaient une souffrance.
– Tais-toi, murmura-t-elle… c’est défier le destin que de rire… Tant de malheurs peuvent encore nous atteindre !
En face de Dieppe, on dut plonger pour n’être pas aperçu des embarcations de pêche. Et vingt minutes plus tard, ils obliquèrent vers la côte, et le bateau entra dans un petit port sous-marin formé par une coupure irrégulière entre les rochers, se rangea le long d’un môle et remonta doucement à la surface.
– Port-Lupin, annonça Lupin.
L’endroit situé à cinq lieues de Dieppe, à trois lieues du Tréport, protégé à droite et à gauche par deux éboulements de falaise, était absolument désert. Un sable fin tapissait les pentes de la menue plage.
– À terre, Beautrelet… Raymonde, donnez-moi la main… Toi, Charolais, retourne à l’Aiguille voir ce qui se passe entre Ganimard et Duguay-Trouin, et tu viendras me le dire à la fin du jour. Ça me passionne, cette affaire-là !
Beautrelet se demandait avec certaine curiosité comment ils allaient sortir de cette anse emprisonnée qui s’appelait Port-Lupin, quand il avisa au pied même de la falaise les montants d’une échelle de fer.
– Isidore, dit Lupin, si tu connaissais ta géographie et ton histoire, tu saurais que nous sommes au bas de la gorge de Parfonval, sur la commune de Biville. Il y a plus d’un siècle, dans la nuit du 23 août 1803, Georges Cadoudal et six complices, débarqués en France avec l’intention d’enlever le premier consul Bonaparte, se hissèrent jusqu’en haut par le chemin que je vais te montrer. Depuis, des éboulements ont démoli ce chemin. Mais Valméras, plus connu sous le nom d’Arsène Lupin, l’a fait restaurer à ses frais, et il a acheté la ferme de la Neuvillette, où les conjurés ont passé leur première nuit, et où, retiré des affaires, désintéressé des choses de ce monde, il va vivre, entre sa mère et sa femme, la vie respectable du hobereau. Le gentlemancambrioleur est mort, vive le gentleman-farmer !
Après l’échelle, c’était comme un étranglement, une ravine abrupte creusée par les eaux de pluie, et au fond de laquelle on s’accrochait à un simulacre d’escalier garni d’une rampe. Ainsi que l’expliqua Lupin, cette rampe avait été mise en lieu et place de « l’estamperche », longue cordée fixée à des pieux dont s’aidaient jadis les gens du pays pour descendre à la plage… Une demi-heure d’ascension et ils débouchèrent sur le plateau non loin d’une de ces huttes creusées en pleine terre, et qui servent d’abri aux douaniers de la côte. Et précisément, au détour de la sente, un douanier apparut.
– Rien de nouveau, Gomel ? lui dit Lupin.
– Rien, patron.
– Personne de suspect ?
– Non, patron… cependant…
– Quoi ?
– Ma femme… qui est couturière à la Neuvillette…
– Oui, je sais… Césarine… Eh bien ?
– Il paraît qu’un matelot rôdait ce matin dans le village.
– Quelle tête avait-il, ce matelot ?
– Pas naturelle… Une tête d’Anglais.
– Ah ! fit Lupin préoccupé… Et tu as donné l’ordre à Césarine…
– D’ouvrir l’œil, oui, patron.
– C’est bien, surveille le retour de Charolais d’ici deux, trois heures… S’il y a quelque chose, je suis à la ferme.
Il reprit son chemin et dit à Beautrelet :
– C’est inquiétant… Est-ce Sholmès ? Ah ! si c’est lui, exaspéré comme il doit l’être, tout est à craindre.
Il hésita un moment :
– Je me demande si nous ne devrions pas rebrousser chemin… oui, j’ai de mauvais pressentiments…
Des plaines légèrement ondulées se déroulaient à perte de vue. Un peu sur la gauche, de belles allées d’arbres menaient vers la ferme de la Neuvillette dont on apercevait les bâtiments… C’était la retraite qu’il avait préparée, l’asile de repos promis à Raymonde. Allait-il, pour d’absurdes idées, renoncer au bonheur à l’instant même où il atteignait le but ?
Il saisit le bras d’Isidore, et lui montrant Raymonde qui les précédait :
– Regarde-la. Quand elle marche, sa taille a un petit balancement que je ne puis voir sans trembler… Mais, tout en elle me donne ce tremblement de l’émotion et de l’amour, ses gestes aussi bien que son immobilité, son silence comme le son de sa voix. Tiens, le fait seul de marcher sur la trace de ses pas me cause un véritable bien-être. Ah ! Beautrelet, oubliera-telle jamais que je fus Lupin ? Tout ce passé qu’elle exècre, parviendrai-je à l’effacer de son souvenir ?
Il se domina et, avec une assurance obstinée :
– Elle oubliera ! affirmat-il. Elle oubliera parce que je lui ai fait tous les sacrifices. J’ai sacrifié le refuge inviolable de l’Aiguille creuse, j’ai sacrifié mes trésors, ma puissance, mon orgueil… je sacrifierai tout… Je ne veux plus être rien… plus rien qu’un homme qui aime… un homme honnête puisqu’elle ne peut aimer qu’un homme honnête… Après tout, qu’est-ce que ça me fait d’être honnête ? Ce n’est pas plus déshonorant qu’autre chose…
La boutade lui échappa pour ainsi dire à son insu. Sa voix demeura grave et sans ironie. Et il murmurait avec une violence contenue :
– Ah ! vois-tu, Beautrelet, de toutes les joies effrénées que j’ai goûtées dans ma vie d’aventures, il n’en est pas une qui vaille la joie que me donne son regard quand elle est contente de moi… Je me sens tout faible alors… et j’ai envie de pleurer…
Pleurait-il ? Beautrelet eut l’intuition que des larmes mouillaient ses yeux. Des larmes dans le yeux de Lupin ! des larmes d’amour !
Ils approchaient d’une vieille porte qui servait d’entrée à la ferme. Lupin s’arrêta une seconde et balbutia :
– Pourquoi ai-je peur ?… C’est comme une oppression… Est-ce que l’aventure de l’Aiguille creuse n’est pas finie ? Est-ce que le destin n’accepte pas le dénouement que j’ai choisi ?
Raymonde se retourna, tout inquiète.
– Voilà Césarine. Elle court…
La femme du douanier, en effet, arrivait de la ferme en