David Copperfield – Tome II. Чарльз Диккенс

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David Copperfield – Tome II - Чарльз Диккенс


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vous devez plutôt me féliciter, si vous avez le coeur bon, comme je le crois, dit-elle, d'avoir eu le courage, dans ce que je suis, de supporter tout cela gaiement. Je me félicite moi-même, en tout cas, de pouvoir faire mon petit bonhomme de chemin dans le monde sans rien devoir à personne, sans avoir à rendre autre chose pour le pain qu'on me jette en passant, par sottise ou par vanité, que quelques folies en échange. Si je ne passe pas ma vie à me lamenter de tout ce qui me manque, c'est tant mieux pour moi, et cela ne fait de tort à personne. S'il faut que je serve de jouet à vous autres géants, au moins traitez votre jouet doucement.»

      Miss Mowcher remit son mouchoir dans sa poche, et poursuivit en me regardant fixement:

      «Je vous ai vu dans la rue tout à l'heure. Vous comprenez qu'il m'est impossible de marcher aussi vite que vous: j'ai les jambes trop petites et l'haleine trop courte, et je n'ai pas pu vous rejoindre; mais je devinais où vous alliez et je vous ai suivi. Je suis déjà venue ici aujourd'hui, mais la bonne femme n'était pas chez elle.

      – Est-ce que vous la connaissez? demandai-je.

      – J'ai entendu parler d'elle, répliqua-t-elle, chez Omer et Joram. J'étais chez eux ce matin à sept heures. Vous souvenez-vous de ce que Steerforth me dit de cette malheureuse fille le jour où je vous ai vus tous les deux à l'hôtel?»

      Le grand chapeau sur la tête de miss Mowcher, et le chapeau plus grand encore qui se dessinait sur la muraille, recommencèrent à se dandiner quand elle me fit cette question.

      Je lui répondis que je me rappelais très-bien ce qu'elle voulait dire, et que j'y avais pensé plusieurs fois dans la journée.

      «Que le père du mensonge le confonde! dit la petite personne en élevant le doigt entre ses yeux étincelants et moi, et qu'il confonde dix fois plus encore ce misérable domestique! Mais je croyais que c'était vous qui aviez pour elle une passion de vieille date.

      – Moi? répétai-je.

      – Enfant que vous êtes! Au nom de la mauvaise fortune la plus aveugle, s'écria miss Mowcher, en se tordant les mains avec impatience et en s'agitant de long en large sur le garde-cendres, pourquoi aussi faisiez-vous tant son éloge, en rougissant et d'un air si troublé?»

      Je ne pouvais me dissimuler qu'elle disait vrai, quoiqu'elle eût mal interprété mon émotion.

      «Comment pouvais-je le savoir? dit miss Mowcher en tirant de nouveau son mouchoir et en frappant du pied chaque fois qu'elle s'essuyait les yeux des deux mains. Je voyais bien qu'il vous tourmentait et vous cajolait tour à tour; et, pendant ce temps-là, vous étiez comme de la cire molle entre ses mains; je le voyais bien aussi. Il n'y avait pas une minute que j'avais quitté la chambre quand son domestique me dit que le jeune innocent (c'est ainsi qu'il vous appelait, et vous, vous pouvez bien l'appeler le vieux coquin tant que vous voudrez, sans lui faire tort) avait jeté son dévolu sur elle, et qu'elle avait aussi la tête perdue d'amour pour vous; mais que son maître était décidé à ce que cela n'eût pas de mauvaises suites, plus par affection pour vous que par pitié pour elle, et que c'était dans ce but qu'ils étaient à Yarmouth. Comment ne pas le croire? J'avais vu Steerforth vous câliner et vous flatter en faisant l'éloge de cette jeune fille. C'était vous qui aviez parlé d'elle le premier. Vous aviez avoué qu'il y avait longtemps que vous l'aviez appréciée. Vous aviez chaud et froid, vous rougissiez et vous pâlissiez quand je vous parlais d'elle. Que vouliez-vous que je pusse croire, si ce n'est que vous étiez un petit libertin en herbe, à qui il ne manquait plus que l'expérience, et qu'avec les mains dans lesquelles vous étiez tombé, l'expérience ne vous manquerait pas longtemps, s'ils ne se chargeaient pas de vous diriger pour votre bien, puisque telle était leur fantaisie? Oh! oh! oh! c'est qu'ils avaient peur que je ne découvrisse la vérité, s'écria miss Mowcher en descendant du garde-feu pour trotter en long et en large dans la cuisine, en levant au ciel ses deux petits bras d'un air de désespoir; ils savaient que je suis assez fine, car j'en ai bien besoin pour me tirer d'affaire dans le monde, et ils se sont réunis pour me tromper; ils m'ont fait remettre à cette malheureuse fille une lettre, l'origine, je le crains bien, de ses accointances avec Littimer qui était resté ici tout exprès pour elle.»

      Je restai confondu à la révélation de tant de perfidie, et je regardai miss Mowcher qui se promenait toujours dans la cuisine; quand elle fut hors d'haleine, elle se rassit sur le garde-feu et, s'essuyant le visage avec son mouchoir, elle secoua la tête sans faire d'autre mouvement et sans rompre le silence.

      «Mes tournées de province m'ont amenée avant-hier soir à Norwich, monsieur Copperfield, ajouta-t-elle enfin. Ce que j'ai su là par hasard du secret qui avait enveloppé leur arrivée et leur départ, car je fus bien étonnée d'apprendre que vous n'étiez pas de la partie, m'a fait soupçonner quelque chose. J'ai pris hier au soir la diligence de Londres au moment où elle traversait Norwich, et je suis arrivée ici ce matin, trop tard, hélas! trop tard!»

      La pauvre petite Mowcher avait un tel frisson, à force de pleurer et de se désespérer, qu'elle se retourna sur le garde-feu pour réchauffer ses pauvres petits pieds mouillés au milieu des cendres, et resta là comme une grande poupée, les yeux tournés vers l'âtre. J'étais assis sur une chaise de l'autre côté de la cheminée, plongé dans mes tristes réflexions et regardant tantôt le feu, tantôt mon étrange compagne.

      «Il faut que je m'en aille, dit-elle enfin en se levant. Il est tard; vous ne vous méfiez pas de moi, n'est-ce pas?»

      En rencontrant son regard perçant, plus perçant que jamais, quand elle me fit cette question, je ne pus répondre à ce brusque appel un «non» bien franc.

      «Allons, dit-elle, en acceptant la main que je lui offrais pour l'aider à passer par-dessus le garde-cendres et en me regardant d'un air suppliant, vous savez bien que vous ne vous méfieriez pas de moi, si j'étais une femme de taille ordinaire.»

      Je sentis qu'il y avait beaucoup de vérité là dedans, et j'étais un peu honteux de moi-même.

      «Vous êtes jeune, dit-elle. Écoutez un mot d'avis, même d'une petite créature de trois pieds de haut. Tâchez, mon bon ami, de ne pas confondre les infirmités physiques avec les infirmités morales, à moins que vous n'ayez quelque bonne raison pour cela.»

      Quand elle fut délivrée du garde-cendres, et moi de mes soupçons, je lui dis que je ne doutais pas qu'elle ne m'eût fidèlement expliqué ses sentiments, et que nous n'eussions été, l'un et l'autre, deux instruments aveugles dans des mains perfides. Elle me remercia en ajoutant que j'étais un bon garçon.

      «Maintenant, faites attention! dit-elle en se retournant, au moment d'arriver à la porte, et en me regardant, le doigt levé, d'un air malin. J'ai quelques raisons de supposer, d'après ce que j'ai entendu dire (car j'ai toujours l'oreille au guet, il faut bien que j'use des facultés que je possède) qu'ils sont partis pour le continent. Mais s'ils reviennent jamais, si l'un d'eux seulement revient de mon vivant, j'ai plus de chances qu'un autre, moi qui suis toujours par voie et par chemins, d'en être informée. Tout ce que je saurai, vous le saurez; si je puis jamais être utile, n'importe comment, à cette pauvre fille qu'ils viennent de séduire, je m'y emploierai fidèlement, s'il plaît à Dieu! Et quant à Littimer, mieux vaudrait pour lui avoir un dogue à ses trousses que la petite Mowcher!»

      Je ne pus m'empêcher d'ajouter foi intérieurement à cette promesse, quand je vis le regard qui l'accompagnait.

      «Je ne vous demande que d'avoir en moi la confiance que vous auriez en une femme d'une taille ordinaire, ni plus ni moins, dit la petite créature en prenant ma main d'un air suppliant. Si vous me revoyez jamais différente en apparence de ce que je suis maintenant avec vous; si je reprends l'humeur folâtre que vous m'avez vue la première fois, faites attention à la compagnie avec laquelle je me trouve. Rappelez-vous que je suis une pauvre petite créature sans secours et sans défense. Figurez-vous miss Mowcher rentrée chez elle le soir, avec son frère tout comme elle, et sa soeur, comme elle aussi, quand elle a fini sa journée; peut-être alors serez-vous plus indulgent pour moi, et ne vous étonnerez- vous plus de mon chagrin et de mon trouble. Bonsoir!»

      Je touchai la main de miss Mowcher avec des sentiments d'estime bien différents de ceux qu'elle m'avait inspirés jusqu'alors, et je lui tins la porte pour la laisser sortir.


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