L'autre Tartuffe, ou La mère coupable. Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

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L'autre Tartuffe, ou La mère coupable - Pierre-Augustin  Caron de Beaumarchais


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autre Tartuffe, ou La mère coupable

      UN MOT SUR LA MÈRE COUPABLE

      PENDANT ma longue proscription, quelques amis zélés avaient imprimé cette Pièce, uniquement pour prévenir l'abus d'une contrefaçon infidèle, furtive, et prise à la volée pendant les représentations1. Mais ces amis eux-mêmes, pour éviter d'être froissés par les agens de la terreur, s'ils eussent laissé leurs vrais titres aux personnages espagnols, (car alors tout était péril) se crurent obligés de les défigurer, d'altérer même leur langage, et de mutiler plusieurs scènes.

      Honorablement rappelé dans ma patrie, après quatre années d'infortunes, et la Pièce étant désirée par les anciens Acteurs du Théâtre français, dont on connaît les grands talens; je la restitue en entier dans son premier état. Cette édition est celle que j'avoue.

      Parmi les vues de ces artistes, j'entre dans celle de présenter, en trois séances consécutives, tout le roman de la famille Almaviva, dont les deux premières époques ne semblent pas, dans leur gaîté légère, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralité de la dernière; mais qui, dans le plan de l'auteur, ont une connexion intime, propre à verser le plus vif intérêt sur les représentations de la Mère coupable.

      J'ai donc pensé avec les Comédiens, que nous pouvions dire au Public: Après avoir bien ri, le premier jour, au Barbier de Séville, de la turbulente jeunesse du Comte Almaviva, laquelle est à-peu-près celle de tous les hommes:

      Après avoir, le second jour, gaîment considéré, dans la Folle journée, les fautes de son âge viril, et qui sont trop souvent les nôtres:

      Par le tableau de sa vieillesse, et voyant la Mère coupable, venez vous convaincre avec nous, que tout homme qui n'est pas né un épouvantable méchant, finit toujours par être bon, quand l'âge des passions s'éloigne, et sur-tout quand il a goûté le bonheur si doux d'être père! c'est le but moral de la Pièce. Elle en renferme plusieurs autres que ses détails feront sortir.

      Et moi, l'Auteur, j'ajoute ici: Venez juger la Mère coupable, avec le bon esprit qui l'a fait composer pour vous. Si vous trouvez quelque plaisir à mêler vos larmes aux douleurs, au pieux repentir de cette femme infortunée: si ses pleurs commandent les vôtres, laissez-les couler doucement. Les larmes qu'on verse au théâtre, sur des maux simulés qui ne font pas le mal de la réalité cruelle, sont douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon après la compassion!

      Auprès de ce tableau touchant, si j'ai mis sous vos yeux le machinateur, l'homme affreux qui tourmente aujourd'hui cette malheureuse famille; Ah! je vous jure que je l'ai vu agir; je n'aurais pas pu l'inventer. Le Tartuffe de Molière était celui de la religion: aussi de toute la famille d'Orgon, ne trompa-t-il que le chef imbécile! Celui-ci, bien plus dangereux, Tartuffe de la probité, a l'art profond de s'attirer la respectueuse confiance de la famille entière qu'il dépouille. C'est celui-là qu'il fallait démasquer. C'est pour vous garantir des piéges de ces monstres (et il en existe par-tout) que j'ai traduit sévèrement celui-ci sur la scène française. Pardonnez-le moi, en faveur de sa punition, qui fait la clôture de la Pièce. Ce cinquième acte m'a couté; mais je me serais cru plus méchant que Bégearss, si je l'avais laissé jouir du moindre fruit de ses atrocités; si je ne vous eusse calmés après des alarmes si vives.

      Peut être ai-je attendu trop tard pour achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait être écrit dans la force de l'âge. Il m'a tourmenté bien long-temps! Mes deux comédies espagnoles ne furent faites que pour le préparer. Depuis, en vieillissant, j'hésitais de m'en occuper: je craignais de manquer de force; et peut-être n'en ai-je plus à l'époque où je l'ai tenté! mais enfin, je l'ai composé dans une intention droite et pure: avec la tête froide d'un homme, et le cœur brûlant d'une femme, comme on l'a pensé de Rousseau. J'ai remarqué que cet ensemble, cet hermaphrodisme moral, est moins rare qu'on ne le croit.

      Au reste, sans tenir à nul parti, à nulle secte, la Mère coupable est un tableau des peines intérieures qui divisent bien des familles; auxquelles malheureusement le divorce, très-bon d'ailleurs, ne remédie point. Quoi qu'on fasse, ces plaies secrètes, il les déchire au lieu de les cicatriser. Le sentiment de la paternité, la bonté du cœur, l'indulgence en sont les uniques remèdes. Voilà ce que j'ai voulu peindre et graver dans tous les esprits.

      Les hommes de lettres qui se sont voués au théâtre, en examinant cette Pièce, pourront y démêler une intrigue de comédie, fondue dans le pathétique d'un drame. Ce dernier genre, trop dédaigné de quelques juges prévenus, ne leur paraissait pas de force à comporter ces deux élémens réunis. L'intrigue, disaient-ils, est le propre des sujets gais, c'est le nerf de la comédie: on adapte le pathétique à la marche simple du drame, pour en soutenir la faiblesse. Mais ces principes hasardés s'évanouissent à l'application, comme on peut s'en convaincre en s'exerçant dans les deux genres. L'exécution plus ou moins bonne assigne à chacun son mérite; et le mêlange heureux de ces deux moyens dramatiques employés avec art, peut produire un très-grand effet; voici comment je l'ai tenté.

      Sur les antécédens connus (et c'est un fort grand avantage) j'ai fait en sorte qu'un drame intéressant existât aujourd'hui entre le Comte Almaviva, la Comtesse et les deux enfans. Si j'avais reporté la Pièce à l'âge inconsistant où les fautes se sont commises, voici ce qui fût arrivé.

      D'abord le drame eût dû s'appeler, non la Mère coupable, mais l'Epouse infidèle, ou les Epoux coupables: ce n'était déjà plus le même genre d'intérêt; il eût fallu y faire entrer des intrigues d'amour, des jalousies, du désordre, que sais-je? de tous autres évènemens: et la moralité que je voulais faire sortir d'un manquement si grave aux devoirs de l'épouse honnête; cette moralité, perdue, enveloppée dans les fougues de l'âge, n'aurait pas été apperçue. Mais, c'est vingt ans après que les fautes sont consommées; quand les passions sont usées; que leurs objets n'existent plus; à l'instant où les conséquences d'un désordre presque oublié viennent peser sur l'établissement, sur le sort d'enfans malheureux qui les ont toutes ignorées, et n'en sont pas moins les victimes. C'est de ces circonstances graves que la moralité tire toute sa force, et devient le préservatif des jeunes personnes bien nées qui, lisant peu dans l'avenir, sont beaucoup plus près du danger de se voir égarées, que de celui d'être vicieuses. Voilà sur quoi porte mon drame.

      Puis, opposant au scélérat, notre pénétrant Figaro, vieux serviteur très-attaché; le seul Être que le fripon n'a pu tromper dans la maison: l'intrigue qui se noue entr'eux, s'établit sous cet autre aspect.

      Le scélérat inquiet, se dit: En vain j'ai le secret de tout le monde ici; envain je me vois près de le tourner à mon profit; si je ne parviens pas à faire chasser ce valet, il pourra m'arriver malheur!

      D'autre côté, j'entends le Figaro: Si je ne réussis à dépister ce monstre, à lui faire tomber le masque; la fortune, l'honneur, le bonheur de cette maison; tout est perdu. La Susanne, jetée entre ces deux lutteurs, n'est ici qu'un souple instrument dont chacun entend se servir pour hâter la chûte de l'autre.

      Ainsi, la Comédie d'intrigue, soutenant la curiosité, marche tout au travers du Drame, dont elle renforce l'action, sans en diviser l'intérêt qui se porte entier sur la Mère. Les deux enfans, aux yeux du spectateur, ne courent aucun danger réel. On voit bien qu'ils s'épouseront, si le scélérat est chassé; car, ce qu'il y a de mieux établi dans l'ouvrage, c'est qu'ils ne sont parens à nul degré; qu'ils sont étrangers l'un à l'autre: ce que savent fort bien, dans le secret du cœur, le Comte, la Comtesse, le scélérat, Susanne et Figaro, tous instruits des événemens; sans compter le Public qui assiste à la Pièce, à qui nous n'avons rien caché. Tout l'art de l'hypocrite, en déchirant le cœur du Père et de la Mère, consiste à effrayer les jeunes gens, à les arracher l'un à l'autre, en leur fesant croire à chacun qu'ils sont enfans du même père! c'est-là le fond de son intrigue. Ainsi marche le double plan que l'on peut appeler complexe.

      Une telle action dramatique peut s'appliquer à tous les temps, à tous les lieux où les grands traits de la nature, et tous ceux qui caractérisent le cœur de l'homme et ses secrèts, ne seront pas trop méconnus.

      Diderot comparant les ouvrages de Richardson avec


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<p>1</p>

Elle fut représentée, pour la première fois, au Théâtre du Marais, le 26 Juin 1792.