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vous!

      — Non, je n’ai plus rien, tout est perdu pour moi! S’écria-t-elle.

      — Non, tout n’est pas perdu, continua Pierre en s’animant: si j’étais un autre que moi, si j’étais le plus beau, le plus intelligent, le meilleur des hommes, si j’étais libre, je vous aurais demandé, à genoux, à l’instant même, votre main et votre amour!»

      Natacha, qui n’avait pas encore pu pleurer, fondit en larmes à ces paroles, et quitta l’appartement en le remerciant d’un regard reconnaissant et attendri.

      Retenant ses pleurs avec peine, il sortit également en toute hâte et, après avoir passé sa pelisse tant bien que mal, il se jeta dans son traîneau.

      «Où faut-il vous mener? Demanda le cocher.

      — Où? Se dit Pierre à lui-même, mais où peut-on aller à présent? Certainement pas au club, pour y voir cette foule d’indifférents? …» Tout lui semblait maintenant si misérable, comparé au sentiment d’affection et d’amour qui l’avait envahi, à ce long et doux regard qu’elle avait attaché sur lui à travers ses larmes!

      «À la maison!» cria Pierre, en rejetant derrière lui, malgré les dix degrés de froid, sa grosse fourrure d’ours, et en découvrant sa large poitrine qui se soulevait de bonheur.

      Le temps était admirablement clair: au-dessus des rues sales et obscures, au-dessus des toits qui s’enchevêtraient les uns dans les autres, s’étendait la voûte foncée du ciel toute constellée d’étoiles. En contemplant ces hautes et mystérieuses sphères, si bien en harmonie avec l’état de son âme, il oubliait l’outrageante abjection de la terre. Au moment où il débouchait sur l’Arbatskaïa, un large espace du sombre horizon s’ouvrit devant ses yeux. Tout au milieu rayonnait une pure lumière, dont la brillante chevelure, entourée d’astres scintillants, se déployait majestueusement sur l’extrême limite de notre globe: c’était la fameuse comète de 1811, celle-là même qui, au dire de chacun, annonçait des calamités sans nombre et la fin du monde. Mais elle n’éveilla aucune terreur superstitieuse dans le cœur de Pierre, et ses yeux humides de pleurs l’admiraient au contraire avec extase. Ne semblait-elle pas être venue s’enfoncer dans ce coin de la terre comme une flèche dont la parabole aurait franchi avec une rapidité vertigineuse l’incommensurable espace, et qui maintenant, relevant au-dessus d’elle son long et lumineux panache, se jouait au loin dans l’infini! Il lui sembla que sa céleste lueur dissipait les ténèbres de son âme, et lui laissait entrevoir les clartés divines d’une nouvelle existence!

      CHAPITRE IV

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       XVII

       XVIII

       XIX

       XX

       XXI

       XXII

       XXIII

      I

      À la fin de l’année 1811, les souverains de l’Europe occidentale renforcèrent leurs armements, et concentrèrent leurs troupes. En 1812, ces forces réunies, qui se composaient de millions d’hommes, y compris, et ceux qui les commandaient, et ceux qui devaient les approvisionner, se mettaient en marche vers les frontières de la Russie, qui, de son côté, dirigeait ses soldats vers le même but. Le 12 juin, les armées de l’Occident entrèrent en Russie, et la guerre éclata!… C’est-à-dire qu’à ce moment eut lieu un événement en complet désaccord avec la raison et avec toutes les lois divines et humaines!

      Ces millions d’êtres se livraient mutuellement aux crimes les plus odieux: meurtres, pillages, fraudes, trahisons, vols, incendies, fabrication de faux assignats… tous les forfaits étaient à l’ordre du jour, et en si grand nombre, que les annales judiciaires du monde entier n’auraient pu en fournir autant d’exemples pendant une longue suite de siècles!… Et cependant ceux qui les commettaient ne se regardaient pas comme criminels!

      Où trouver les causes de ce fait aussi étrange que monstrueux? Les historiens assurent naïvement qu’ils les ont découvertes dans l’insulte faite au duc d’Oldenbourg, dans la non observation du blocus continental, dans l’ambition effrénée de Napoléon, dans la résistance de l’Empereur Alexandre, dans les fautes de la diplomatie, etc., etc.

      Il aurait donc suffi, s’il fallait les en croire, que Metternich, Roumiantzow ou Talleyrand eussent rédigé, entre une réception de cour et un raout, une note bien tournée, ou que Napoléon eût adressé à Alexandre un: «Monsieur mon frère, je consens à restituer le duché d’Oldenbourg…», pour que la guerre n’eût pas lieu!

      On conçoit aisément que tel devait être le point de vue des contemporains. Ainsi qu’il l’a dit plus tard à Sainte-Hélène, Napoléon attribuait exclusivement la guerre aux intrigues de l’Angleterre, tandis que de leur côté les membres du Parlement anglais donnaient pour prétexte son ambition insatiable; le duc d’Oldenbourg, l’insulte dont il avait été l’objet; les marchands, le blocus continental qui ruinait l’Europe; les vieux soldats et les généraux, l’absolue nécessité de les employer activement; les légitimistes, le devoir sacré de soutenir les bons principes; les diplomates, l’alliance austro-russe de 1809, que l’on n’avait pas su dissimuler au cabinet des Tuileries, et la difficulté que présenterait la rédaction d’un mémorandum, portant, par exemple, le n°178. Ces raisons, jointes à une foule d’autres, d’une nature plus infime et provenant de la diversité des points de vue personnels, ont pu sans doute satisfaire


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