La San-Felice, Tome 08. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 08 - Dumas Alexandre


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fait à la ressemblance de Dieu et que l'on appelle l'homme, il n'osa monter sur le corps du patient, comme avait fait le beccaïo.

      Il monta sur une chaise pour s'assurer que l'anneau était solide et le noeud coulant bien fait.

      L'anneau était solide; mais le noeud coulant ne coulait pas.

      Maître Donato haussa les épaules, murmura quelques paroles railleuses à l'adresse de ceux qui se mêlaient de choses qu'ils ne savaient pas, et refit le noeud mal fait.

      Pendant ce temps, le beccaïo insultait de son mieux le prisonnier, toujours muet et immobile comme s'il eût été mort.

      La pendule sonna sept heures.

      –Compte maintenant les minutes, dit le tueur de boucs à Salvato; car tu as fini de compter les heures.

      La nuit n'était point encore venue; mais, dans les rues étroites et aux hautes maisons de Naples, l'obscurité commence à descendre bien avant que se couche le soleil.

      On commençait à voir un peu confusément dans cette salle à manger, où se préparait un spectacle dont personne ne voulait perdre le moindre détail.

      Plusieurs voix s'écrièrent:

      –Des torches! des torches!

      Il était bien rare que, dans une réunion de cinq ou six lazzaroni, il n'y eût pas un homme muni d'une torche. Incendier était une des recommandations faites par le cardinal Ruffo au nom de saint Antoine, et, en effet, l'incendie est un des accidents qui jettent le plus de trouble dans une ville.

      Or, comme il y avait dans la salle à manger quarante ou cinquante lazzaroni, il s'y trouvait sept ou huit torches.

      En une seconde, elles furent allumées, et au jour triste du crépuscule tombant succéda la lumière funèbre et enfumée des torches.

      A cette lumière, mêlée de grandes ombres, à cause du mouvement qui leur était imprimé par ceux qui les portaient, les figures de tous ces hommes de meurtre et de pillage prirent une expression plus sinistre encore.

      Cependant, le noeud coulant était fait, et la corde n'attendait plus que le cou du condamné.

      Le bourreau mit un genou en terre près du patient, et, soit pitié, soit conscience de son état:

      –Vous savez que vous pouvez demander un prêtre, lui dit-il, et que nul n'a le droit de vous le refuser.

      A ces paroles, dans lesquelles il sembla à Salvato sentir luire la première étincelle de sympathie qui lui eût été témoignée depuis qu'il était tombé aux mains des lazzaroni, sa résolution de garder le silence s'évanouit.

      –Merci, mon ami, dit-il d'une voix douce en souriant au bourreau: je suis soldat, et, par conséquent, toujours prêt à mourir; je suis honnête homme, et, par conséquent, toujours prêt à me présenter devant Dieu.

      –Quel temps voulez-vous pour faire votre dernière prière? Foi de Donato, ce temps vous sera accordé, ou vous ne serez pas pendu par moi.

      –J'ai eu le temps de faire ma prière depuis que je suis couché sur cette table, dit Salvato. Ainsi, mon ami, si vous êtes pressé, que je ne vous retarde pas.

      Maître Donato n'était point habitué à trouver cette courtoisie chez ceux auxquels il avait affaire. Aussi, tout bourreau qu'il était, et par cela même qu'il était le bourreau, elle le toucha profondément.

      Il se gratta l'oreille un instant.

      –Je crois, dit-il, qu'il y a des préjugés contre ceux qui exercent notre état, et que certaines personnes délicates n'aiment pas à être touchées par nous. Voulez-vous dénouer votre cravate et rabattre le col de votre chemise vous-même, ou voulez-vous que je vous rende ce dernier service?

      –Je n'ai pas de préjugés, répondit Salvato, et, non-seulement vous êtes pour moi ce qu'est un autre homme, mais encore je vous sais gré de ce que vous faites pour moi, et, si j'avais la main libre, ce serait pour vous serrer la main avant de mourir.

      –Par le sang du Christ! vous me la serrerez alors, dit maître Donato en se mettant en devoir de délier les cordes qui liaient les poignets de Salvato: ce sera un bon souvenir pour le reste de ma vie.

      –Ah! c'est comme cela que tu gagnes ton argent! s'écria le beccaïo, furieux de voir que Salvato allait mourir aussi impassiblement aux mains du bourreau qu'à celles d'un autre homme. Du moment que cela est ainsi, je n'ai plus besoin de toi.

      Et, poussant maître Donato hors de la plate-forme que représentait la table, il y prit sa place.

      –Défaire la cravate! rabattre la chemise! à quoi bon tout cela? dit le beccaïo. Je vous le demande un peu! Non pas! non pas! Mon bel ami, nous ne ferons pas tant de cérémonies avec vous. Vous n'avez pas besoin de prêtre? vous n'avez pas besoin de prières? Tant mieux! la chose va plus couramment.

      Et, pressant le noeud coulant de la corde, il souleva la tête de Salvato par les cheveux et lui passa le lacet au cou.

      Salvato était retombé dans son impassibilité première. Cependant quelqu'un qui eût pu voir son visage, plongé dans l'ombre, eût reconnu, à l'oeil entr'ouvert, au cou légèrement tendu du côté de la fenêtre, que quelque bruit extérieur attirait son attention, bruit que, dans leur préoccupation haineuse, ne remarquait aucun des assistants.

      En effet, tout à coup deux ou trois lazzaroni, restés dans la cour, se précipitèrent dans la salle à manger en criant: «Alarme! alarme!» en même temps qu'une décharge de mousqueterie se faisait entendre, que les vitres de la fenêtre volaient en éclats, et que le beccaïo, en poussant un horrible blasphème, tombait sur le prisonnier.

      Une effroyable confusion succéda à cette première décharge, qui avait tué ou blessé cinq ou six hommes et cassé la cuisse au beccaïo.

      Puis, par une fenêtre ouverte, une troupe armée s'élança, ayant à sa tête Michele, dont la voix, dominant le tumulte, criait de toute la force de ses poumons:

      –Est-il encore temps, mon général? Si vous êtes vivant, dites-le; mais, si vous êtes mort, par la madone del Carmine! je jure qu'aucun de ceux qui sont ici n'en sortira vivant!

      –Rassure-toi, mon bon Michele, répondit Salvato de sa voix ordinaire, et sans qu'on pût remarquer dans son accent la moindre altération; je suis vivant et parfaitement vivant.

      En effet, en tombant sur lui, le beccaïo l'avait protégé contre les balles qui s'égaraient dans ce combat nocturne et qui pouvaient atteindre l'ami aussi bien que l'ennemi, la victime aussi bien que le meurtrier.

      Puis, il faut le dire à l'honneur de maître Donato, le digne exécuteur, trompant complètement les espérances que l'on avait mises en lui, avait tiré Salvato de dessus la table, si bien qu'en un clin d'oeil le jeune nomme s'était trouvé dessous. En un autre clin d'oeil, et avec une adresse qui démontrait une habitude longtemps exercée, Donato avait achevé de dénouer la corde qui lui liait les mains, et dans la main droite de l'ex-prisonnier il avait glissé à tout hasard un couteau.

      Salvato avait fait un bond en arrière, s'était adossé à la muraille et s'apprêtait à vendre chèrement sa vie, si par hasard le combat se prolongeait et si la victoire paraissait ne pas favoriser ses libérateurs.

      C'était de là, l'oeil ardent, la main repliée contre la poitrine, le corps ramassé comme un tigre prêt à s'élancer sur sa proie, qu'il avait répondu à Michele et l'avait rassuré en lui répondant.

      Mais ce qu'il avait craint n'arriva pas. La victoire ne fut pas un instant douteuse. Ceux qui avaient des torches les jetèrent ou les éteignirent pour fuir plus rapidement, et, au bout de cinq minutes, il ne restait dans la salle que les morts et les blessés, le jeune officier, maître Donato, Michele, Pagliucella, son fidèle lieutenant, et les trente ou quarante hommes que les deux lazzaroni avaient réussi à rassembler à grand'peine, lorsque Michele avait appris que Salvato était prisonnier du beccaïo et avait deviné le danger qu'il courait.

      Par bonheur, se croyant absolument maître de la ville aux cris de désolation que l'on poussait de tous côtés, le beccaïo n'avait point songé


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