Mariages d'aventure. Emile Gaboriau

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Mariages d'aventure - Emile Gaboriau


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en l’écoutant, semblait plus surpris qu’un homme qui tombe des nues. A chaque instant il poussait des exclamations d’étonnement, des oh! des ah! il levait vers le ciel des bras désespérés. Enfin, lorsque Pascal eut fini:

      —Cher ami, lui dit-il, tu as perdu la tête, il n’y a rien à faire à cela. Tu crois que la vie est un roman, et tu as agi comme un héros de feuilleton. Quand Paul Féval veut du bien à un de ses personnages, il lui fait cadeau d’un million, sans bourse délier. Mais dans la vie réelle, on ne trouve pas de millions comme cela.

      —Qui sait? répondit Pascal avec une nuance de fatuité.

      —Ce n’est pas un conseil qu’il te faut, reprit le médecin, mais bien une douche. Tu n’es qu’un poète égaré à l’École des ponts et chaussées, qui pourtant est bien loin du Parnasse. Aurait-on cru cela d’un mathématicien? Mon pauvre ami, tu ne sais rien de l’existence, ni de ses difficultés, et je vois avec douleur que tu vas l’apprendre à tes dépens. Je devais pourtant te servir d’exemple.

      —Sais-tu bien que tu n’es pas encourageant!

      —Hélas! c’est que je suis dans le vrai.

      Sur ce sujet, la conversation en resta là. Comme l’avait dit Pascal, il était trop tard pour revenir sur ses pas, et Lorilleux aurait inutilement froissé son ami.

      Mais le médecin sortit plus mécontent qu’il ne l’avait jamais été. Cette frasque de son ami coûtait, il se le disait au moins, quarante mille francs à sa sœur; car il considérait cet argent comme perdu, et il en faisait son deuil. Une chose cependant le consolait, c’est que probablement cette expérience refroidirait singulièrement Pascal, et le ramènerait à des idées plus positives. On dit que les folies passées sont un gage de sagesse pour l’avenir. Mieux valait que l’étourdi dépensât quarante mille francs avant son mariage que de se ruiner lorsqu’il serait père de famille. Cette école, d’ailleurs, ne le ruinait pas. Il avait encore à attendre de sa famille une jolie aisance.

      Telles étaient les réflexions de Lorilleux. Enfin, comme à quelque chose malheur est toujours bon, il songeait, non sans une certaine satisfaction, que cet événement mettait Pascal sous sa main. Ainsi, il restait près de lui, et il comptait bien redoubler de soins et l’entourer d’une plus sévère surveillance. Ainsi, il ne lui échapperait certainement pas; tandis que, nommé ingénieur en province, il aurait fort bien pu se marier sans prévenir son ami. Que seraient alors devenus ses projets?...

      On peut penser après cela que le médecin fut l’hôte fidèle de Pascal, il venait presque tous les jours passer la soirée avec lui.

      —Comment va le roman? demandait-il de temps à autre.

      —Mais pas mal, répondait l’associé de Jean Lantier.

      En effet, si l’entreprise était romanesque, les bénéfices étaient réels. Les maisons de la rue de la Harpe avaient donné moins qu’on ne l’espérait, mais quelques autres avaient rendu davantage. Deux lots importants près de Saint-Lazare avaient surtout procuré des bénéfices tout à fait inespérés.

      Il est vrai que les deux associés, Pascal la tête et Lantier les bras, ne ménageaient pas leurs peines, ni leurs démarches. Pascal courait du matin au soir, faisait dix visites, rédigeait les marchés et les soumissions, assiégeait les commissions et les bureaux de l’Hôtel de Ville. Lantier, dans le plâtre jusqu’aux genoux, comptait les pierres et les poutres, et ne reculait pas devant les litres de vin nécessaires à la conclusion des petites ventes.

      Cette activité donnait beaucoup à penser à Lorilleux, et il n’était pas sans remarquer l’air heureux des deux associés. Pascal prenait plus d’assurance, on devinait à son aplomb l’homme qui réussit. Le ventre de Lantier s’arrondissait.

      —Il ne me trompe donc pas, se disait le médecin, il réussit donc. C’est prodigieux, c’est invraisemblable; mais enfin, tant mieux, c’est pour ma sœur qu’il travaille, et je dois doublement me réjouir, comme ami et comme beau-frère.

      Les parents de Pascal avaient naturellement été les premiers instruits du succès de ses entreprises. On n’avait pas voulu l’écouter lorsqu’il était à Lannion, il savait bien qu’on le lirait. Il ne se faisait pas faute d’écrire souvent; mais madame Divorne seule répondait. Toutes les semaines, régulièrement, elle adressait à son fils une bonne lettre, bien longue, bien tendre, comme savent seules en écrire les mères. Pour l’avoué, il s’obstinait à garder le silence; il semblait avoir perdu l’usage de la plume.

      Dans les commencements, Pascal s’affligea beaucoup de cette obstination de son père; peu à peu, il s’en inquiéta moins, sachant bien qu’il se rendrait et que sa rancune ne tiendrait pas devant de bons et solides arguments, sur l’État ou sur première hypothèque.

      Et ces arguments, le jeune ingénieur était en état de les fournir. Les affaires allaient de mieux en mieux, les démolisseurs ne savaient où donner de la pioche; si bien que les associés, lorsqu’ils firent leur inventaire, au bout de deux ans, trouvèrent que chacun d’eux possédait un peu plus de cent soixante mille francs. Les pièces de vingt sous étaient devenues des pièces de cinq francs, pour parler comme Jean Lantier.

      Ce résultat féerique éblouit Lorilleux. Il voulut douter, mais il fallut bien se taire, les chiffres étaient là.

      —Peut-être devrais-tu t’arrêter, dit-il à son ami; ne compromettras-tu pas dans tes spéculations futures ce que tu as si heureusement gagné?

      Pascal n’entendait pas de cette oreille. Il ne s’était pas fait, comme il le disait, maçon en gros pour s’arrêter en si beau chemin. Le médecin dut imposer silence à la voix inquiète qu’il nommait sa prudence. Il se résigna à penser que sa sœur aurait voiture, et il se promit bien de la lui emprunter quelquefois, pour éblouir certains clients qui s’obstinent à ne pas croire au talent qui va à pied.

      Mais Pascal ne songeait pas encore à la voiture, ou du moins n’en parlait pas. Seulement, comme il se trouvait fort mal dans son petit logement, il résolut de se donner un peu ses aises. Il aimait le confortable, et pensait l’avoir bien gagné.

      En conséquence, il loua dans la rue de Rivoli un joli appartement dont les fenêtres donnaient sur le square Saint-Jacques. Il ne le paya guère plus de trois fois ce qu’il valait. La vue, il faut tout dire, était comprise dans le prix.

      Cette vue était une des plus belles de Paris, elle n’était pas encore masquée par ces deux malencontreux théâtres, niaises et prétentieuses constructions, près desquelles la tour Saint-Jacques, cet inimitable bijou, semble une protestation de l’art et du bon goût.

      En homme prudent qui veut pouvoir faire une réparation ou un embellissement, sans risquer le lendemain d’être augmenté ou de recevoir congé, Pascal fit un bail. Outre le prix de son loyer, il avait à acquitter divers petits frais qui augmentaient d’un sixième le prix convenu; mais il ne voulut pas chicaner pour si peu: il faut bien se conformer à l’usage.

      Il paya six mois d’avance, prêta entre les mains du portier le serment de se conformer aux usages de la maison, signa un état de lieux qui lui coûta cent dix-sept francs cinquante-cinq centimes, remplit diverses autres formalités, et enfin fut chez lui. A Paris, avoir un chez-soi n’est pas plus difficile que ça.

      Puis il mit les ouvriers dans son appartement. Des sept pièces qui le composaient, il en fit trois, et alors il put recevoir plus de deux personnes à la fois, étendre les bras sans danger de se faire du mal aux mains, et éternuer sans risquer de casser le globe de sa pendule.

      Le propriétaire le laissa tailler à sa fantaisie, se promettant bien de lui faire payer très cher, plus tard, ces dégradations à son immeuble.

      C’est alors que Pascal fit vraiment des folies. Il trancha du Crésus, et ne dépensa pas moins d’une douzaine de mille francs pour dorer ses lares. Pour ce prix il eut quelques beaux meubles, des tapis, des étoffes de bon goût et trois


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