Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870 - Victor Hugo


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ralant et grelottant sous sa pauvre robe de toile toute mouillee. Peu de jours apres son arrivee, elle se coucha; elle ne s'est plus relevee.

      Il y a trois jours elle est morte.

      Vous me demanderez ce qu'etait cette femme et ce qu'elle avait fait pour etre traitee ainsi; je vais vous le dire.

      Cette femme, par des chansons patriotiques, par de sympathiques et cordiales paroles, par de bonnes et civiques actions, avait rendu celebre, dans les faubourgs de Paris, le nom de Louise Julien sous lequel le peuple la connaissait et la saluait. Ouvriere, elle avait nourri sa mere malade; elle l'a soignee et soutenue dix ans. Dans les jours de lutte civile, elle faisait de la charpie; et, boiteuse et se trainant, elle allait dans les ambulances, et secourait les blesses de tous les partis. Cette femme du peuple etait un poete, cette femme du peuple etait un esprit; elle chantait la republique, elle aimait la liberte, elle appelait ardemment l'avenir fraternel de toutes les nations et de tous les hommes; elle croyait a Dieu, au peuple, au progres, a la France; elle versait autour d'elle, comme un vase, dans les esprits des proletaires, son grand coeur plein d'amour et de foi. Voila ce que faisait cette femme. M. Bonaparte l'a tuee.

      Ah! une telle tombe n'est pas muette; elle est pleine de sanglots, de gemissements et de clameurs.

      Citoyens, les peuples, dans le legitime orgueil de leur toute-puissance et de leur droit, construisent avec le granit et le marbre des edifices sonores, des enceintes majestueuses, des estrades sublimes, du haut desquelles parle leur genie, du haut desquelles se repandent a flots dans les ames les eloquences saintes du patriotisme, du progres et de la liberte; les peuples, s'imaginant qu'il suffit d'etre souverains pour etre invincibles, croient inaccessibles et imprenables ces citadelles de la parole, ces forteresses sacrees de l'intelligence humaine et de la civilisation, et ils disent: la tribune est indestructible. Ils se trompent; ces tribunes-la peuvent etre renversees. Un traitre vient, des soldats arrivent, une bande de brigands se concerte, se demasque, fait feu, et le sanctuaire est envahi, et la pierre et le marbre sont disperses, et le palais, et le temple, ou la grande nation parlait au monde, s'ecroule, et l'immonde tyran vainqueur s'applaudit, bat des mains, et dit: C'est fini. Personne ne parlera plus. Pas une voix ne s'elevera desormais. Le silence est fait. – Citoyens! a son tour le tyran se trompe. Dieu ne veut pas que le silence se fasse; Dieu ne veut pas que la liberte, qui est son verbe, se taise. Citoyens! au moment ou les despotes triomphants croient la leur avoir otee a jamais, Dieu redonne la parole aux idees. Cette tribune detruite, il la reconstruit. Non au milieu de la place publique, non avec le granit et le marbre, il n'en a pas besoin. Il la reconstruit dans la solitude; il la reconstruit avec l'herbe du cimetiere, avec l'ombre des cypres, avec le monticule sinistre que font les cercueils caches sous terre; et de cette solitude, de cette herbe, de ces cypres, de ces cercueils disparus, savez-vous ce qui sort, citoyens? Il en sort le cri dechirant de l'humanite, il en sort la denonciation et le temoignage, il en sort l'accusation inexorable qui fait palir l'accuse couronne, il en sort la formidable protestation des morts! Il en sort la voix vengeresse, la voix inextinguible, la voix qu'on n'etouffe pas, la voix qu'on ne baillonne pas! – Ah! M. Bonaparte a fait taire la tribune; c'est bien; maintenant qu'il fasse donc taire le tombeau!

      Lui et ses pareils n'auront rien fait tant qu'on entendra sortir un soupir d'une tombe, et tant qu'on verra rouler une larme dans les yeux augustes de la pitie.

      Pitie! ce mot que je viens de prononcer, il a jailli du plus profond de mes entrailles devant ce cercueil, cercueil d'une femme, cercueil d'une soeur, cercueil d'une martyre! Pauline Roland en Afrique, Louise Julien a Jersey, Francesca Maderspach a Temeswar, Blanca Teleki a Pesth, tant d'autres, Rosalie Gobert, Eugenie Guillemot, Augustine Pean, Blanche Clouart, Josephine Prabeil, Elisabeth Parles, Marie Reviel, Claudine Hibruit, Anne Sangla, veuve Combescure, Armantine Huet, et tant d'autres encore, soeurs, meres, filles, epouses, proscrites, exilees, transportees, torturees, suppliciees, crucifiees, o pauvres femmes! Oh! quel sujet de larmes profondes et d'inexprimables attendrissements! Faibles, souffrantes, malades, arrachees a leurs familles, a leurs maris, a leurs parents, a leurs soutiens, vieilles quelquefois et brisees par l'age, toutes ont ete des heroines, plusieurs ont ete des heros! Oh! ma pensee en ce moment se precipite dans ce sepulcre et baise les pieds froids de cette morte dans son cercueil! Ce n'est pas une femme que je venere dans Louise Julien, c'est la femme; la femme de nos jours, la femme digne de devenir citoyenne; la femme telle que nous la voyons autour de nous, dans tout son devouement, dans toute sa douceur, dans tout son sacrifice, dans toute sa majeste! Amis, dans les temps futurs, dans cette belle, et paisible, et tendre, et fraternelle republique sociale de l'avenir, le role de la femme sera grand; mais quel magnifique prelude a ce role que de tels martyres si vaillamment endures! Hommes et citoyens, nous avons dit plus d'une fois dans notre orgueil: – Le dix-huitieme siecle a proclame le droit de l'homme; le dix-neuvieme proclamera le droit de la femme; – mais, il faut l'avouer, citoyens, nous ne nous sommes point hates; beaucoup, de considerations, qui etaient graves, j'en conviens, et qui voulaient etre murement examinees, nous ont arretes; et a l'instant ou je parle, au point meme ou le progres est parvenu, parmi les meilleurs republicains, parmi les democrates les plus vrais et les plus purs, bien des esprits excellents hesitent encore a admettre dans l'homme et dans la femme l'egalite de l'ame humaine, et, par consequent, l'assimilation, sinon l'identite complete, des droits civiques. Disons-le bien haut, citoyens, tant que la prosperite a dure, tant que la republique a ete debout, les femmes, oubliees par nous, se sont oubliees elles-memes; elles se sont bornees a rayonner comme la lumiere; a echauffer les esprits, a attendrir les coeurs, a eveiller les enthousiasmes, a montrer du doigt a tous le bon, le juste, le grand et le vrai. Elles n'ont rien ambitionne au dela. Elles qui, par moment, sont, l'image, de la patrie vivante, elles qui pouvaient etre l'ame de la cite, elles ont ete simplement l'ame de la famille. A l'heure de l'adversite, leur attitude a change, elles ont cesse d'etre modestes; a l'heure de l'adversite, elles nous ont dit: – Nous ne savons pas si nous, avons droit a votre puissance, a votre liberte, a votre grandeur; mais ce que nous savons, c'est que nous avons droit a votre misere. Partager vos souffrances, vos accablements, vos denuments, vos detresses, vos renoncements, vos exils, votre abandon si vous etes sans asile, votre faim si vous etes sans pain, c'est la le droit de la femme, et nous le reclamons. – O mes freres! et les voila qui nous suivent dans le combat, qui nous accompagnent dans la proscription, et qui nous devancent dans le tombeau!

      Citoyens, puisque cette fois encore vous avez voulu que je parlasse en votre nom, puisque votre mandat donne a ma voix l'autorite qui manquerait a une parole isolee; sur la tombe de Louise Julien, comme il y a trois mois, sur la tombe de Jean Bousquet, le dernier cri que je veux jeter, c'est le cri de courage, d'insurrection et d'esperance!

      Oui, des cercueils comme celui de cette noble femme qui est la signifient et predisent la chute prochaine des bourreaux, l'inevitable ecroulement des despotismes et des despotes. Les proscrits meurent l'un apres l'autre; le tyran creuse leur fosse; mais a un jour venu, citoyens, la fosse tout a coup attire et engloutit le fossoyeur!

      O morts qui m'entourez et qui m'ecoutez, malediction a Louis Bonaparte! O morts, execration a cet homme! Pas d'echafauds quand viendra la victoire, mais une longue et infamante expiation a ce miserable! Malediction sous tous les cieux, sous tous les climats, en France, en Autriche, en Lombardie, en Sicile, a Rome, en Pologne, en Hongrie, malediction aux violateurs du droit humain et de la loi divine! Malediction aux pourvoyeurs des pontons, aux dresseurs des gibets, aux destructeurs des familles, aux tourmenteurs des peuples! Malediction aux proscripteurs des peres, des meres et des enfants! Malediction aux fouetteurs de femmes! Proscrits! soyons implacables dans ces solennelles et religieuses revendications du droit et de l'humanite. Le genre humain a besoin de ces cris terribles; la conscience universelle a besoin de ces saintes indignations de la pitie. Execrer les bourreaux, c'est consoler les victimes. Maudire les tyrans, c'est benir les nations.

      III

      VINGT-TROISIEME ANNIVERSAIRE DE LA REVOLUTION POLONAISE

      29 novembre 1853, a Jersey.

      Proscrits, mes freres!

      Tout marche, tout avance, tout approche, et, je vous le dis avec une joie profonde, deja se font jour et deviennent visibles les symptomes precurseurs du grand avenement. Oui, rejouissez-vous, proscrits de toutes les nations, ou, pour mieux dire, proscrits de la grande nation unique, de cette nation qui sera le genre humain et qui s'appellera Republique universelle. –


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