Simon. George Sand

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Simon - George Sand


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hardi, il ne comprit pas les sentiments de Simon, et les attribua à la honte ou au remords d'avoir mal employé son temps et son argent. Il eut la délicatesse de ne pas lui faire de question et de ne pas sembler s'apercevoir de son embarras. Bonne, qui ne sut à quoi attribuer la conduite de son compagnon d'enfance, s'en affligea assez sérieusement pour faire craindre à son père que ce jeune homme ne lui inspirât un sentiment plus vif que la simple amitié.

      Cependant, à l'automne de 1824, Simon revint avec son diplôme d'avocat et sa thèse en latin dédiée à l'ami Parquet. Personne ne s'attendait à un succès aussi prompt. Simon ne l'avait pas même annoncé à sa mère dans ses lettres. Ce fut un grand jour de joie et d'attendrissement pour les deux vieillards. Bonne eut les larmes aux yeux en serrant la main de son jeune ami. Mais la tristesse et la pâleur de Simon ne s'animèrent pas un instant. Il sembla impatient de voir finir le dîner que Parquet donnait, pour lui faire fête, aux notables du pays et aux plus proches amis. Il s'éclipsa sur le premier prétexte qu'il put trouver et alla se promener seul dans la montagne. Tous les jours suivants il montra le même amour pour la solitude, le même besoin de silence et d'oubli. Parquet l'engageait avec chaleur à s'emparer de la première affaire qui serait plaidée à la fin des vacances, et à faire son début au barreau. Simon lui serrait la main et répondait: «Avant tout, il faut que je me repose. Je suis accablé de fatigue.»

      Cela n'était que trop vrai. Mais à ce malaise venait se joindre une tristesse profonde. Simon portait au dedans de lui-même la lèpre qui consume les âmes actives lorsque leur destinée ne répond pas à leurs facultés. Il était dévoré d'une inquiétude sans cause et d'une impatience sans but qu'il eût été bien embarrassé d'expliquer et de confier à tout autre qu'à lui-même, car il comprenait à peine son mal et n'osait se l'avouer. Il était ambitieux. Il se sentait à l'étroit dans la vie et ne savait vers quelle issue s'envoler. Ce qu'il avait souhaité d'être ne lui semblait plus, maintenant qu'il avait mis les deux pieds sur cet échelon, qu'une conquête dérisoire hasardée sur le champ de l'infini. Simple paysan, il avait désiré une profession éclairée; avocat, il rêvait les succès parlementaires de la politique, sans savoir encore s'il aurait assez de talent oratoire pour défendre la propriété d'une haie ou d'un sillon. Ainsi partagé entre le mépris de sa condition présente, le désir de monter au-dessus et la crainte de rester au-dessous, il était en proie à de véritables angoisses et les cachait avec soin, sachant mieux que personne que cet état tenait de la folie et qu'il fallait le surmonter par l'effort de sa propre volonté. Cette maladie de l'âme est commune aujourd'hui à tous les jeunes gens qui abandonnent la position de leur famille pour en conquérir une plus élevée. C'est une pitié que de les en voir tous atteints, même les plus médiocres, chez qui l'ambition (déjà si répréhensible dans les grandes âmes lorsqu'elle y naît trop vite) devient ridicule et insupportable, n'étant fondée sur aucune prétention légitime. Simon n'était pas de ces génies avortés qui se dévorent du regret de n'avoir pu exister. Il sentait sa force, il savait ce qu'il avait accompli, ce qu'il accomplirait encore. Mais quand? Toute la question était une question de temps. Il savait bien qu'à l'heure dite il reprendrait la charrue pour tracer dans le roc le pénible sillon de sa vie. Il souffrait par anticipation les douleurs de ce nouveau martyre, auquel il savait bien que la mollesse et l'amour grossier de soi-même ne viendraient pas le soustraire. Il souffrait, mais non pas comme la plupart de ceux qui se lamentent de leur impuissance; il subissait en silence le mal des grandes âmes. Il sentait se former en lui un géant, et sa frêle jeunesse pliait sous le poids de cet autre lui-même qui grondait dans son sein.

      Il s'appliquait cette métaphore, et souvent, lorsqu'au fond d'un ravin il se jetait avec accablement sur la bruyère, il se disait en lui-même qu'il était comme une femme enceinte, fatiguée de porter le fruit de ses entrailles. «Quand donc te produirai-je au jour, dragon? s'écriait-il dans son délire; quand donc te lancerai-je devant moi à travers le monde pour m'y frayer une route? Seras-tu vaste comme mon aspiration, seras-tu étroit comme ma poitrine? Est-ce la cité, est-ce la souris qui va sortir de ce pénible et long enfantement?»

      En attendant cette heure terrible, il s'étendait sur la mousse des collines et à l'ombre des forêts de bouleaux qui serpentent sur les bords pittoresques de la Creuse; il goûtait parfois quelques heures d'un sommeil agité comme l'onde du torrent et comme le vent de l'orage. Tantôt il marchait avec rapidité pendant tout un jour, tantôt il restait assis sur un rocher, du lever au coucher du soleil. Sa santé périssait, mais son âme ne vivait qu'avec plus d'intensité, et son courage renaissait avec les douleurs physiques qui lui donnaient un aliment.

      A ces maux se réunissaient les irritations bilieuses d'un sentiment politique très-prononcé. A vingt-deux ans, les sentiments sont des principes, et ces principes-là sont des passions. Simon avait sucé les idées républicaines au sein de sa mère. Son père, soldat de la république, avait été massacré par les chouans. L'abbé Féline avait compris la fraternité des hommes comme Jésus l'avait enseignée, et Jeanne, imbue de ses pensées, admettait si peu le droit divin pour les dignités temporelles, qu'à son insu, vingt fois par jour, elle était hérétique. Son fils prenait plaisir à l'entendre proférer ces saints blasphèmes. Il se gardait de les lui faire apercevoir, et s'enivrait de l'énergie de cette sauvage vertu qui répondait si bien à toutes les fibres de son être. «Ma mère, s'écriait-il quelquefois avec enthousiasme, vous étiez digne d'être une matrone romaine aux plus beaux jours de la république.» Jeanne ne savait pas l'histoire romaine, mais elle avait réellement les vertus de l'ancienne Rome.

      A cette époque, où il était sérieusement question du retour des anciens privilèges, où l'on présentait des lois sur le droit d'aînesse, où l'on votait des indemnités pour les émigrés, quoique la mère et le fils Féline n'eussent aucune prévention personnelle contre la famille de Fougères, ils virent avec regret tout l'attirail aratoire des frères Mathieu sortir du donjon féodal pour faire place à la livrée du comte. La vieille Jeanne prévoyait bien, dans son expérience, que, l'amour du nouveau une fois calmé, ce maître tant désiré ne manquerait ni d'ennemis ni de défauts. Elle était blessée, surtout, d'entendre le jeune curé de Fougères parler de lui rendre des honneurs semblables à ceux qui escorteraient les reliques d'un saint, et demandait par quelles vertus cet inconnu avait mérité qu'on parlât d'aller le recevoir en procession. Néanmoins, comme elle ne s'exprimait devant ses concitoyens qu'avec douceur et mesure, malgré le grand crédit que ses vertus, sa sagesse et sa piété lui avaient acquis sur leurs esprits, ils la traitèrent un peu comme Cassandre, et n'en continuèrent pas moins d'élever des reposoirs sur la route par laquelle le comte de Fougères devait arriver.

       Table des matières

      Quelques jours avant celui où le comte de Fougères était attendu dans son domaine, on vit, dès le matin, mademoiselle Bonne faire charger un mulet des plus beaux fruits de son jardin, fruits rares dans le pays, et que M. Parquet soignait presque aussi tendrement que sa fille. Le digne homme était parti la veille. Bonne monta en croupe, suivant l'usage, derrière son domestique. On attacha le mulet chargé de vivres à la queue du cheval que montaient la demoiselle et son écuyer en blouse et en guêtres de toile. Dans cet équipage, la fille vous voilà-t-il pas en route pour courir à sa rencontre, lui préparer son dîner et le saluer avec tout le respect d'une humble vassale? Combien de temps allez-vous nous dérober la présence de cet astre resplendissant? Songez à l'impatience…

      —Taisez-vous, monsieur Simon, interrompit Bonne avec un peu d'humeur. Toutes ces plaisanteries-là sont fort méchantes. Croyez-vous que mon père et moi soyons les humbles serviteurs de qui que ce soit? Pensez-vous que votre monsieur le comte soit autre chose pour nous qu'un client et un hôte envers lequel nous n'avons que des devoirs de probité et de politesse à remplir?

      —A Dieu ne plaise que j'en pense autrement! répondit Simon avec plus de douceur. Cependant, voisine, il me semble que votre père n'avait pas jugé convenable, ou du moins nécessaire, de vous emmener hier avec lui. D'où vient donc que vous voilà en route ce matin pour le rejoindre?

      —C'est que j'ai reçu


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