Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870. Victor Hugo
Читать онлайн книгу.de Carlier. Quelquefois l'espion mendie; l'empereur vous demande l'aumone par son Pietri; vous donnez, il rit; gaite de bourreau. Vous payez les dettes d'auberge de cet exile, c'est un agent; vous payez le voyage de ce fugitif, c'est un sbire; vous passez la rue, vous entendez dire: Voila le vrai tyran! C'est de vous qu'on parle; vous vous retournez; qui est cet homme? on vous repond: c'est un proscrit. Point. C'est un fonctionnaire. Il est farouche et paye. C'est un republicain signe Maupas. Coco se deguise en Scaevola.
Quant aux inventions, quant aux impostures, quant aux turpitudes, acceptez-les. Ce sont les projectiles de l'empire.
Surtout ne reclamez pas. On rirait. Apres la reclamation, l'injure recommencera, la meme, sans meme prendre la peine de varier; a quoi bon changer de bave? celle d'hier est bonne.
L'outrage continuera, sans relache, tous les jours, avec la tranquillite infatigable et la conscience satisfaite de la roue qui tourne et de la venalite qui ment. De represailles point; l'injure se defend par sa bassesse; la platitude sauve l'insecte. L'ecrasement de zero est impossible. Et la calomnie, sure de l'impunite, s'en donne a coeur joie; elle descend a de si niaises indignites que l'abaissement de la dementir depasse le degout de l'endurer.
Les insulteurs ont pour public les imbeciles. Cela fait un gros rire.
On en vient a s'etonner que vous ne trouviez pas tout naturel d'etre calomnie. Est-ce que vous n'etes pas la pour cela? O homme naif, vous etes cible. Tel personnage est de l'academie pour vous avoir insulte; tel autre a la croix pour le meme acte de bravoure, l'empereur l'a decore sur le champ d'honneur de la calomnie; tel autre, qui s'est distingue aussi par des affronts d'eclat, est nomme prefet. Vous outrager est lucratif. Il faut bien que les gens vivent. Dame! pourquoi etes-vous exile?
Soyez raisonnable. Vous etes dans votre tort. Qui vous forcait de trouver mauvais le coup d'etat? Quelle idee avez-vous eue de combattre pour le droit? Quel caprice vous a passe par la tete de vous revolter du cote de la loi? Est-ce qu'on prend la defense du droit et de la loi quand ils n'ont plus personne pour eux? Voila bien les demagogues! s'enteter, perseverer, persister, c'est absurde. Un homme poignarde le droit et assassine la loi. Il est probable qu'il a ses raisons. Soyez avec cet homme. Le succes le fait juste. Soyez avec le succes puisque le succes devient le droit. Tout le monde vous en saura gre. Nous ferons votre eloge. Au lieu d'etre proscrit vous serez senateur, et vous n'aurez pas la figure d'un idiot.
Osez-vous douter du bon droit de cet homme? mais vous voyez bien qu'il a reussi! Vous voyez bien que les juges qui l'avaient mis en accusation lui pretent serment! Vous voyez bien que les pretres, les soldats, les eveques, les generaux, sont avec lui! Vous croyez avoir plus de vertu que tout cela! vous voulez tenir tete a tout cela! Allons donc! D'un cote tout ce qui est respecte, tout ce qui est respectable, tout ce qui est venere, tout ce qui est venerable, de l'autre, vous! C'est inepte; et nous vous bafouons, et nous faisons bien. Mentir contre une brute est permis. Tous les honnetes gens sont contre vous; et nous, les calomniateurs, nous sommes avec les honnetes gens. Voyons, reflechissez, rentrez en vous-meme. Il fallait bien sauver la societe. De qui? de vous. De quoi ne la menaciez-vous pas? Plus de guerre, plus d'echafaud, l'abolition de la peine de mort, l'enseignement gratuit et obligatoire, tout le monde sachant lire! C'etait affreux. Et que d'utopies abominables! la femme de mineure faite majeure, cette moitie du genre humain admise au suffrage universel, le mariage libere par le divorce; l'enfant pauvre instruit comme l'enfant riche, l'egalite resultant de l'education; l'impot diminue d'abord et supprime enfin par la destruction des parasitismes, par la mise en location des edifices nationaux, par l'egout transforme en engrais, par la repartition des biens communaux, par le defrichement des jacheres, par l'exploitation de la plus-value sociale; la vie a bon marche, par l'empoissonnement des fleuves; plus de classes, plus de frontieres, plus de ligatures, la republique d'Europe, l'unite monetaire continentale, la circulation decuplee decuplant la richesse; que de folies! il fallait bien se garer de tout cela! Quoi! la paix serait faite parmi les hommes, il n'y aurait plus d'armee, il n'y aurait plus de service militaire! Quoi! la France serait cultivee de facon a pouvoir nourrir deux cent cinquante millions d'hommes; il n'y aurait plus d'impot, la France vivrait de ses rentes! Quoi! la femme voterait, l'enfant aurait un droit devant le pere, la mere de famille ne serait plus une sujette et une servante, le mari n'aurait plus le droit de tuer sa femme! Quoi! le pretre ne serait plus le maitre! Quoi! il n'y aurait plus de batailles, il n'y aurait plus de soldats, il n'y aurait plus de bourreaux, il n'y aurait plus de potences et de guillotines! mais c'est epouvantable! il fallait nous sauver. Le president l'a fait; vive l'empereur! – Vous lui resistez; nous vous dechirons; nous ecrivons sur vous des choses quelconques. Nous savons bien que ce que nous disons n'est pas vrai, mais nous protegeons la societe, et la calomnie qui protege la societe est d'utilite publique. Puisque la magistrature est avec le coup d'etat, la justice y est aussi; puisque le clerge est avec le coup d'etat, la religion y est aussi; la religion et la justice sont des figures immaculees et saintes; la calomnie qui leur est utile participe de l'honneur qu'on leur doit; c'est une fille publique, soit, mais elle sert des vierges. Respectez-la.
Ainsi raisonnent les insulteurs.
Ce que le proscrit a de mieux a faire, c'est de penser a autre chose.
V
Puisqu'il est au bord de la mer, qu'il en profite. Que cette mobilite sous l'infini lui donne la sagesse. Qu'il medite sur l'emeute eternelle des flots contre le rivage et des impostures contre la verite. Les diatribes sont vainement convulsives. Qu'il regarde la vague cracher sur le rocher, et qu'il se demande ce que cette salive y gagne et ce que ce granit y perd.
Non, pas de revolte contre l'injure, pas de depense d'emotion, pas de represailles, ayez une tranquillite severe. La roche ruisselle, mais ne bouge pas. Parfois elle brille du ruissellement. La calomnie finit par etre un lustre. A un ruban d'argent sur la rose, on reconnait que la chenille a passe.
Le crachat au front du Christ, quoi de plus beau!
Un pretre, un certain Segur, a appele Garibaldi poltron. Et, en verve de metaphore, il ajoute: Comme la lune. – Garibaldi poltron comme la lune! Ceci plait a la pensee. Et il en decoule des consequences. Achille est lache, donc Thersite est brave; Voltaire est stupide, donc Segur est profond.
Que le proscrit fasse son devoir, et qu'il laisse la diatribe faire sa besogne.
Que le proscrit traque, trahi, hue, aboye, mordu, se taise.
C'est grand le silence.
Aussi bien vouloir eteindre l'injure, c'est l'attiser. Tout ce que l'on jette a la calomnie lui est combustible. Elle emploie a son metier sa propre honte. La contredire, c'est la satisfaire. Au fond, la calomnie estime profondement le calomnie. C'est elle qui souffre; elle meurt du dedain. Elle aspire a l'honneur d'un dementi. Ne le lui accordez pas. Etre souffletee lui prouverait qu'on l'apercoit. Elle montrerait sa joue toute chaude en disant: Donc j'existe!
VI
D'ailleurs, pourquoi et de quoi les proscrits se plaindraient-ils? Regardez toute l'histoire. Les grands hommes sont encore plus insultes qu'eux.
L'outrage est une vieille habitude humaine; jeter des pierres plait aux mains faineantes; malheur a tout ce qui depasse le niveau; les sommets ont la propriete de faire venir d'en haut la foudre et d'en bas la lapidation. C'est presque leur faute; pourquoi sont-ils des sommets? Ils attirent le regard et l'affront. Ce passant, l'envieux, n'est jamais absent de la rue et a pour fonction la haine; et toujours on le rencontre, petit et furieux, dans l'ombre des hauts edifices.
Les specialistes auraient des etudes a faire dans la recherche des causes d'insomnie des grands hommes. Homere dort, bonus dormitat; ce sommeil est pique par Zoile. Eschyle sent sur sa peau la cuisson d'Eupolis et de Cratinus; ces infiniment petits abondent; Virgile a sur lui Moevius; Horace, Licilius; Juvenal, Codrus; Dante a Cecchi; Shakespeare a Green; Rotrou a Scuderi, et Corneille a l'academie; Moliere a Donneau de Vise, Montesquieu a Desfontaines, Buffon a Labeaumelle, Jean-Jacques a Palissot, Diderot a Nonotte, Voltaire a Freron. La gloire, lit dore ou il y a des punaises.
L'exil n'est pas la gloire, mais il a avec la gloire cette ressemblance, la vermine. L'adversite n'est pas une chose qu'on laisse tranquille. Voir le sommeil du juste banni deplait aux ramasseurs de miettes sous les tables de Neron ou de Tibere. Comment, il dort! il est donc heureux! mordons-le!
Un