Le grillon du foyer. Dickens Charles
Читать онлайн книгу.et du changement. Mais rivé à la profession de fabricant de joujoux, il était devenu un ogre domestique, qui avait passé toute sa vie à s'occuper des enfants, et était leur implacable ennemi. Il méprisait tous les joujoux; il n'en aurait pas acheté pour tout au monde. Dans sa malice, il se plaisait à donner l'expression la plus grimaçante aux fermiers qui conduisaient les cochons au marché, au crieur public qui recherchait les consciences de procureurs perdues, aux vieilles femmes qui raccommodaient des bas ou qui découpaient un pâté, et autres personnages qui composaient son fond de boutique; son esprit jouissait, quand il faisait des vampires, des diables à ressorts enfoncés dans une boîte, destinés à faire peur aux enfants. C'était son seul plaisir, et il se montrait grand dans ces inventions. C'était un délice pour lui que d'inventer un croquemitaine ou un sorcier. Il avait mangé de l'argent pour faire fabriquer des verres de lanterne magique où le démon était représenté sous la forme d'un homard à figure humaine. Il en avait aussi perdu à faire faire des géants hideux. Il n'était pas peintre, mais avec un morceau de craie il indiquait à ses artistes par un simple trait, le moyen d'enlaidir la physionomie de ces monstres, qui étaient capables de troubler l'imagination des enfants de dix à douze ans pendant toutes leurs vacances.
Ce qu'il était pour les joujoux, il l'était, comme la plupart des hommes, pour toutes les autres choses. Vous pouvez donc supposer aisément que la grande capote verte qui descendait jusqu'au mollet, et qui était boutonnée jusqu'au menton, enveloppait un compagnon fort peu agréable.
Et pourtant, Tackleton le marchand de joujoux allait se marier; oui il allait se marier en dépit de tout cela, et il allait épouser une femme jeune et jolie.
Il n'avait pas du tout la mine d'un fiancé, dans la cuisine du voiturier, avec sa figure sèche, sa taille ficelée dans sa redingote, son chapeau rabattu sur le nez, ses mains fourrées au fond de ses poches, son oeil ricaneur où semblait s'être concentrée toute la noirceur de nombre de corbeaux. Pourtant il allait se marier.
– Dans trois jours, jeudi prochain, le dernier jour du premier mois de l'année, ce sera mon jour de noce, dit Tackleton.
Ai-je dit qu'il avait toujours un oeil grand ouvert, et l'autre presque fermé, et que l'oeil presque fermé était le plus expressif? Je ne crois pas l'avoir dit.
– C'est mon jour de noce, dit Tackleton en faisant sonner son argent.
– C'est aussi le nôtre, s'écria le voiturier.
– Ha! ha! vraiment, dit Tackleton en riant. Vous faites précisément un couple pareil à nous.
L'indignation de Dot à cette assertion présomptueuse ne peut se décrire. Cet homme était fou.
– Écoutez, dit Tackleton en poussant le voiturier du coude et le tirant un peu à l'écart, vous serez de la noce; nous sommes embarqués dans le même bateau.
– Comment, dans le même bateau! dit le voiturier.
– À peu de chose près, vous savez, dit Tackleton. Venez passer une soirée avec nous auparavant.
– Pourquoi? dit le voiturier étonné d'une hospitalité si pressante.
– Pourquoi? reprit l'autre, voilà une nouvelle manière de recevoir une invitation! Pourquoi? pour se récréer, pour être en société, vous savez, pour s'amuser.
– Je croyais que vous n'étiez pas toujours sociable, dit le voiturier avec sa franchise.
– Allons, dit Tackleton, je vois qu'il ne sert de rien d'être franc avec vous; c'est parce que votre femme et vous avez l'air d'être parfaitement bien ensemble. Vous comprenez…
– Non, je ne comprends pas, interrompit John, que voulez-vous dire?
– Eh bien! dit Tackleton, comme vous avez l'air de faire très bon ménage, votre société fera un très bon effet sur mistress Tackleton. Et quoique je ne crois pas que votre femme me voie de très bon oeil, elle ne peut s'empêcher d'entrer dans mes vues, car rien que son apparition avec vous fera l'effet que je désire. Dites-moi donc que vous viendrez.
– Nous nous sommes arrangés pour célébrer l'anniversaire de notre jour de noce chez nous, nous nous le sommes promis. Vous savez que le chez soi…
– Qu'est-ce que c'est que le chez soi? s'écria Tackleton, quatre murs et un plafond. – Vous avez un grillon? Pourquoi ne les tuez- vous pas? je les tue, moi; je déteste ce cri. – il y a quatre murs et un plafond chez moi; venez-y.
– Vous tuez les grillons? dit John.
– Je les écrase, répondit l'autre en frappant le sol du talon. Vous viendrez, n'est-ce pas? C'est autant votre intérêt que le mien que les femmes se persuadent l'une à l'autre qu'elles sont contentes et qu'elles ne peuvent pas être mieux. Je les connais. Tout ce qu'une femme dit, une autre femme est aussitôt déterminée à le croire. Il y a entre elles un esprit d'émulation tel que, si votre femme dit: «Je suis la plus heureuse femme du monde, mon mari est le meilleur des maris, et je suis folle de lui», ma femme dira la même chose de moi à la vôtre, et plus encore, elle la croira à moitié.
– Voudriez-vous dire qu'elle ne le pense pas? demanda le voiturier.
– Qu'elle ne pense pas quoi? s'écria Tackleton avec un rire sardonique.
Le voiturier avait envie d'ajouter: «Qu'elle n'est pas folle de vous,» mais en voyant son oeil à demi fermé, et une physionomie si peu faite pour exciter l'affection, il dit: – Qu'elle ne le croit pas?
– Ah! vous plaisantez, dit Tackleton.
Mais le voiturier dont l'esprit était trop lent pour comprendre la signification de ses paroles, regarda Tackleton d'un air si sérieux, que celui-ci se crut obligé d'être un peu plus explicite.
– J'ai le goût d'épouser une femme jeune et jolie dit-il; c'est mon goût et j'ai les moyens de le satisfaire. C'est mon caprice. Mais… regardez.
Tackleton montrant du doigt Dot assise devant le feu, le menton appuyé sur sa main, et regardant la flamme d'un air pensif. Les regards du voiturier se portèrent alternativement de sa femme sur Tackleton, et de Tackleton sur sa femme.
– Elle vous respecte et vous obéit, sans doute, dit Tackleton; eh! bien, comme je ne suis pas un homme à grands sentiments, cela me suffit. Mais croyez-vous qu'il n'y ait rien de plus en elle?
– Je crois, répondit le voiturier, que si un homme me disait qu'il n'y a rien de plus, je le jetterais par la fenêtre.
– C'est bien cela, dit l'autre avec sa promptitude ordinaire. J'en suis sûr. Je ne doute pas que vous le feriez. J'en suis certain. Bonsoir. Je vous souhaite de bons rêves.
Le brave voiturier était abasourdi, et ces paroles l'avaient mis mal à l'aise, malgré lui. Il ne put s'empêcher de le montrer à sa manière.
– Bonsoir, mon cher ami, dit Tackleton d'un air de compassion. Je m'en vais. Je vois qu'en réalité nous sommes logés tous deux à la même enseigne. Ne viendrez-vous pas demain soir? Bon! Demain vous sortirez pour faire des visites. Je sais où vous irez, et j'y mènerai celle qui doit être ma femme. Cela lui fera du bien. Vous y consentez? Merci. Qu'est-ce?
C'était un grand cri poussé par la femme du voiturier, un cri aigu, perçant, qui fit retentir la cuisine. Elle s'était levée de sa chaise, et elle était debout en proie à la terreur et à la surprise.
– Dot! cria le voiturier. Mary! Darling! Qu'est-ce qui est arrivé?
Ils furent tous là dans un instant. Caleb, qui s'était appuyé sur la caisse de gâteau, n'avait repris qu'imparfaitement sa lucidité d'esprit en s'éveillant en sursaut, et saisit miss Slowbody par les cheveux; mais il lui en demanda pardon aussitôt.
– Mary! s'écria le voiturier en soutenant sa femme dans ses bras; vous trouvez-vous mal? Qu'avez-vous? dites-le moi, ma chère.
Elle ne répondit qu'en frappant ses mains l'une contre l'autre, et en partant d'un éclat de rire. Puis, se laissant glisser à terre, elle se couvrit le visage de son tablier, et se mit à pleurer à chaudes larmes. Ensuite, elle éclata encore de rire, après