Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger. Wolfgang Bendick

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Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger - Wolfgang Bendick


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un voile bleu, les gaz d’échappement sucrés de la tronçonneuse planaient dans les cônes de la lumière rentrant par les fenêtres, et les murs noircis entendaient, surpris, le son de l’ère nouvelle ! Nous empilâmes les bûches à côté de l’énorme cheminée, qui prenait le côté ouest de la pièce. Enfin nous pûmes circuler librement dans la maison ! Dehors il commençait à faire nuit. Ludwig alluma un premier feu avec ce bois hyper sec, pendant que je descendais vers la caravane chercher des provisions et les duvets. Nous passâmes une soirée extraordinaire au coin du feu. J’avais toujours rêvé de posséder une maison avec cheminée ouverte. Maintenant nous l’avions !

      Le lendemain matin nous descendîmes les bouteilles vides du grenier, qui s’y trouvaient par centaines. Souvent c’étaient des bouteilles épaisses, c’est-à-dire très vieilles avec des capuchons mécaniques, avec des sceaux ou des écritures dans le verre. À l’époque ces bouteilles devaient avoir une grande valeur, sinon on ne les aurait pas gardées ! « On pourra les vendre aux puces… » songea Ludwig. « Qu’on s’en débarrasse ! » criai-je. Mais comment, car il n’existait pas de collecte de déchets ici ? Je pensai alors qu’on avait prévu de construire une fosse septique. Celle-ci devrait être construite en face de la porte d’entrée, en bordure du jardin. Alors on y creusa un trou de 2x2 mètres, d’environ 30 centimètres de profondeur. Nous y jetâmes toute la verrerie, mîmes des lunettes de soleil sur le nez et cassâmes tout à grand coup de masse, pour la rendre moins encombrante. Plus tard nous y coulâmes la dalle de la fosse.

      Les grandes caisses en bois au grenier, dans lesquelles on conservait les jambons et la charcuterie sous une couche de cendres, étaient en grande partie bouffées par les vers. Il y avait des cendres partout. Nous balayâmes tout et épandîmes les cendres dans le pré en contrebas de la maison, là où nous avions projeté de faire le potager. À un endroit, au-dessus de la pièce dont le mur arrière était tombé, quelqu’un avait posé un nouveau parquet au grenier. Seulement, entre-temps les vers l’avaient attaqué. Mais il pouvait encore porter notre poids. Nous le laissâmes donc, il y avait plus urgent !

      Avec pied de biche et barre à mine, nous nous mîmes à arracher les vieilles planches du grenier. Nous commençâmes côté vallée. Lorsqu’il y eut assez d’espace, nous clouâmes quelques vieilles planches en forme de caniveau qui descendaient à travers la fenêtre de la cuisine à l’étage inférieur jusqu’au jardin. Nous nous en servîmes pour expédier tous les déchets vers le bas. Au jardin nous triâmes tout. Nous mîmes les meilleures planches de côté, pour nous en servir de coffrage, les autres partaient sur un tas afin d’être brûlées à l’occasion, peut-être à la Saint Jean. Lentement, comme une grande toile d’araignée, l’ossature du grenier apparaissait.

      À l’aide d’une hache j’incisai diverses poutres, afin de voir comment elles étaient à l’intérieur. Je fus surpris ! Ma première impression à l’achat était qu’il fallait changer quasiment tout. Maintenant je constatai que c’était uniquement l’extérieur, l’aubier, qui était envahi par les vers et tombait en poussière. Le reste, le cœur, dur comme du fer, résistait même à la hache ! Même les vers à bois avaient jeté l’éponge ! Le cœur était si dur que nous n’arrivions pas à en extraire les vieux clous, encore moins à en planter de nouveaux ! Les vieux, encore forgés à la main, perdaient les têtes, les nouveaux se tordaient. Sans doute l’épaisse couche de suie, qui couvrait tout le bois, avait-elle contribué à la conservation des poutres. Car nous constatâmes que le conduit de la cheminée au grenier était plus récent. Avant, les fumées s’évacuaient simplement vers le haut à travers les fentes entre les planches et les ardoises. On n’avait utilisé quasiment que du bois dur, certes, parfois peu épais, peut-être pour éviter de le scier. Mais en séchant tout s’était transformé en une construction rigide et solide. Les poutres étaient façonnées grossièrement à l’aide d’une hache et d’un autre outil, qui ressemblait plutôt à une bêche de jardin. Nous en avions trouvé un dans la cave. Par endroits l’écorce se trouvait encore sur le bois. Tous les matériaux de construction semblaient venir du voisinage tout proche.

      Je dus péniblement couper à la tronçonneuse les quelques pièces que je voulais changer. Et pour y poser les nouvelles pièces, il fallut pré-percer les trous pour les clous avec la perceuse à manivelle. Un léger brouillard de fines particules de suie planait dans l’air, nous procurant un gout amer dans la bouche et nous bouchant les narines. La lumière oblique du soleil bas projetait des points lumineux dans l’intérieur obscur de la maison, invitant les particules de poussière à des danses folles. Le soir, nous étions contents de nos progrès, même si nous n’avions pas encore entamé la reconstruction.

      *

      Samedi nous descendîmes au marché à St. Girons. Nous savions que dans le passé c’était le lieu de rencontre de tous les « néos », tous les « immigrants », que ce soient des Français des villes, des néoruraux Allemands ou des hippies internationaux. Ceux-ci étaient bien reconnaissables à leurs cheveux longs et parfois à leurs habits colorés, même si parfois leurs vêtements ressemblaient beaucoup à ceux des autochtones, surtout ceux qui élevaient des bêtes. L’Allemand était la langue la plus entendue. De plus, on reconnaissait souvent les Allemands à leur tignasse blonde. Quelques-uns des néo-immigrants tenaient un stand de marché sur lequel étaient étalés des plants de légumes, des pains faits par eux-mêmes, ou des fringues indiennes et des accessoires pour fumer. Ces stands servaient aussi comme lieu de rencontre aux compatriotes, car souvent on y voyait un attroupement de jeunes gens assis par terre ou des enfants qui s’amusaient à courir en riant ou qui mendiaient auprès des passants. Un autre groupe avait amené ses instruments de musique et jouait sur le trottoir devant l’Hôtel de l’Union, au rez-de-chaussée duquel se trouvait un café-bar derrière de hautes vitres. Autour des petites tables étaient assis des êtres d’apparence exotique. Tout le monde fumait, tout le monde buvait. Le serveur avait du mal à arriver aux tables et à vider son plateau plus que plein. Des tables étaient même posées sur le trottoir pour abreuver la foule assoiffée, et aussi sur le parking adjacent.

      Nous aussi, nous y rencontrâmes des connaissances. D’une certaine manière tout le monde semblait se connaître ou connaître quelqu’un qui connaissait quelqu’un qu’on connaissait aussi… Tous les marchés du monde se ressemblent : ce sont des lieux pour des gens qui ont quelque chose à vendre et ceux qui ont besoin de quelque chose. Ici le marché était en plus un lieu de rendez-vous pour les gens qui sinon vivaient éparpillés dans la multitude des vallées environnantes et ne se voyaient pas, aussi bien les autochtones que les néos. Et ici on apprenait toutes les nouvelles, avant que ça ne paraisse dans les journaux et aussi celles que ceux-ci ne publieraient jamais…

      Assis sur une terrasse derrière une bière nous regardâmes passer le courant humain. De temps en temps quelqu’un émergeait de la foule, venait vers nous et on se saluait à la manière française avec un « bisou », la bise soufflée sur chaque joue, ou on s’embrassait à la manière hippie. Quelques policiers déambulaient dans la foule, ce qui incitait plus d’un fumeur de joint à être un peu plus discret. D’autres ne se laissaient pas intimider et continuaient d’émietter et de rouler leur œuvre à trois feuilles. Ici régnait une sorte de trêve. A un stand de réfugiés vietnamiens nous achetâmes quelques nems que nous mangeâmes assis sur le mur de la rivière. Nous regardâmes en contrebas un groupe de gens habillés en couleurs faire passer un chilom assis sur le gravier de la berge. Mélangées au bruissement de l’eau, les fumées montaient vers nous jusqu’à notre nez. Sur le chemin du retour nous nous arrêtions ici et là, devant un bistro pour déguster une autre bière. On y rencontrait surtout des autochtones, qui comme nous prenaient encore un ‘coup pour la route’. Ici on parlait patois, le dialecte.

      Nous avions acquis un trépied auprès d’un ferrailleur, sous lequel, non loin du treuil, à l’écart de la maison nous allumâmes un feu avec du bois de démolition. Dans un chaudron nous fîmes chauffer de l’eau. Nous nous servîmes d’un arrosoir comme douche pour nous débarrasser de la couche noire de la semaine précédente. Ce qui avait pénétré plus en profondeur, nous le fîmes sortir en toussant et crachant pendant les jours suivants.

      *


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