Le roman d'un enfant. Pierre Loti

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Le roman d'un enfant - Pierre Loti


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href="#u733130db-0e5b-45e9-99b9-46448e0a77ea">LVI, LVII, LVIII, LIX, LX, LXI, LXII, LXIII, LXIV, LXV, LXVI, LXVII, LXVIII, LXIX, LXX, LXXI, LXXII, LXXIII, LXXIV, LXXV, LXXVI, LXXVII, LXXVIII, LXXIX, LXXX, LXXXI, LXXXII, LXXXIII [Note du transcripteur: il n'y avait pas de chapitre XXXV.]

       Table des matières

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      C'est avec une sorte de crainte que je touche à l'énigme de mes impressions du commencement de la vie,—incertain si bien réellement je les éprouvais moi-même ou si plutôt elles n'étaient pas des ressouvenus mystérieusement transmis... J'ai comme une hésitation religieuse à sonder cet abîme...

      Au sortir de ma nuit première, mon esprit ne s'est pas éclairé progressivement, par lueurs graduées; mais par jets de clartés brusques—qui devaient dilater tout à coup mes yeux d'enfant et m'immobiliser dans des rêveries attentives—puis qui s'éteignaient, me replongeant dans l'inconscience absolue des petits animaux qui viennent de naître, des petites plantes à peine germées.

      Au début de l'existence, mon histoire serait simplement celle d'un enfant très choyé, très tenu, très obéissant et toujours convenable dans ses petites manières, auquel rien n'arrivait, dans son étroite sphère ouatée, qui ne fût prévu, et qu'aucun coup n'atteignait qui ne fût amorti avec une sollicitude tendre.

      Aussi voudrais-je ne pas écrire cette histoire qui serait fastidieuse; mais seulement noter, sans suite ni transitions, des instants qui m'ont frappé d'une étrange manière,—qui m'ont frappé tellement que je m'en souviens encore avec une netteté complète, aujourd'hui que j'ai oublié déjà tant de choses poignantes, et tant de lieux, tant d'aventures, tant de visages.

      J'étais en ce temps-là un peu comme serait une hirondelle, née d'hier, très haut à l'angle d'un toit, qui commencerait à ouvrir de temps à autre au bord du nid son petit œil d'oiseau et s'imaginerait, de là, en regardant simplement une cour ou une rue, voir les profondeurs du monde et de l'espace,—les grandes étendues de l'air que plus tard il lui faudra parcourir. Ainsi, durant ces minutes de clairvoyance, j'apercevais furtivement toutes sortes d'infinis, dont je possédais déjà sans doute, dans ma tête, antérieurement à ma propre existence, les conceptions latentes; puis, refermant malgré moi l'œil encore trouble de mon esprit, je retombais pour des jours entiers dans ma tranquille nuit initiale.

      Au début, ma tête toute neuve et encore obscure pourrait aussi être comparée à un appareil de photographe rempli de glaces sensibilisées. Sur ces plaques vierges, les objets insuffisamment éclairés ne donnent rien; tandis que, au contraire, quand tombe sur elles une vive clarté quelconque, elles se cernent de larges taches claires, où les choses inconnues du dehors viennent se graver.—Mes premiers souvenirs en effet sont toujours de plein été lumineux, de midis étincelants,—ou bien de feux de branches à grandes flammes roses.

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      Comme si c'était d'hier, je me rappelle le soir où, marchant déjà depuis quelque temps, je découvris tout à coup la vraie manière de sauter et de courir,—et me grisai jusqu'à tomber, de cette chose délicieusement nouvelle.

      Ce devait être au commencement de mon second hiver, à l'heure triste où la nuit vient. Dans la salle à manger de ma maison familiale—qui me paraissait alors un lieu immense—j'étais, depuis un moment sans doute, engourdi et tranquille sous l'influence de l'obscurité envahissante. Pas encore de lampe allumée nulle part. Mais, l'heure du dîner approchant, une bonne vint, qui jeta dans la cheminée, pour ranimer les bûches endormies, une brassée de menu bois. Alors ce fut un beau feu clair, subitement une belle flambée joyeuse illuminant tout, et un grand rond lumineux se dessina au milieu de l'appartement, par terre, sur le tapis, sur les pieds des chaises, dans ces régions basses qui étaient précisément les miennes. Et ces flammes dansaient, changeaient, s'enlaçaient, toujours plus hautes et plus gaies, faisant monter et courir le long des murailles les ombres allongées des choses... Oh! alors je me levai tout droit, saisi d'admiration... car je me souviens à présent que j'étais assis, aux pieds de ma grand'tante Berthe (déjà très vieille en ce temps-là), qui sommeillait à demi dans sa chaise, près d'une fenêtre par où filtrait la nuit grise; j'étais assis sur une de ces hautes chaufferettes d'autrefois, à deux étages, si commodes pour les tout petits enfants qui veulent faire les câlins, la tête sur les genoux des grand'mères ou des grand'tantes... Donc, je me levai, en extase, et m'approchai de la flamme; puis, dans le cercle lumineux qui se dessinait sur le tapis, je me mis à marcher en rond, à tourner, à tourner toujours plus vite et enfin, sentant tout à coup dans mes jambes une élasticité inconnue, quelque chose comme une détente de ressorts, j'inventai une manière nouvelle et très amusante de faire: c'était de repousser le sol bien fort, puis de le quitter des deux pieds à la fois pendant une demi-seconde,—et de retomber,—et de profiter de l'élan pour m'élever encore, et de recommencer toujours, pouf, pouf, en faisant beaucoup de bruit par terre, et en sentant dans ma tête un petit vertige particulier très agréable... De ce moment, je savais sauter, je savais courir!

      J'ai la conviction que c'était bien la première fois, tant je me rappelle nettement mon amusement extrême et ma joie étonnée.

      —Ah! mon Dieu, mais qu'est-ce qu'il a ce petit, ce soir? disait ma grand'tante Berthe un peu inquiète. Et j'entends encore le son de sa voix brusque.

      Mais je sautais toujours. Comme ces petites mouches étourdies, grisées de lumière, qui tournoient le soir autour des lampes, je sautais toujours dans ce rond lumineux qui s'élargissait, se rétrécissait,


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