La San-Felice, Tome 08. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 08 - Dumas Alexandre


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faire?

      –Je veux me venger, donc! cria le beccaïo; je veux le faire mourir à petit feu! je veux le hacher comme chair à pâté! je veux le rôtir! je veux le pendre!

      Mais, comme il crachait, pour ainsi dire, toutes ces menaces au visage de Salvato, celui-ci, sans daigner lui répondre, par un effort surhumain, rejeta loin de lui les cinq ou six hommes qui pesaient sur ses bras et sur ses épaules, et, se relevant de toute sa hauteur, fit tournoyer son sabre au-dessus de sa tête, et, d'un coup de taille qu'eût envié Roland, il lui eût fendu la tête jusqu'aux épaules si le beccaïo n'eût paré le coup avec le fusil à la baïonnette duquel était embrochée la tête du malheureux boucher.

      Si Salvato avait la force de Roland, son sabre, par malheur, n'avait point la trempe de Durandal: la lame, en rencontrant le canon du fusil, se brisa comme du verre. Mais, comme elle ne rencontra le canon du fusil qu'après avoir rencontré la main du beccaïo, trois de ses doigts tombèrent à terre.

      Le beccaïo poussa un rugissement de douleur et surtout de colère.

      –Heureusement, dit-il, que c'est à la main gauche: il me reste la main droite pour te pendre!

      Salvato fut garrotté avec les cordes que l'on avait prises chez le boucher et emporté dans un palais, au fond de la cave duquel on venait de trouver des cordes et dont on jetait les meubles et les habitants par la fenêtre.

      Quatre heures sonnaient à l'horloge de la Vicaria.

      À la même heure, le curé Antonio Toscano tenait la parole qu'il avait donnée au jeune général.

      Comme toutes les heures de cette journée, célèbre dans les annales de Naples, furent marquées par quelques traits de dévouement, d'héroïsme ou de cruauté, je suis forcé d'abandonner Salvato, si précaire que soit sa situation, pour dire à quel point en était le combat.

      Après la mort du général Writz, le commandant en second Grimaldi avait pris la direction de la bataille. C'était un homme d'une force herculéenne et d'un courage éprouvé. Deux ou trois fois, les sanfédistes, lancés au delà du pont par ces élans des montagnards auxquels rien ne résiste, vinrent attaquer corps à corps les républicains. C'était alors que l'on voyait le géant Grimaldi, se faisant une massue d'un fusil ramassé à terre, frapper avec la régularité d'un batteur en grange et abattre à chaque coup un homme, avec son terrible fléau.

      En ce moment, on vit ce vieillard presque aveugle qui avait demandé un fusil en promettant de s'approcher si près de l'ennemi qu'il serait bien malheureux s'il ne le voyait pas; – en ce moment, disons-nous, on vit Louis Serio, traînant ses deux neveux plutôt qu'il n'était conduit par eux, s'avancer jusqu'au bord du Sebeto, où ils l'abandonnèrent. Mais, là, il n'était plus qu'à vingt pas des sanfédistes. Pendant une demi-heure, on le vit charger et décharger son fusil avec le calme et le sang-froid d'un vieux soldat, ou plutôt avec le stoïque désespoir d'un citoyen qui ne veut pas survivre à la liberté de son pays. Il tomba enfin, et, au milieu des nombreux cadavres qui encombraient les abords du fleuve, son corps resta perdu ou plutôt oublié.

      Le cardinal comprit que jamais on ne forcerait le passage du pont tant que la double canonnade du fort de Vigliana et de la flottille de Caracciolo prendrait ses hommes en flanc.

      Il fallait d'abord s'emparer du fort; puis, le fort pris, on foudroierait la flottille avec les canons du fort.

      Nous avons dit que le fort était défendu par cent cinquante ou deux cents Calabrais, commandés par le curé Antonio Toscano.

      Le cardinal mit tout ce qu'il avait de Calabrais sous les ordres du colonel Rapini, Calabrais lui-même, et leur ordonna de prendre le fort, coûte que coûte.

      Il choisissait des Calabrais pour combattre les Calabrais, parce qu'il savait qu'entre compatriotes la lutte serait mortelle: les luttes fratricides sont les plus terribles et les plus acharnées.

      Dans les duels entre étrangers, parfois les deux adversaires survivent; nul n'a survécu d'Étéocle et de Polynice.

      En voyant le drapeau aux trois couleurs flottant au-dessus de la porte et en lisant la légende gravée au-dessous du drapeau: Nous venger, vaincre ou mourir! les Calabrais, ivres de fureur, se ruèrent sur le petit fort, des haches et des échelles à la main.

      Quelques-uns parvinrent à entamer la porte à coups de hache; d'autres arrivèrent jusqu'au pied des murailles, où ils tentèrent d'appuyer leurs échelles; mais on eût dit que, comme l'arche sainte, le fort de Vigliana frappait de mort quiconque le touchait.

      Trois fois les assaillants revinrent à la charge et trois fois furent repoussés en laissant les approches du fort jonchées de cadavres.

      Le colonel Rapini, blessé de deux balles, envoya demander du secours.

      Le cardinal lui envoya cent Russes et deux batteries de canon.

      Les batteries furent établies, et, au bout de deux heures, la muraille offrait une brèche praticable.

      On envoya alors un parlementaire au commandant: il offrait la vie sauve.

      –Lis ce qui est écrit sur la porte du fort, répondit le vieux prêtre: Nous venger, vaincre ou mourir! Si nous ne pouvons vaincre, nous mourrons et nous nous vengerons.

      Sur cette réponse, Russes et Calabrais s'élancèrent à l'assaut.

      La fantaisie d'un empereur, le caprice d'un fou, de Paul Ier, envoyait des hommes nés sur les rives de la Néva, du Volga et du Don, mourir pour des princes dont ils ignoraient le nom, sur les plages de la Méditerranée.

      Deux fois ils furent repoussés et couvrirent de leurs cadavres le chemin qui conduisait à la brèche.

      Une troisième fois, ils revinrent à la charge, les Calabrais conduisant l'attaque. Au fur et à mesure que ceux-ci déchargeaient leurs fusils, ils les jetaient; puis, le couteau à la main, ils s'élançaient dans l'intérieur du fort. Les Russes les suivaient, poignardant avec leurs baïonnettes tout ce qu'ils trouvaient devant eux.

      C'était un combat muet et mortel, un combat corps à corps, dans lequel la mort se faisait jour, au milieu d'embrassements si étroits, qu'on eût pu les croire des embrassements fraternels. Cependant, la brèche une fois ouverte, les assaillants croissaient toujours, tandis que les assiégés tombaient les uns après les autres sans être remplacés.

      De deux cents qu'ils étaient d'abord, à peine en restait-il soixante, et plus de quatre cents ennemis les entouraient. Ils ne craignaient pas la mort; seulement, ils mouraient désespérés de mourir sans vengeance.

      Alors, le vieux prêtre, couvert de blessures, se dressa au milieu d'eux, et, d'une voix qui fut entendue de tous:

      –Êtes-vous toujours décidés? demanda-t-il.

      –Oui! oui! oui! répondirent toutes les voix.

      A l'instant même, Antonio Toscano se laissa glisser dans le souterrain où était la poudre, il approcha d'un baril un pistolet qu'il avait conservé comme suprême ressource, et fit feu.

      Alors, au milieu d'une épouvantable explosion, vainqueurs et vaincus, assiégeants et assiégés, furent enveloppés dans le cataclysme.

      Naples fut secouée comme par un tremblement de terre, l'air s'obscurcit sous un nuage de poussière, et, comme si un cratère se fût ouvert au pied du Vésuve, pierres, solives, membres écartelés retombèrent sur une immense circonférence.

      Tout ce qui se trouvait dans le fort fut anéanti: un seul homme, étonné de vivre sans blessures, emporté dans l'air, retomba dans la mer, nagea vers Naples et regagna le Château-Neuf, où il raconta la mort de ses compagnons et le sacrifice du prêtre.

      Ce dernier des Spartiates calabrais se nommait Fabiani.

      La nouvelle de cet événement se répandit en un instant dans les rues de Naples et y souleva un enthousiasme universel.

      Quant au cardinal, il vit immédiatement le parti qu'il pouvait tirer de l'événement.

      Le feu du fort de Vigliana éteint, rien ne lui défendait plus d'approcher de la mer, et il pouvait, à son tour, avec ses pièces


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