L'autre Tartuffe, ou La mère coupable. Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

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L'autre Tartuffe, ou La mère coupable - Pierre-Augustin  Caron de Beaumarchais


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vos cajoleries, je vois que vous voulez que je vous serve auprès de Florestine?

BÉGEARSS, caressant

      A dire vrai, j'ai compté sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme! J'ai tout le reste dans ma main; ce point seul est entre les tiennes. (Vivement.) Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalé…

SUSANNE l'examineBÉGEARSS se reprend

      Je dis un signalé, par l'importance qu'il y met. (Froidement.) Car, ma foi! c'est bien peu de chose! Le Comte aurait la fantaisie… de donner à sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamans de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sût.

SUSANNE, surprise

      Ha ha!..

BÉGEARSS

      Ce n'est pas trop mal vu! De beaux diamans terminent bien des choses! Peut-être il va te demander d'apporter l'écrin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier…

SUSANNE

      Pourquoi, comme ceux de Madame? C'est une idée assez bisarre!

BÉGEARSS

      Il prétend qu'ils soient aussi beaux… Tu sens, pour moi, combien c'était égal! Tiens, vois-tu? le voici qui vient.

SCÈNE VLE COMTE, SUSANNE, BÉGEARSSLE COMTE

      MONSIEUR Bégearss, je vous cherchais.

BÉGEARSS

      Avant d'entrer chez vous, Monsieur, je venais prévenir Susanne; que vous avez dessein de lui demander cet écrin…

SUSANNE

      Au moins, Monseigneur, vous sentez…

LE COMTE

      Eh! laisse-là ton Monseigneur! N'ai-je pas ordonné, en passant dans ce pays-ci?..

SUSANNE

      Je trouve, Monseigneur, que cela nous amoindrit.

LE COMTE

      C'est que tu t'entends mieux en vanité qu'en vraie fierté. Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut point heurter les préjugés.

SUSANNE

      Eh bien! Monsieur, du moins vous me donnez votre parole…

LE COMTE, fièrement

      Depuis quand suis-je méconnu?

SUSANNE

      Je vais donc vous l'aller chercher. (A part.) Dame! Figaro m'a dit de ne rien refuser!..

SCÈNE VILE COMTE, BÉGEARSSLE COMTE

      J'AI tranché sur le point qui paraissait l'inquiéter.

BÉGEARSS

      Il en est un, Monsieur, qui m'inquiète beaucoup plus; je vous trouve un air accablé…

LE COMTE

      Te le dirai-je, Ami! la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur. Un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable.

BÉGEARSS

      Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier là-dessus, je vous dirais que votre second fils…

LE COMTE, vivement

      Mon second fils! je n'en ai point!

BÉGEARSS

      Calmez-vous, Monsieur; raisonnons. La perte d'un enfant chéri peut vous rendre injuste envers l'autre; envers votre épouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits?

LE COMTE

      Des conjectures? Ah! j'en suis trop certain! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. – Tant que mon pauvre fils vécut, j'y mettais fort peu d'importance. Héritier de mon nom, de mes places, de ma fortune… que me fesait cet autre individu? Mon froid dédain, un nom de terre, une croix de Malthe, une pension, m'auraient vengé de sa mère et de lui! Mais, conçois-tu mon désespoir, en perdant un fils adoré, de voir un étranger succéder à ce rang, à ces titres; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son père?

BÉGEARSS

      Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant à vous appaiser; mais la vertu de votre épouse…

LE COMTE, avec colère

      Ah! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-là! Commander vingt ans par ses mœurs et la piété la plus sévère, l'estime et le respect du monde; et verser sur moi seul, par cette conduire affectée, tous les torts qu'entraîne après soi ma prétendue bisarrerie!.. Ma haine pour eux s'en augmente.

BÉGEARSS

      Que vouliez-vous donc qu'elle fît; même en la supposant coupable? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt années ne doive effacer à la fin? Fûtes vous sans reproche vous-même? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus près…

LE COMTE

      Qu'elle assure donc ma vengeance! Je dénaturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. Déjà trois millions d'or, arrivés de la Vera Crux, vont lui servir de dot; et c'est à toi que je les donne. Aide-moi seulement à jeter sur ce don un voile impénétrable. En acceptant mon porte-feuille, et te présentant comme époux, suppose un héritage, un legs de quelque parent éloigné…

BÉGEARSS, montrant le crêpe de son bras

      Voyez que, pour vous obéir, je me suis déjà mis en deuil.

LE COMTE

      Quand j'aurai l'agrément du Roi pour l'échange entammé de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays, je trouverai moyen de vous en assurer la possession à tous deux.

BÉGEARSS, vivement

      Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons… peut-être encor très peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entière de l'héritier de votre nom? d'un jeune homme plein de mérite; car il faut avouer qu'il en a…

LE COMTE, impatienté

      Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!..

BÉGEARSS

      Si votre pupille m'accepte; et si, sur vos grands biens, vous prélevez, pour la doter, ces trois millions d'or, du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire.

LE COMTE le serre dans ses bras

      Loyal et franc ami! quel époux je donne à ma fille!..

SCÈNE VIISUSANNE, LE COMTE, BÉGEARSSSUSANNE

      MONSIEUR, voilà le coffre aux diamans; ne le gardés pas trop long-temps; que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame!

LE COMTE

      Susanne, en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne.

SUSANNE, à part

      Avertissons Figaro de ceci. (Elle sort.)

SCÈNE VIIILE COMTE, BÉGEARSSBÉGEARSS

      QUEL est votre projet sur l'examen de cet écrin?

LE COMTE tire de sa poche un bracelet entouré de brillans

      Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront; écoute. Un certain Léon d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin

BÉGEARSS

      Je l'ai connu; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'être major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus.

LE COMTE

      C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui; je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. – Un an après la naissance du fils… qu'un combat détesté m'enlève. (Il met la main à ses yeux.) Lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique; au lieu de rester à Madrid, ou dans mon palais à Séville, ou d'habiter Aguas frescas, qui est un superbe séjour; quelle retraite, Ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain château d'Astorga, chef-lieu d'une méchante terre, que j'avais achetée des parens de ce page. C'est-là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence; qu'elle y


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