Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï. León Tolstoi

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Toutes les Oeuvres Majeures de Léon Tolstoï - León Tolstoi


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surpris et sévère.

      «Je sais bien que rien n’y fera, si la nature ne vient pas elle-même en aide à la science, reprit le prince André légèrement ému; je sais que, sur des milliers de cas pareils, il ne s’en trouverait qu’un peut-être de malheureux, mais c’est son caprice à elle, et le mien aussi. On lui a fait accroire toutes sortes de choses à la suite d’un rêve.

      — Hem! Hem! Murmura le vieux entre ses dents… Bien, bien, je le ferai; puis signant son nom avec un paragraphe vigoureux: Mauvaise affaire, hein? Ajouta-t-il en souriant.

      — De quelle mauvaise affaire parlez-vous, mon père?

      — Ta femme! Répliqua carrément le vieux, en appuyant sur ce mot.

      — Je ne vous comprends pas.

      — Vois-tu, mon ami, on n’y peut rien, elles sont toutes les mêmes; on ne peut pas se démarier; ne crains rien, je ne le dirai à personne, mais tu le sais aussi bien que moi… c’est la vérité.»

      De sa main maigre et osseuse il saisit brusquement la main d’André et la serra, tandis que son regard perçant pénétrait jusqu’au fond de son être. Son fils répondit par un aveu muet, un soupir!

      Le vieux prince plia et cacheta ses lettres en un tour de main:

      «Qu’y faire? Elle est jolie! Sois tranquille, ce sera fait,» dit-il brièvement.

      André se taisait, à la fois triste et content d’avoir été deviné.

      «Écoute, ne t’en inquiète pas, on fera le possible; et maintenant voici une lettre pour Michel Illarionovitch: je lui demande de t’employer aux bons endroits et de ne pas te garder trop longtemps auprès de lui. Tu lui diras que ma vieille affection se souvient toujours de lui et tu m’informeras de son accueil. Si tu en es content, fais ton devoir; autrement, va-t’en; le fils de Nicolas Bolkonsky ne saurait être gardé auprès de son chef par tolérance… Approche!»

      Il parlait très vite et avalait la moitié de ses mots, mais son fils le comprenait. Il le suivit au bureau, que son père ouvrit pour en retirer un gros cahier tout couvert d’une écriture serrée, mais parfaitement lisible. «Il est probable que je mourrai avant toi, ceci est un mémoire à remettre à l’Empereur après ma mort; voici également un billet du Lombard et une lettre; c’est le prix que je destine à celui qui écrira les campagnes de Souvorow; tu l’enverras à l’Académie, j’y ai fait des annotations; lis-les après moi, elles te seront utiles.»

      André, sentant qu’il ne pouvait pas, sans une sorte d’indélicatesse, promettre à son père une longue vie, répondit simplement:

      «Tout sera fait selon votre désir.

      — Et maintenant, adieu, s’écria le vieillard en l’embrassant et en lui donnant sa main à baiser. Rappelle-toi, prince André, que si la mort te frappait, mon vieux cœur en saignerait; et si j’apprenais, ajouta-t-il gravement en le regardant en face, que le fils de Nicolas Bolkonsky ne fait point son devoir, j’en aurais honte, sache-le bien.»

      Ces dernières paroles s’échappèrent en sifflant de sa bouche.

      «Vous auriez pu vous épargner la peine de me le dire, mon père, répliqua le prince André en souriant. J’ai aussi une prière à vous adresser: si je suis tué et qu’il me soit né un fils, gardez-le auprès de vous, élevez-le ici, je vous en supplie!

      — Il ne faudra donc pas le rendre à ta femme?…»

      Et il essaya de rire, mais un frisson nerveux agita son menton.

      «Va-t’en, s’écria-t-il en haussant la voix, et il poussa son fils hors du cabinet.

      — Qu’y a-t-il? Qu’est-il arrivé?» demandèrent anxieusement les deux princesses, en voyant le vieillard apparaître dans sa robe de chambre, ses lunettes sur le nez, et sans perruque.

      Il se retira aussitôt.

      Le prince André soupira sans répondre:

      «Eh bien? Dit-il à sa femme d’un ton froidement railleur, comme s’il l’invitait à jouer ses petites comédies.

      — André, déjà!» et la petite princesse pâlit de crainte et d’émotion; il l’embrassa, elle poussa un cri et s’évanouit. Soulevant sa tête penchée sur son épaule, il lui jeta un long regard et la déposa doucement dans un fauteuil.

      «Adieu, Marie,» dit-il tout bas à sa sœur; leurs mains s’enlacèrent, et, la baisant au front, il sortit à pas précipités. MlleBourrienne frottait les tempes de la petite princesse; la princesse Marie la soutenait et envoyait, de ses yeux voilés de pleurs, encore un dernier regard et une dernière bénédiction à son frère, tandis que le vieux prince se mouchait fréquemment et avec un tel bruit, dans son cabinet, qu’on aurait cru entendre des coups de pistolet tirés avec colère. Elle le vit tout à coup paraître sur le seuil du salon.

      «Il est parti!… Allons, c’est bien!…»

      Et, apercevant la jeune femme évanouie, il secoua la tête d’un air fâché, et rentra brusquement chez lui, en refermant la porte avec violence.

      CHAPITRE II

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       XVII

       XVIII

       XIX

       XX

      I

      L’armée russe occupait, en octobre 1805, un certain nombre de villes et de villages de l’archiduché d’Autriche. On y voyait arriver chaque jour de nouveaux régiments, dont le séjour pesait lourdement sur le pays et sur ses habitants. Ces forces, toujours


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