Le vicomte de Bragelonne, Tome III.. Dumas Alexandre
Читать онлайн книгу.réservé, n'est-ce pas?
– Oui.
– Celui des rendez-vous? celui qui est si célèbre dans les histoires mystérieuses du surintendant?
– Je ne sais pas: je n'y ai eu ni rendez-vous ni histoires mystérieuses; mais on m'autorise à y exercer mes muscles, et je profite de la permission en déracinant des arbres.
– Pour quoi faire?
– Pour m'entretenir la main, et puis pour y prendre des nids d'oiseaux: je trouve cela plus commode que de monter dessus.
– Vous êtes pastoral comme Tircis, mon cher Porthos.
– Oui, j'aime les petits oeufs; je les aime infiniment plus que les gros. Vous n'avez point idée comme c'est délicat, une omelette de quatre ou cinq cents oeufs de verdier, de pinson, de sansonnet, de merle et de grive.
– Mais cinq cents oeufs, c'est monstrueux!
– Cela tient dans un saladier, dit Porthos.
D'Artagnan admira cinq minutes Porthos, comme s'il le voyait pour la première fois.
Quant à Porthos, il s'épanouit joyeusement sous le regard de son ami.
Ils demeurèrent quelques instants ainsi, d'Artagnan regardant,
Porthos s'épanouissant.
D'Artagnan cherchait évidemment à donner un nouveau tour à la conversation.
– Vous divertissez-vous beaucoup ici, Porthos? demanda-t-il enfin, sans doute lorsqu'il eut trouvé ce qu'il cherchait.
– Pas toujours.
– Je conçois cela; mais, quand vous vous ennuierez par trop, que ferez vous?
– Oh! je ne suis pas ici pour longtemps. Aramis attend que ma dernière bosse ait disparu pour me présenter au roi, qui ne peut pas souffrir les bosses, à ce qu'on m'a dit.
– Aramis est donc toujours à Paris?
– Non.
– Et où est-il?
– À Fontainebleau.
– Seul?
– Avec M. Fouquet.
– Très bien. Mais savez-vous une chose?
– Non. Dites-la-moi et je la saurai.
– C'est que je crois qu'Aramis vous oublie.
– Vous croyez?
– Là-bas, voyez-vous, on rit, on danse, on festoie, on fait sauter les vins de M. de Mazarin. Savez-vous qu'il y a ballet tous les soirs, là-bas?
– Diable! diable!
– Je vous déclare donc que votre cher Aramis vous oublie.
– Cela se pourrait bien, et je l'ai pensé parfois.
– À moins qu'il ne vous trahisse, le sournois!
– Oh!
– Vous le savez, c'est un fin renard, qu'Aramis.
– Oui, mais me trahir…
– Écoutez; d'abord, il vous séquestre.
– Comment, il me séquestre! Je suis séquestré, moi?
– Pardieu!
– Je voudrais bien que vous me prouvassiez cela?
– Rien de plus facile. Sortez-vous?
– Jamais.
– Montez-vous à cheval?
– Jamais.
– Laisse-t-on parvenir vos amis jusqu'à vous?
– Jamais.
– Eh bien! mon ami, ne sortir jamais, ne jamais monter à cheval, ne jamais voir ses amis, cela s'appelle être séquestré.
– Et pourquoi Aramis me séquestrerait-il? demanda Porthos.
– Voyons, dit d'Artagnan, soyez franc, Porthos.
– Comme l'or.
– C'est Aramis qui a fait le plan des fortifications de Belle-
Île, n'est-ce pas?
Porthos rougit.
– Oui, dit-il, mais voilà tout ce qu'il a fait.
– Justement, et mon avis est que ce n'est pas une très grande affaire.
– C'est le mien aussi.
– Bien; je suis enchanté que nous soyons du même avis.
– Il n'est même jamais venu à Belle-Île, dit Porthos.
– Vous voyez bien.
– C'est moi qui allais à Vannes, comme vous avez pu le voir.
– Dites comme je l'ai vu. Eh bien! voilà justement l'affaire, mon cher Porthos, Aramis, qui n'a fait que les plans, voudrait passer pour l'ingénieur; tandis que, vous qui avez bâti pierre à pierre la muraille, la citadelle et les bastions, il voudrait vous reléguer au rang de constructeur.
– De constructeur, c'est-à-dire de maçon?
– De maçon, c'est cela.
– De gâcheur de mortier?
– Justement.
– De manoeuvre?
– Vous y êtes.
– Oh! oh! cher Aramis, vous vous croyez toujours vingt-cinq ans, à ce qu'il paraît?
– Ce n'est pas le tout: il vous en croit cinquante.
– J'aurais bien voulu le voir à la besogne.
– Oui.
– Un gaillard qui a la goutte.
– Oui.
– La gravelle.
– Oui.
– À qui il manque trois dents.
– Quatre.
– Tandis que moi, regardez!
Et Porthos, écartant ses grosses lèvres, exhiba deux rangées de dents un peu moins blanches que la neige, mais aussi nettes, aussi dures et aussi saines que l'ivoire.
– Vous ne vous figurez pas, Porthos, dit d'Artagnan, combien le roi tient aux dents. Les vôtres me décident; je vous présenterai au roi.
– Vous?
– Pourquoi pas? Croyez-vous que je sois plus mal en cour qu'Aramis?
– Oh! non.
– Croyez-vous que j'aie la moindre prétention sur les fortifications de Belle-Île?
– Oh! certes non.
– C'est donc votre intérêt seul qui peut me faire agir.
– Je n'en doute pas.
– Eh bien! je suis intime ami du roi, et la preuve, c'est que, lorsqu'il y a quelque chose de désagréable à lui dire, c'est moi qui m'en charge.
– Mais, cher ami, si vous me présentez…
– Après?
– Aramis se fâchera.
– Contre moi?
– Non, contre moi.
– Bah! que ce soit lui ou que ce soit moi qui vous présente, puisque vous deviez être présenté, c'est la même chose.
– On devait me faire faire des habits.
– Les vôtres sont splendides.
– Oh! ceux que j'avais commandés étaient bien plus beaux.
– Prenez garde, le roi aime la simplicité.
– Alors je serai simple. Mais que dira