Oliver Twist. Dickens Charles

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Oliver Twist - Dickens Charles


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la plus mince portion de la plus chétive nourriture, il arrivait, huit ou neuf fois sur dix, qu'il avait la méchanceté de tomber malade de froid et de faim, ou de se laisser choir dans le feu par négligence, ou d'étouffer par accident; alors le malheureux petit être partait pour l'autre monde, où il allait retrouver des parents qu'il n'avait pas connus dans celui-ci. Il y avait parfois une enquête plus intéressante que de coutume, au sujet d'un enfant qu'on aurait étouffé en retournant un lit, ou qui serait tombé dans l'eau bouillante un jour de blanchissage, bien que ce dernier accident fût très rare, car à la ferme il n'était presque jamais question de blanchissage. Alors le jury se mettait en tête de faire quelques questions embarrassantes, ou bien les habitants de la paroisse avaient l'audace de signer une réclamation; mais ces impertinences étaient vite réprimées par le rapport du chirurgien et le témoignage du bedeau: le premier déclarait qu'il avait ouvert le corps, et qu'il n'y avait rien trouvé, ce qui était en effet très probable, et le second jurait toujours dans le sens des autorités de la paroisse; ce qui était d'un beau dévouement. De plus, la commission administrative faisait des excursions périodiques à la ferme, en ayant soin d'y envoyer toujours le bedeau la veille pour annoncer la visite; les enfants étaient propres et soignés quand ces messieurs venaient: pouvait-on faire davantage? On peut croire que ce système d'éducation n'était pas fait pour donner aux enfants beaucoup de force ni d'embonpoint. Le jour où il eut neuf ans, Olivier Twist était un enfant pâle et chétif, de petite taille et singulièrement fluet.

      Mais il devait à la nature ou à ses parents un esprit vif et droit, qui n'avait pas eu de peine à se développer sans être gêné par la matière, grâce au régime de privations de l'établissement, et c'est peut-être à cela qu'il était même redevable d'avoir pu atteindre le neuvième anniversaire de sa naissance; quoi qu'il en soit, ce jour-là il avait neuf ans, et il était dans la cave au charbon avec deux de ses petits compagnons, qui, après avoir partagé avec lui une volée de coups, avaient été enfermés pour avoir eu l'audace de se plaindre de ce qu'ils avaient faim. Tout à coup Mme Mann, l'excellente directrice de la maison, fut surprise par l'apparition imprévue du bedeau M. Bumble, qui tâchait d'ouvrir la porte du jardin.

      «Bonté divine! est-ce vous, monsieur Bumble? dit Mme Mann, mettant la tête à la fenêtre, en simulant une grande joie. Suzanne, faites monter Olivier et les deux petits garnements, et débarbouillez-les bien vite. Mon Dieu, que je suis heureuse de vous voir, monsieur Bumble!»

      M. Bumble était gros et irritable; aussi, au lieu de répondre poliment à cet accueil affectueux, se mit-il à secouer de toute sa force le petit loquet, et à donner dans la porte un coup de pied, mais un vrai coup de pied de bedeau.

      «Là! est-il possible? dit Mme Mann courant ouvrir la porte; pendant ce temps on avait rendu la liberté aux enfants. Comment ai-je pu oublier que la porte était fermée en dedans, à cause de ces chers enfants? Veuillez entrer, monsieur, veuillez entrer, je vous prie, monsieur Bumble.»

      Quoique cette invitation fût faite avec une courtoisie qui aurait adouci le coeur d'un marguillier, elle ne toucha nullement le bedeau.

      «Est-ce que vous trouvez respectueux et convenable, madame Mann, demanda M. Bumble en serrant fortement sa canne, de faire attendre les fonctionnaires de la paroisse à la porte de votre jardin, quand ils viennent remplir leurs fonctions paroissiales et visiter les enfants de la paroisse? Est-ce que vous oubliez, madame Mann, que vous êtes pour ainsi dire déléguée de la paroisse et stipendiée par elle?

      – Oh non! monsieur Bumble, répondit Mme Mann bien humblement; mais j'étais allée dire à un ou deux de ces chers enfants qui vous aiment tant, que c'était vous qui veniez, monsieur Bumble.»

      M. Bumble avait une haute idée de son talent oratoire et de son importance; il avait fait parade de l'un et sauvegardé l'autre: il se calma.

      «C'est bon, c'est bon, madame Mann, répondit-il d'un ton plus calme; c'est possible, c'est possible; entrons, madame Mann; je viens pour affaires; j'ai à vous parler.»

      Madame Mann introduisit le bedeau dans une petite pièce, pavée en briques, approcha de lui un siège, et s'empressa de le débarrasser de son tricorne et de sa canne qu'elle posa devant lui sur la table; M. Bumble essuya son front couvert de sueur, jeta un regard de complaisance sur son tricorne et sourit. Oui, il sourit; après tout, un bedeau est un homme, et M. Bumble sourit.

      «N'allez pas vous fâcher de ce que je vais vous dire, observa Mme Mann avec une douceur engageante. Vous venez de faire une longue course, sans quoi je n'en parlerais pas; prendriez-vous une petite goutte de quelque chose, monsieur Bumble?

      – Rien, absolument rien, dit M, Bumble en refusant de la main avec dignité, mais avec douceur.

      – Vous ne me refuserez pas, dit Mme Mann, qui avait observé le ton et le geste du bedeau; rien qu'une petite goutte, avec un peu d'eau fraîche et un morceau de sucre.»

      M. Bumble toussa.

      «Si peu que rien, dit Mme Mann, de sa voix la plus engageante.

      – Que voulez-vous me donner? demanda le bedeau.

      – Faut bien que j'en aie un peu à la maison, pour mettre dans la bouillie de ces chers enfants, quand ils sont malades, répondit Mme Mann en ouvrant un petit buffet, d'où elle tira une bouteille et un verre; c'est du gin.

      – Est-ce que vous donnez de la bouillie aux enfants, madame Mann? demanda Bumble, en suivant de l'oeil l'intéressante opération du mélange.

      – Ah! oui, que je leur en donne, dit-elle, quoique l'arrow-root coûte bien cher; mais je ne puis les voir souffrir, c'est plus fort que moi, voyez-vous, monsieur.

      – C'est bien, dit M. Bumble, c'est très bien, vous êtes une femme compatissante, madame Mann. (Elle pose le verre sur la table.) Je saisirai la première occasion de dire cela au comité, madame Mann. (Il approche le verre.) Ces enfants ont en vous une mère, madame Mann. (Il agite le gin et l'eau.) Je bois de tout mon coeur à votre santé, madame Mann. (Il en avale la moitié.) Maintenant, causons d'affaires, dit le bedeau, en tirant de sa poche un petit portefeuille de cuir: l'enfant qui a été ondoyé sous le nom d'Olivier Twist a aujourd'hui neuf ans…

      – Le cher enfant! dit Mme Mann en se frottant l'oeil gauche avec le coin de son tablier.

      – Et, malgré l'offre d'une récompense de dix livres sterling, qu'on a élevée successivement jusqu'à douze; malgré des efforts incroyables et, si j'ose dire, surnaturels, de la part de la paroisse, dit Bumble, il a été impossible de découvrir qui est le père, pas plus que le nom ou la condition de la mère.»

      Mme Mann leva les mains en signe d'étonnement, puis dit après un moment de réflexion: «Mais alors, comment se fait-il qu'il ait un nom?»

      Le bedeau se redressa fièrement: «C'est moi qui l'ai inventé, dit- il.

      – Vous! monsieur Bumble?

      – Moi-même, madame Mann: nous nommons nos enfants trouvés par ordre alphabétique; le dernier était à la lettre S, je le nommai Swubble; celui-ci était à la lettre T, je le nommai Twist; le suivant s'appellera Unwin, un autre Vilkent. J'ai des noms tout prêts d'un bout à l'autre de l'alphabet; et arrivé au Z, on recommence.

      – Vous êtes joliment lettré, monsieur, dit Mme Mann.

      – Mais oui, c'est possible, c'est bien possible, madame Mann,» dit le bedeau, évidemment satisfait du compliment. Il finit d'avaler son genièvre et ajouta: «Comme Olivier est maintenant trop grand pour rester ici, le conseil a résolu de le faire revenir au dépôt, et je suis venu moi-même le chercher. Amenez-le-moi tout de suite.

      – Vous allez le voir à l'instant,» dit Mme Mann, en quittant la salle.

      Olivier, qui, pendant ce temps, avait été débarrassé, autant du moins qu'il était possible de le faire en une fois, de la crasse qui couvrait sa figure et ses mains, fut bientôt introduit par sa bienveillante protectrice.

      «Olivier, saluez monsieur,» dit Mme Mann.

      Olivier salua à la fois le bedeau sur sa chaise, et le tricorne sur la table.

      «Voulez-vous venir avec moi,


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