Les grotesques de la musique. Hector Berlioz

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Les grotesques de la musique - Hector Berlioz


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alors avec charme; ils nous plongeaient dans une douce rêverie. Bientôt après, il fallait payer son tribut à la faiblesse humaine; on se sentait pris de spasmes d'estomac et de véritables nausées. Mais ce n'est pas ici le cas d'examiner ce phénomène physiologique.

      Pour n'être en aucune façon influencés par les noms des facteurs des terribles pianos, nous avions eu l'idée d'étudier ces instruments, sans savoir à qui ni de qui ils étaient. On avait en conséquence caché le nom des facteurs par une large plaque de carton portant un numéro. Les essayeurs pianistes, avant de commencer leur opération, nous criaient du théâtre: Numéro 37, ou numéro 20, etc. Chacun des jurés prenait ses notes d'après cette désignation. Quand ensuite le deux cent soixante-dixième air était exécuté, les jurés, non contents de cette épreuve, descendaient sur le théâtre, examinaient de près le mécanisme de chaque instrument, en touchaient eux-mêmes le clavier, et modifiaient ainsi, s'il y avait lieu, leur première opinion. Le premier jour, on entendit un nombre considérable de pianos à queue. Les sept jurés en distinguèrent tout d'abord six dans l'ordre suivant:

      Le nº 9 obtint l'unanimité pour la première place;

      Le nº 19 obtint également l'unanimité pour la seconde;

      Le nº 5 eut 6 voix sur 7 pour la troisième;

      Le nº 11, 4 voix sur 7 pour la quatrième;

      Le nº 17, 6 voix pour la cinquième;

      Le nº 22, 5 voix pour la sixième.

      Les jurés, pensant que la position des pianos sur le théâtre, position plus ou moins rapprochée de certains réflecteurs du son, pouvait rendre les conditions de sonorité inégales, imaginèrent alors d'entendre une seconde fois ces six instruments dans un autre ordre et après les avoir tous déplacés. En outre, pour ne pas subir l'influence d'une première impression, ils tournèrent eux-mêmes le dos à la scène pendant le déplacement des instruments, dont ils connaissaient la couleur, la forme et la place, voulant ignorer où ils allaient être portés. Ils les entendirent ainsi sans se retourner, sans savoir lequel était touché le premier, le second, etc.; et leurs notes consultées ensuite, et les numéros rapprochés du nouveau numéro d'ordre dans lequel on venait de les faire entendre, il se trouva, en fin de compte, que les suffrages s'étaient répartis de la même façon sur les mêmes instruments qu'à la première épreuve, tant les qualités de chacun étaient tranchées. Ce fait est l'un des plus curieux de ce genre que l'on puisse citer; il prouve d'ailleurs le soin minutieux avec lequel le jury s'est acquitté de sa tâche.

      Après chaque séance, le résultat des votes était consigné dans le procès-verbal; un membre du jury allait découvrir les noms cachés par la plaque de carton, écrivait ces noms avec les numéros auxquels ils correspondaient, et sa déclaration, jointe au procès-verbal, était enfermée dans une enveloppe cachetée et revêtue du timbre du Conservatoire.

      C'est pourquoi, pendant les longues semaines consacrées à l'examen des pianos, personne, pas même les membres du jury (excepté un), ne connaissant le nom des facteurs classés, aucun de ceux-ci n'a pu réclamer, ni se plaindre, ni venir nous dire: «Monsieur, je n'ai pas démérité, etc.»

      La même marche a été suivie pour les pianos à queue petit format, pour les pianos carrés et pour les pianos droits. Nous avons la satisfaction d'annoncer qu'aucun juré n'a succombé par suite de cette épreuve, et que la plupart d'entre eux sont aujourd'hui en convalescence.

      Un rival d'Érard

      Certains mécaniciens amateurs se livrent parfois à la fabrication des instruments de musique avec le plus grand succès. Ils font même dans cet art d'étonnantes découvertes… Ces hommes ingénieux, autant que modestes, dédaignent néanmoins d'envoyer leurs ouvrages aux expositions universelles, et ne réclament pour eux personnellement ni brevet d'invention, ni médaille d'or, ni le moindre cordon de la Légion d'honneur.

      L'un d'eux vint un jour, en Provence, visiter son voisin de campagne, M. d'O… célèbre critique et musicien distingué. En entrant dans son salon: «Ah! vous avez un piano? lui dit-il.

      – Oui, un Érard excellent.

      – Moi aussi, j'en ai un.

      – Un piano d'Érard?

      – Allons donc! de moi, s'il vous plaît. Je me le suis fait à moi-même, et d'après un système tout nouveau. Si vous êtes curieux de le voir, je le ferai mettre demain sur ma charrette, et je vous l'apporterai.

      – Volontiers.»

      Le lendemain, l'amateur campagnard arrive avec sa charrette; on apporte le piano, on l'ouvre, et M. d'O… est fort étonné de voir le clavier composé exclusivement de touches blanches. «Eh bien! et les touches noires? dit-il.

      – Les touches noires? Ah! oui, pour les dièzes et les bémols; c'est une bêtise de l'ancien piano. Je n'en use pas.»

      Correspondance diplomatique

      A Sa Majesté Aïmata Pomaré, reine de Taïti, Eïmeo, Ouaheine, Raïatea, Bora-Bora, Toubouaï-Manou et autres îles, dont les œuvres viennent d'obtenir la médaille d'argent à l'Exposition universelle.

      MAJESTÉ, REINE GRACIEUSE,

      Exposition bientôt finie. Nos amis les juges du concours des nations et moi bien contents.

      Beaucoup souffert, beaucoup sué, pour entendre et juger les instruments de musique, pianos, orgues, flûtes, trompettes, tambours, guitares et tamtams. Grande colère des juges contre les hommes des nations fabricants de pianos, orgues, flûtes, trompettes tambours, guitares et tamtams.

      Les hommes des nations vouloir tous être le premier et tous demander que leur ami soit le dernier; offrir à nous de boire de l'ava, d'accepter des fruits et des cochons. Nous juges très-fâchés, et pourtant, sans fruits ni cochons, bien dit quels étaient les meilleurs fabricants de pianos, orgues, flûtes, trompettes, tambours, guitares et tamtams. Ensuite quand nous avoir bien étudié, examiné, entendu tout, nous, les vrais juges, être obligés d'aller trouver d'autres juges qui n'avaient pas étudié, examiné ni entendu les instruments de musique, et de leur demander si nous avions trouvé les vrais meilleurs. Eux répondre à nous que non. Alors nous encore une fois très en colère, très-fâchés, vouloir quitter la France et l'Exposition.

      Puis redevenir avec les autres juges tous tayos, tous amis; et pour nous rendre notre politesse, ceux-là qui avaient bien examiné, bien étudié, les mérés1, les maros, les prahos, les tapas, les couronnes, exposés par les gens de Taïti, nous demander s'ils avaient bien fait de donner le prix à la Taïti-Ouna2. Nous, bons garçons, qui ne savions rien, répondre tout de suite que oui. Et les juges décider qu'une médaille d'argent serait offerte à Majesté gracieuse, pour les couronnes en écorce d'arrow-root que belle reine a envoyées à ces pauvres hommes d'Europe qui n'en avaient jamais vu. Alors aller tous kaï-kaï, tous manger ensemble; et pendant le déjeuner, les juges des nations beaucoup parler de gracieuse Taïti-Ouna, demander si elle sait le français, si elle a plus de vingt ans… Les juges des nations, même les ratitas3, bien ignorants; pas connaître un seul mot de la langue kanake, pas savoir que gracieuse Majesté s'appeler Aïmata, être née en 1811 (moi rien dire de cela), avoir pris pour troisième mari un jeune arii4, favori de votre père Pomaré III, qui lui donna son nom par amitié. Ne pas se douter que po veut dire nuit et maré tousser, et que votre arrière-grand-père Otou, ayant été fort enrhumé et toussant beaucoup une nuit, un de ses gardes avait dit le lendemain: «Po maré le roi» (le roi, tousser la nuit), ce qui donna à S. M. la spirituelle idée de prendre ce nom, et de s'appeler Pomaré Ier.

      Les hommes de France savoir seulement que reine gracieuse avoir quantité d'enfants, et eux beaucoup rire de ce que gracieuse Majesté ne veut pas porter des bas. Eux dire aussi que belle Ouna trop fumer gros cigares, trop boire grands verres d'eau-de-vie, et trop souvent jouer aux cartes seule, la nuit, avec les commandants de la station française qui


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<p>1</p>

Massues, tabliers, pirogues, nattes.

<p>2</p>

Reine de Taïti.

<p>3</p>

Les nobles.

<p>4</p>

Chef.