Le roman d'un enfant. Pierre Loti

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Le roman d'un enfant - Pierre Loti


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      Au printemps, à la toute fraîche splendeur de mai, sur un chemin solitaire appelé: la route des Fontaines...

      (J'ai cherché à mettre à peu près par ordre de date ces souvenirs; je pense que je pouvais avoir cinq ans lorsque ceci se passait.)

      Donc, assez grand déjà pour me promener avec mon père et ma sœur, j'étais là, un matin de rosée, extasié de voir tout devenu si vert, de voir si promptement les feuilles élargies, les buissons touffus; sur les bords du chemin, les herbes montées toutes ensemble, comme un immense bouquet sorti en même temps de toute la terre, étaient fleuries d'un délicieux mélange de géraniums roses et de véroniques bleues; et j'en ramassais, j'en ramassais de ces fleurs, ne sachant auxquelles courir, piétinant dessus, me mouillant les jambes de rosée, émerveillé de tant de richesses à ma discrétion, voulant prendre à pleines mains et tout emporter. Ma sœur, qui déjà tenait une gerbe d'aubépines, d'iris, de longues graminées comme des aigrettes, se penchait vers moi, me tirant par la main, disant: «Allons, c'est assez, à présent; nous ne pourrons jamais tout cueillir, tu vois bien.» Mais je n'écoutais pas, absolument grisé par la magnificence de tout cela, ne me rappelant pas avoir jamais vu rien de pareil.

      C'était le commencement de ces promenades avec mon père et ma sœur qui, pendant longtemps (jusqu'à l'époque maussade des cahiers, des leçons, des devoirs) se firent presque chaque jour, tellement que je connus de très bonne heure les chemins des environs et les variétés des fleurs qu'on y pouvait moissonner.

      Pauvres campagnes de mon pays, monotones mais que j'aime quand même; monotones, unies, pareilles; prairies de foins et de marguerites où, en ces temps-là, je disparaissais, enfoui sous les tiges vertes; champs de blé, avec des sentiers bordés d'aubépines.... Du côté de l'Ouest, au bout des lointains, je cherchais des yeux la mer qui, parfois, quand on était allé très loin, montrait au-dessus de ces lignes déjà si planes, une autre petite raie bleuâtre plus complètement droite,—et attirante, attirante à la longue comme un grand aimant patient, sûr de sa puissance et pouvant attendre.

      Ma sœur, et mon frère dont je n'ai pas parlé encore, étaient de bien des années mes aînés, de sorte qu'il semblait, alors surtout, que je fusse d'une génération suivante.

      Donc, ils étaient pour me gâter, en plus de mon père et de ma mère, de mes grand'mères, de mes tantes et grand'tantes. Et, seul enfant au milieu d'eux tous, je poussais comme un petit arbuste trop soigné en serre, trop garanti, trop ignorant des halliers et des ronces....

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      On a avancé que les gens doués pour bien peindre (avec des couleurs ou avec des mots) sont probablement des espèces de demi-aveugles, qui vivent d'habitude dans une pénombre, dans un brouillard lunaire, le regard tourné en dedans, et qui alors, quand par hasard ils voient, sont impressionnés dix fois plus vivement que les autres hommes.

      Cela me semble un peu paradoxal.

      Mais il est certain que la pénombre dispose à mieux voir; comme dans les panoramas, par exemple, cette obscurité des vestibules qui prépare si bien au grand trompe-l'œil final.

      Au cours de ma vie, j'aurais donc été moins impressionné sans doute par la fantasmagorie changeante du monde, si je n'avais commencé l'étape dans un milieu presque incolore, dans le coin le plus tranquille de la plus ordinaire des petites villes: recevant une éducation austèrement religieuse; bornant mes plus grands voyages à ces bois de la Limoise, qui me semblaient profonds comme les forêts primitives, ou bien a ces plages de l'«île», qui me mettaient un peu d'immensité dans les yeux lors de mes visites à mes vieilles tantes de Saint-Pierre-d'Oleron.

      C'était surtout dans la cour de notre maison que se passait le plus clair de mes étés; il me semblait que ce fût là mon principal domaine, et je l'adorais....

      Bien jolie, il est vrai, cette cour; plus ensoleillée et aérée, et fleurie que la plupart des jardins de ville. Sorte de longue avenue de branches vertes et de fleurs, bordée au midi par de vieux petite murs bas d'où retombaient des rosiers, des chèvrefeuilles, et que dépassaient des têtes d'arbres fruitiers du voisinage. Longue avenue très fleurie donnant des illusions de profondeur, elle s'en allait en perspective fuyante, sous des berceaux de vigne et de jasmin, jusqu'à un recoin qui s'élargissait comme un grand salon de verdure,—puis elle finissait à un chai, de construction très ancienne, dont les pierres grises disparaissaient sous des treilles et du lierre.

      Oh! que je l'ai aimée, cette cour, et que je l'aime encore!

      Les plus pénétrants premiers souvenirs que j'en aie gardés, sont, je crois, ceux des belles soirées longues de l'été.—Oh! revenir de la promenade, le soir, à ces crépuscules chauds et limpides qui étaient certainement bien plus délicieux alors qu'aujourd'hui; rentrer dans cette cour, que les daturas, les chèvrefeuilles remplissaient des plus suaves odeurs, et, en arrivant, apercevoir dès la porte toute cette longue enfilade de branches retombantes!... Par-dessous un premier berceau, de jasmin de la Virginie, une trouée dans la verdure laissait paraître un coin encore lumineux du rouge couchant. Et, tout au fond, parmi les masses déjà assombries des feuillages, on distinguait trois ou quatre personnes bien tranquillement assises sur des chaises;—des personnes en robe noire, il est vrai, et immobiles—mais très rassurantes quand même, très connues, très aimées: mère, grand'mère et tantes. Alors je prenais ma course pour aller me jeter sur leurs genoux,—et c'était un des instants les plus amusants de ma journée.

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      ...Deux enfants, deux tout petits, assis bien près l'un de l'autre, sur des tabourets bas, dans une grande chambre qui s'emplissait d'ombre à l'approche d'un crépuscule de mars. Deux tout petits de cinq à six ans, en pantalons courts, blouses et tabliers blancs par-dessus, à la mode de ce temps-là; bien tranquilles, après avoir fait le diable, s'amusant dans un coin avec des crayons et des bouts de papier,—l'esprit inquiété d'une vague crainte cependant, à cause de la lumière mourante.

      Des deux bébés, un seul dessinait, c'était moi. L'autre—un ami invité pour la journée par exception—regardait faire, du plus près qu'il pouvait. Avec difficulté, mais en confiance cependant, il suivait les fantaisies de mon crayon, que je prenais soin de lui expliquer à mesure. Et, de fait, les explications devaient être nécessaires, car j'exécutais deux compositions de sentiment que j'intitulais, l'une, le Canard heureux; l'autre, le Canard malheureux.

      La chambre où cela se passait avait dû être meublée vers 1805, quand s'était mariée la pauvre très vieille grand'mère qui l'habitait encore et qui, ce soir-là, assise dans son fauteuil de forme Directoire, chantait toute seule sans prendre garde à nous.

      C'est confusément que je m'en souviens de cette grand'mère, car sa mort est survenue peu après ce jour. Et comme je ne rencontrerai même plus guère son image vivante dans le cours de ces notes, je vais ouvrir ici une parenthèse pour elle.

      Il paraît que jadis, au milieu de toute sorte d'épreuves, elle avait été une vaillante et admirable mère. Après des revers comme on en éprouvait en ces temps-là, ayant perdu son mari tout jeune à la bataille de Trafalgar, et ensuite son fils aîné au naufrage de la Méduse, elle s'était mise résolument à travailler pour élever son second fils—mon père—jusqu'au moment où, lui, avait pu en échange l'entourer de soins et de bien-être. Vers ses quatre-vingts ans (qui n'étaient pas loin de sonner quand je vins au monde) l'enfance sénile avait tout à coup


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