Oliver Twist. Dickens Charles

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Oliver Twist - Dickens Charles


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regards, et ils se léchaient les doigts pour ne pas perdre quelques petites gouttes de gruau qui avaient pu s'y attacher. Les enfants ont en général un excellent appétit; Olivier Twist et ses compagnons souffrirent pendant trois mois les tortures d'une lente consomption, et la faim finit par les égarer à ce point qu'un enfant, grand pour son âge et peu habitué à une telle existence (car son père avait tenu une petite échoppe de traiteur), donna à entendre à ses camarades que, s'il n'avait pas une portion de plus de gruau par jour, il craignait de dévorer une nuit l'enfant qui partageait son lit, et qui était jeune et faible: il avait, en parlant ainsi, l'oeil égaré et affamé, et ses compagnons le crurent; on délibéra. On tira au sort pour savoir qui irait le soir même au souper demander au chef une autre portion; le sort tomba sur Olivier Twist.

      Le soir venu, les enfants prirent leurs places; le chef de l'établissement, affublé de son costume de cuisinier, était en personne devant la chaudière; on servit le gruau; on dit un long benedictus sur ce chétif ordinaire. Le gruau disparut; les enfants se parlaient à l'oreille, faisaient des signes à Olivier, et ses voisins le poussaient du coude. Tout enfant qu'il était, la faim l'avait exaspéré, et l'excès de la misère l'avait rendu insouciant; il quitta sa place, et, s'avançant l'écuelle et la cuiller à la main, il dit, tout effrayé de sa témérité:

      «J'en voudrais encore, monsieur, s'il vous plaît.»

      Le chef, homme gras et rebondi, devint pâle; stupéfait de surprise, il regarda plusieurs fois le petit rebelle; puis il s'appuya sur la chaudière pour se soutenir; les vieilles femmes qui l'aidaient étaient saisies d'étonnement, et les enfants de terreur.

      «Comment! dit enfin le chef d'une voix altérée.

      – J'en voudrais encore, monsieur, s'il vous plaît,» répondit Olivier.

      Le chef dirigea vers la tête d'Olivier un coup de sa cuiller à pot, l'étreignit dans ses bras, et appela à grands cris le bedeau.

      Le conseil siégeait en séance solennelle quand M. Bumble tout hors de lui, se précipita dans la salle, et s'adressant au président, lui dit:

      «Monsieur Limbkins, je vous demande pardon, monsieur, Olivier Twist en a redemandé.»

      Ce fut une stupéfaction générale; l'horreur était peinte sur tous les visages.

      «Il en a redemandé, dit M. Limbkins? calmez-vous, Bumble, et répondez-moi clairement. Dois-je comprendre qu'il a redemandé de la nourriture, après avoir mangé le souper alloué par le règlement?

      – Oui, monsieur, répondit Bumble.

      – Cet enfant-là se fera pendre, dit le monsieur au gilet blanc; oui, cet enfant-là se fera pendre.»

      Personne ne contredit cette prédiction. Une discussion très vive eut lieu; Olivier fut mis au cachot, et le lendemain matin, un avis affiché à la porte offrait une récompense de cinq livres sterling 2 à quiconque voudrait débarrasser la paroisse d'Olivier Twist; en d'autres termes, on offrait cinq livres sterling et Olivier Twist à quiconque, homme ou femme, aurait besoin d'un apprenti pour n'importe quel commerce ou quelle besogne.

      «De ma vie vivante, je n'ai jamais été plus certain d'une chose, disait le monsieur au gilet blanc en frappant à la porte le lendemain matin et en lisant l'affiche; de ma vie vivante, je n'ai jamais été plus certain d'une chose! c'est que cet enfant-là se fera pendre.»

      Comme je me propose, dans la suite de ce récit, de montrer si le monsieur au gilet blanc eut raison ou non, je nuirais peut-être à l'intérêt de ma narration (si toutefois elle en a), en faisant pressentir si la vie d'Olivier Twist eut ou non ce terrible dénoûment.

      CHAPITRE III. Comment Olivier Twist fut sur la point d'attraper une place qui n'eût pas été une sinécure

      Après avoir commis le crime impardonnable de redemander du gruau, Olivier resta pendant huit jours étroitement enfermé dans le cachot où l'avaient envoyé la miséricorde et la sagesse du conseil d'administration. On pouvait supposer, au premier abord, que, s'il eût accueilli avec respect la prédiction du monsieur au gilet blanc, il aurait pu établir, une fois pour toutes, la réputation prophétique de ce sage administrateur, en accrochant un bout de son mouchoir à un clou dans la muraille, et en se suspendant à l'autre. Il n'y avait qu'un obstacle à l'exécution de cet acte: c'est que, par ordre exprès du conseil, signé, paraphé et scellé de tous les membres, les mouchoirs, étant considérés comme objets de luxe, avaient été, à toujours, interdits aux pauvres du dépôt; l'âge si tendre d'Olivier était un second obstacle aussi sérieux; il se contenta de pleurer amèrement pendant des journées entières; et, quand venaient les longues et tristes heures de la nuit, il mettait ses petites mains devant ses yeux pour ne pas voir l'obscurité, et se blottissait dans un coin pour tâcher de dormir; parfois il s'éveillait en sursaut et tout tremblant; il se collait contre le mur, comme s'il trouvait, à toucher cette surface dure et froide, une protection contre les ténèbres et la solitude qui l'environnaient.

      Il ne faut pas que les ennemis du Système s'imaginent que, pendant la durée de son emprisonnement, Olivier fut privé du bienfait de l'exercice, du plaisir de la société, ou des consolations de la religion. Quant à l'exercice, comme le temps était beau et froid, il avait la permission de se laver tous les matins sous la pompe, dans une cour pavée, en présence de M. Bumble, qui, pour l'empêcher de s'enrhumer, activait chez lui la circulation du sang au moyen de fréquents coups de canne. Quant à la société, on l'amenait tous les deux jours dans le réfectoire des enfants, et on lui administrait une verte correction, pour le bon exemple et l'édification des autres. Bien loin de lui refuser les avantages des consolations religieuses, on le faisait entrer, à coups de pieds, dans la salle, tous les soirs, à l'heure de la prière, et il avait la permission d'écouter, pour sa plus grande consolation, la prière de ses camarades, revue et augmentée par le conseil, dans laquelle ils demandaient d'être bons, vertueux, contents et obéissants, et d'être préservés des fautes et des vices d'Olivier Twist, qu'on présentait ainsi comme exclusivement placé sous le patronage et la protection de Satan, comme un échantillon direct des produits de la manufacture du diable.

      Tandis que les affaires d'Olivier prenaient cette tournure favorable et avantageuse, il advint un matin que M. Gamfield, ramoneur de son métier, descendait la grande rue en se creusant la tête pour savoir comment il payerait plusieurs termes de loyer, pour lesquels son propriétaire devenait fort exigeant. Il avait beau supputer et calculer, il ne pouvait arriver au chiffre de cinq livres sterling dont il avait besoin. Dans son désespoir de ne pouvoir parfaire cette somme, il se frappait le front, puis frappait son baudet alternativement, lorsque, en passant devant le dépôt, il jeta les yeux sur l'affiche collée sur la porte.

      «Oh, oh!» dit M. Gamfield à son baudet.

      Le baudet était en ce moment tout à fait distrait: il se demandait probablement s'il n'aurait pas à son déjeuner un ou deux trognons de choux pour se régaler, quand il serait débarrassé des deux sacs de suie qu'il traînait sur une petite charrette; il ne prit pas garde à l'ordre de son maître et continua son chemin.

      M. Gamfield adressa au baudet un gros juron, courut après lui, et lui appliqua sur la tête un coup qui eût brisé tout autre crâne que celui d'un baudet; puis, saisissant la bride, il lui secoua rudement la mâchoire pour le rappeler à l'obéissance; il lui fit ainsi faire volte-face et lui donna un autre coup sur la tête, de manière à l'étourdir jusqu'à son retour; ensuite il monta sur le perron pour lire l'affiche.

      Le monsieur au gilet blanc était debout devant la porte, les mains derrière le dos, après avoir opiné avec profondeur dans la salle du conseil; il avait assisté à la petite dispute entre M. Gamfield et le baudet; il sourit avec satisfaction en voyant le ramoneur s'approcher de l'affiche, car il vit tout de suite que M. Gamfield était bien le maître qui convenait à Olivier. M. Gamfield sourit aussi, en parcourant l'affiche, car c'était justement cinq livres sterling qu'il lui fallait; et, quant à l'enfant dont il devait se charger, il pensa, d'après le régime du dépôt, qu'il devait être de taille à grimper dans un tuyau de poêle; il relut l'avis d'un bout à l'autre, syllabe par syllabe; puis, portant respectueusement la main à sa casquette fourrée,


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<p>2</p>

Cent vingt cinq francs.