Les gens de bureau. Emile Gaboriau

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Les gens de bureau - Emile Gaboriau


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| LE PUBLIC N'EST ADMIS QUE DE 2 HEURES 1/4 | | A 3 HEURES 1/2. | +—————————————————————-+

      —Tout ceci ne m'apprend pas grand'chose, murmura Caldas. Bast, entrons!

      Il ouvrit la porte… et reçut une pomme cuite sur l'oeil.

      —Sacrrrrebleu! s'écria-t-il en portant la main au siège de la douleur.

      —Vous ne savez donc pas lire? lui cria un monsieur armé d'un balai et perché sur une échelle; le public n'est admis que de deux heures un quart à trois heures et demie.

      Deux autres messieurs, dont l'un brandissait des pincettes, tandis que l'autre se faisait un bouclier de son pupitre, lui crièrent aussi:

      —Le public n'est admis…

      —Mais sapristi! je ne suis pas le public, riposta Caldas, je suis employé dans ce bureau; M. Ganivet…

      —Tiens, c'est le nouveau, dit le monsieur aux pincettes.

      —Vous arrivez à propos, dit le monsieur sur l'échelle, nous sommes accablés de besogne.

      —Voici votre place, ajouta le monsieur au bouclier, en lui montrant une table non occupée.

      Et, profitant d'un moment d'inattention du monsieur aux pincettes, il lui asséna sur les reins un coup de règle plate à assommer un boeuf.

      La petite guerre recommença, sans qu'on fit davantage attention au nouveau, qui s'assit piteusement à sa place.

      La victoire ne tarda pas à se déclarer en faveur du monsieur à l'échelle et du monsieur aux pincettes. Forcé dans ses derniers retranchements, l'homme au pupitre lâcha pied et courut se réfugier derrière Caldas pour éviter la bagarre. Le nouveau se leva brusquement; sa chaise roula à trois pas, et, du coup, il fut atteint par les pincettes.

      Ma foi, la moutarde lui monta au nez; il saisit un plumeau et se rangea du côté de l'homme au pupitre, qui, grimpé sur une table, se défendait courageusement.

      Caldas tapait comme un sourd, et le vacarme redoublait.

      Tout à coup la porte s'ouvrit; un quatrième monsieur entra.

      C'était un petit homme sec, jaune, bilieux, à l'oeil cave. Comme on était au lundi, il était rasé de frais.

      M. Rafflard (tel était son nom) ne se fait raser que tous les dimanches. M. Rafflard s'enrhume facilement; c'est pourquoi il porte des chaussons fourrés et une calotte; il y a même une plaisanterie de tradition à ce sujet dans le neuvième bureau: tous les ans, au 1er janvier, les collègues de M. Rafflard lui offrent une calotte de velours; il s'est fâché la première année, depuis il s'est fait à ce cadeau, peut-être même se fâcherait-il si on négligeait cette prévenance.

      Malheureusement on ne lui donne pas de paletot pour remplacer celui qu'il porte à son bureau depuis l'année du retour des cendres; ce paletot a juste deux ans de service de moins que M. Rafflard. C'est en 1838 qu'il fut nommé surnuméraire; il a mis vingt-trois ans à devenir commis principal; on n'avançait pas vite de son temps; il croit qu'il sera sous-chef au moment de sa retraite; mais il est le seul à le croire. Rafflard a son bâton de maréchal; tout le monde sait qu'il n'ira pas plus loin. Et s'il ne va pas plus loin, c'est simplement parce qu'il n'a pas été plus vite.

      Son peu de chance dans l'administration a aigri son humeur; il avait le caractère difficile en entrant au ministère de l'Équilibre; il est devenu tout à fait insupportable. C'est la faute d'une gastrite, produit de son ambition rentrée.

      Profondément inintelligent, il rachète son incapacité par une gravité imperturbable. Il est fainéant, mais on ne l'a jamais vu inoccupé. C'est le paresseux le plus actif et la nullité la plus solennelle de l'Équilibre.

      M. Rafflard sembla fort choqué de la conduite de ses collègues.

      —C'est avec de pareils enfantillages, dit-il, que vous faites le plus grand tort à tout le bureau. Vous ne serez donc jamais sérieux!

      Les fonctions de commis principal, au ministère de l'Équilibre, ne comportent aucune prééminence sur les autres commis ou rédacteurs. Il est chargé seulement de distribuer le travail quotidien aux expéditionnaires. Si donc un commis principal a dans un bureau quelque influence, il ne la doit qu'à sa valeur personnelle. M. Rafflard n'avait ni l'une ni l'autre.

      Trois grognements accueillirent son observation, et l'homme aux pincettes, se glissant derrière le commis principal, lui enleva lestement sa calotte.

      —Que c'est bête, monsieur Basquin! s'écria-t-il, vous allez me faire prendre un rhume.

      —On ne lui rendra sa calotte que s'il éternue, dit l'homme à l'échelle.

      —Bravo, Nourrisson! firent les autres; éternuez mon oncle!

      «Mon oncle» est une autre plaisanterie traditionnelle dont la légende se perd dans la nuit des temps.

      Le commis principal ne répondit rien. Il gagna d'un air revêche le bureau séparé qu'il occupait auprès de la fenêtre.

      —Quand il vous plaira de rendre ma calotte, continua-t-il, vous me le direz.

      —Qu'est-ce que tu payes si on te la rend? demanda l'homme au pupitre.

      —Je ne paye rien; je n'ai pas douze mille livres de rente comme toi, Gérondeau. Si je les avais, je ne serais pas ici à faire ce métier de galérien.

      A ces mots, «douze mille livres de rente,» Caldas laissa tomber son plumeau; il considéra avec curiosité ce quadragénaire opulent qui répondait au nom de Gérondeau.

      On rendit la calotte à M. Rafflard, qui n'en grogna que plus fort.

      —On ne peut jamais travailler ici, c'est dégoûtant. Si vous n'avez rien à faire, moi, j'ai de la besogne: un rapport à faire copier.

      —Voilà votre homme, dit Gérondeau en montrant Caldas; monsieur est notre nouveau collègue.

      Galdas se leva pour prendre des mains du commis principal le rapport en question.

      —Vous n'êtes pas dégoûté, vous, dit l'autre, un travail destiné au ministre!

      —C'est donc bien difficile? demanda Romain.

      —Parbleu! il faut avoir été maître d'écriture.

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