Oliver Twist. Dickens Charles
Читать онлайн книгу.fermant soigneusement la porte à double tour et la barricadant derrière eux, il tira de sa cachette le coffret qu'il avait involontairement laissé voir à Olivier, et se mit avec précipitation à cacher sous ses vêtements les montres et les bijoux qu'il contenait.
Un coup à la porte le fit tressaillir au milieu de cette occupation:
«Qui est là? s'écria-t-il vivement et avec effroi.
– C'est moi! répondit le Matois à travers le trou de la serrure.
– Eh! bien! qu'y a-t-il? dit le juif avec impatience.
– Nancy demande s'il faut le conduire à l'autre logis, dit le Matois à voix basse.
– Oui, répondit le juif; n'importe où on le trouvera. Trouvez-le, trouvez-le, voilà l'important. Je saurai bien ensuite ce que j'aurai à faire, n'ayez pas peur.»
Le Matois marmotta quelques mots, et descendit l'escalier quatre à quatre pour rejoindre ses compagnons.
«Jusqu'ici il n'a pas jasé, se dit le juif en reprenant sa besogne. S'il a l'intention de nous livrer chez ses nouveaux amis, il est encore temps de lui couper le sifflet.»
CHAPITRE XIV. Détails sur le séjour d'Olivier chez M. Brownlow, – Prédiction remarquable d'un certain M. Grimwig sur le petit garçon, quand il partit en commission
Olivier revint bientôt de l'évanouissement que lui avait causé la brusque exclamation de M. Brownlow: celui-ci et Mme Bedwin évitèrent soigneusement de reparler du tableau, et la conversation ne roula ni sur l'histoire, ni sur l'avenir d'Olivier, mais seulement sur des sujets propres à le distraire sans l'impressionner. Il était encore trop faible pour se lever pour le déjeuner; mais quand il descendit le lendemain dans la chambre de la femme de charge, son premier mouvement fut de jeter un regard avide sur la muraille, dans l'espoir de revoir la figure de la belle dame; son attente fut trompée: le portrait avait disparu.
«Ah! vous voyez, dit la femme de charge en remarquant le coup d'oeil d'Olivier, il n'est plus là.
– Je le vois, madame, répondit Olivier en soupirant. Pourquoi l'a- t-on enlevé?
– On l'a décroché, mon enfant, reprit la vieille dame, parce que M. Brownlow a dit que la vue de ce portrait paraissait vous faire mal, et retarderait peut-être votre guérison.
– Oh! non, madame, elle ne me faisait pas mal, dit Olivier. Je l'aimais tant!
– Bah! bah! dit la vieille dame avec gaieté; dépêchez-vous de vous bien porter, mon ami, et on le remettra à sa place. Je vous le promets. Maintenant, parlons d'autre chose.»
Olivier ne put obtenir pour le moment d'autres détails sur le portrait en question, et la vieille dame avait été si bonne pour lui pendant sa maladie, qu'il tâcha de n'y plus penser; il écouta attentivement une foule d'histoires qu'elle lui conta sur une belle et bonne soeur qu'elle avait, laquelle avait épousé un beau et brave homme, avec lequel elle habitait la campagne; sur son fils, commis d'un négociant dans les Indes, lequel était aussi un brave jeune homme et lui écrivait quatre fois par an de si belles lettres, que les larmes lui venaient aux yeux rien que d'en parler. Quand elle se fut étendue longuement sur les perfections de ses enfants et sur les qualités de feu son excellent mari, qui était mort, le pauvre cher homme, juste depuis vingt-six ans, il fut temps de prendre le thé. Après le thé, elle se mit à montrer le cribbage5 à Olivier, qui l'apprit du premier coup. Ils jouèrent avec le plus grand sérieux, jusqu'à ce qu'il fût temps pour le jeune convalescent de prendre un peu de vin chaud détrempé d'eau et une tranche de pain grillé avant de se mettre au lit.
Ce furent d'heureux jours que ceux de la convalescence d'Olivier; autour de lui, tout était si tranquille, si propre, si soigné, on avait pour lui tant de bonté et d'attention, qu'après la vie bruyante et agitée qu'il avait menée, il se trouvait dans un vrai paradis. Dès qu'il eut assez de force pour s'habiller, M. Brownlow lui donna des vêtements neufs, une casquette, des souliers. On dit à Olivier qu'il pouvait disposer à sa fantaisie de ses vieux habits; il les donna à une servante qui avait eu pour lui beaucoup de bonté; en la priant de les vendre à quelque juif et de garder l'argent pour elle. Elle ne se le fit pas dire deux fois, et Olivier, en voyant de la fenêtre du salon le juif rouler ces vêtements, les mettre dans son sac et s'éloigner, éprouva un vif sentiment de joie en songeant qu'il ne les reverrait plus et qu'il n'avait plus à craindre de les remettre. C'étaient, il faut le dire, d'affreux haillons, et Olivier ne s'était jamais vu habillé de neuf.
Huit jours environ après l'incident du portrait, il était un soir en train de causer avec Mme Bedwin, quand M. Brownlow fit dire que, si Olivier Twist était assez bien portant, il désirait le voir dans son cabinet, pour causer un peu avec lui.
«Mon Dieu! lavez-vous les mains et laissez-moi arranger vos cheveux, dit Mme Bedwin; Seigneur! si j'avais su qu'il vous demanderait, je vous aurais mis un col blanc, je vous aurais fait beau comme un astre.»
Olivier obéit aussitôt à la vieille dame, et, bien qu'elle regrettât beaucoup de n'avoir pas seulement le temps de plisser la petite collerette d'Olivier, elle lui trouva la mine si charmante en le contemplant de la tête aux pieds, qu'elle alla jusqu'à dire qu'elle ne croyait pas qu'il eût pu gagner beaucoup à faire toilette.
Olivier alla frapper à la porte du cabinet, et, quand M. Brownlow lui eut dit d'entrer, il se trouva dans une petite pièce garnie de livres, dont la fenêtre donnait sur de jolis jardins. Près de la fenêtre était une table, devant laquelle M. Brownlow était assis, occupé à lire. En voyant Olivier, il posa son livre, et dit à l'enfant d'approcher et de s'asseoir près de la table. Olivier obéit, en s'étonnant qu'on pût trouver des gens pour lire tant de volumes, écrits, selon toute apparence, dans le but de rendre le monde plus savant; sujet d'étonnement continuel pour des gens plus expérimentés qu'Olivier Twist.
«Voilà bien des livres, n'est-ce pas, mon garçon? dit M. Brownlow, en observant la curiosité avec laquelle Olivier considérait les rayons qui garnissaient les murs du haut en bas.
– Oui, monsieur, en voilà beaucoup, répondit Olivier; je n'en ai jamais vu tant.
– Vous les lirez, dit le vieux monsieur avec bonté, et vous y trouverez plus de plaisir qu'à en regarder la reliure; pas toujours cependant, car il y a des livres dont la couverture fait tout le prix.
– Ce sont peut-être ces gros-là, monsieur, dit Olivier en montrant du doigt de forts in-quarto à reliure dorée.
– Pas toujours, dit le vieux monsieur en souriant et en donnant une petite tape à Olivier. Il y en a qui sont bien lourds, quoique d'un petit format. Aimeriez-vous à devenir savant et à écrire des livres, hein?
– Je crois, monsieur, que j'aimerais à en lire, répondit Olivier.
– Comment! fit M. Brownlow; vous n'aimeriez pas à être auteur?»
Olivier réfléchit un peu et finit par dire qu'il croyait qu'il valait beaucoup mieux être libraire. Le vieux monsieur rit de tout son coeur et déclara la réponse excellente; ce qui réjouit Olivier, bien qu'il ne se doutât pas lui-même qu'il eût eu tant d'esprit.
«Eh bien, n'ayez pas peur, dit M. Brownlow en reprenant son sérieux; nous ne ferons pas de vous un auteur tant qu'il y aura un honnête métier à vous apprendre, ne fût-ce que de gâcher du plâtre.
– Merci, monsieur, dit Olivier; et la vivacité de sa réponse fit encore rire le vieux monsieur, qui marmotta entre ses dents quelque chose sur la singularité de l'instinct; Olivier n'y fit pas grande attention, parce qu'il ne comprit pas.
«Maintenant, dit M. Brownlow en prenant un ton plus bienveillant peut-être que jamais, mais en même temps beaucoup plus sérieux; maintenant, mon enfant, je vous prie de faire attention à ce que je vais vous dire. Je vous parlerai sans détour, parce que je suis sûr que vous êtes aussi en état de me comprendre que pourraient le faire bien des personnes plus âgées.
– Oh! monsieur, je vous en conjure, ne me dites pas que vous allez me renvoyer! s'écria Olivier inquiet du ton sérieux que venait de prendre son protecteur;
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Sorte de jeu de cartes fort usité en Angleterre.