Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre

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Les compagnons de Jéhu - Dumas Alexandre


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sur le cavalier mystérieux; car, ainsi que nous l'avons dit, quoique neuf heures sonnassent à Bourg, et que, par conséquent, il fît nuit close, il arrêta son cheval à la porte du monastère abandonné, et, sans mettre pied à terre, tirant un pistolet de ses fontes, il frappa du pommeau contre la porte trois coups espacés à la manière des francs-maçons.

      Puis il écouta.

      Un instant il avait douté qu'il y eût réunion à la chartreuse, car, si fixement qu'il eût regardé, si attentivement qu'il eût prêté l'oreille; il n'avait vu aucune lumière, n'avait entendu aucun bruit.

      Cependant, il lui sembla qu'un pas circonspect s'approchait intérieurement de la porte.

      Il frappa une seconde fois avec la même arme et de la même façon.

      – Qui frappe? demanda une voix.

      – Celui qui vient de la part d'Élisée, répondit le voyageur.

      – Quel est le roi auquel les fils d'Isaac doivent obéir?

      – Jéhu.

      – Quelle est la maison qu'ils doivent exterminer?

      – Celle d'Achab.

      – Êtes-vous prophète ou disciple?

      – Je suis prophète.

      – Alors, soyez le bienvenu dans la maison du Seigneur, dit la voix.

      Aussitôt les barres de fer qui assuraient la massive clôture basculèrent sur elles-mêmes, les verrous grincèrent dans les tenons, un des battants de la porte s'ouvrit silencieusement, et le cheval et le cavalier s'enfoncèrent sous la sombre voûte qui se referma derrière eux.

      Celui qui avait ouvert cette porte, si lente à s'ouvrir, si prompte à se refermer, était vêtu de la longue robe blanche des chartreux, dont le capuchon, retombant sur son visage, voilait entièrement ses traits.

      VII – LA CHARTREUSE DE SEILLON

      Sans doute, de même que le premier affilié rencontré sur la route de Sue par celui qui venait de se donner le titre de prophète, le moine qui avait ouvert la porte n'occupait qu'un rang secondaire dans la confrérie car, saisissant la bride du cheval, il le maintint tandis que le cavalier mettait pied à terre, rendant ainsi au jeune homme le même service que lui eût rendu un palefrenier.

      Morgan descendit, détacha la valise, tira les pistolets de leurs fontes, les passa à sa ceinture, près de ceux qui y étaient déjà, et, s'adressant au moine d'un ton de commandement

      – Je croyais, dit-il, trouver les frères réunis en conseil.

      – Ils sont réunis, en effet, répondit le moine.

      – Où cela?

      – Dans la Correrie; on a vu, depuis quelques jours, rôder autour de la chartreuse des figures suspectes, et des ordres supérieurs ont ordonné les plus grandes précautions.

      Le jeune homme haussa les épaules en signe qu'il regardait ces précautions comme inutiles, et, toujours du même ton de commandement:

      – Faites mener ce cheval à lécurie et conduisez-moi au conseil, dit-il.

      Le moine appela un autre frère aux mains duquel il jeta la bride du cheval, prit une torche qu'il alluma à une lampe brûlant dans la petite chapelle que l'on peut, aujourd'hui encore, voir à droite sous la grande porte, et marcha devant le nouvel arrivé.

      Il traversa le cloître, fit quelques pas dans le jardin, ouvrit une porte conduisant à une espèce de citerne, fit entrer Morgan, referma aussi soigneusement la porte de la citerne qu'il avait refermé celle de la rue, poussa du pied une pierre qui semblait se trouver là par hasard, démasqua un anneau et souleva une dalle fermant l'entrée d'un souterrain dans lequel on descendait par plusieurs marches.

      Ces marches conduisaient à un couloir arrondi en voûte et pouvant donner passage à deux hommes s'avançant de front.

      Nos deux personnages marchèrent ainsi pendant cinq à six minutes, après lesquelles ils se trouvèrent en face d'une grille. Le moine tira une clef de dessous sa robe et l'ouvrit. Puis, quand tous deux eurent franchi la grille et que la grille se fut refermée:

      – Sous quel nom vous annoncerai-je? demanda le moine.

      – Sous le nom de frère Morgan.

      – Attendez ici; dans cinq minutes je serai de retour.

      Le jeune homme fit de la tête un signe qui annonçait qu'il était familiarisé avec toutes ces défiances et toutes ces précautions. Puis il s'assit sur une tombe – on était dans les caveaux mortuaires du couvent – , et il attendit.

      En effet, cinq minutes ne s'étaient point écoulées, que le moine reparut.

      – Suivez-moi, dit-il: les frères sont heureux de votre présence; ils craignaient qu'il ne vous fût arrivé malheur.

      Quelques secondes plus tard, frère Morgan était introduit dans la salle du conseil.

      Douze moines l'attendaient, le capuchon rabattu sur les yeux; mais, dès que la porte se fut refermée derrière lui et que le frère servant eut disparu, en même temps que Morgan lui-même ôtait son masque, tous les capuchons se rabattirent et chaque moine laissa voir son visage.

      Jamais communauté n'avait brillé par une semblable réunion de beaux et joyeux jeunes gens.

      Deux ou trois seulement, parmi ces étranges moines, avaient atteint l'âge de quarante ans.

      Toutes les mains se tendirent vers Morgan; deux ou trois accolades furent données au nouvel arrivant.

      – Ah! par ma foi, dit l'un de ceux qui l'avaient embrassé le plus tendrement, tu nous tires une fameuse épine hors du pied: nous te croyions mort ou tout au moins prisonnier.

      – Mort, je te le passe, Amiet; mais prisonnier, non, citoyen, comme on dit encore quelquefois – et comme on ne dira bientôt plus, j'espère – il faut même dire que les choses se sont passées de part et d'autre avec une aménité touchante: dès qu'il nous ont aperçus, le conducteur a crié au postillon d'arrêter; je crois même qu'il a ajouté: «Je sais ce que c'est». – Alors, lui ai-je dit, si vous savez ce que c'est, mon cher ami, les explications ne seront pas longues. – L'argent du gouvernement? a-t-il demandé. – Justement, ai-je répondu. Puis, comme il se faisait un grand remue-ménage dans la voiture: «Attendez, mon ami, ai-je ajouté; avant tout, descendez, et dites à ces messieurs, et surtout à ces dames, que nous sommes des gens comme il faut, qu'on ne les touchera pas – ces dames, bien entendu – et que l'on ne regardera que celles qui passeront la tête par la portière.» Une s'est hasardée, ma foi! il est vrai qu'elle était charmante… Je lui ai envoyé un baiser; elle a poussé un petit cri et s'est réfugiée dans la voiture, ni plus ni moins que Galatée; mais comme il n'y avait pas de saules, je ne l'y ai pas poursuivie. Pendant ce temps, le conducteur fouillait dans sa caisse en toute hâte, et il se hâtait si bien, qu'avec l'argent du gouvernement, il m'a remis, dans sa précipitation, deux cents louis appartenant à un pauvre marchand de vin de Bordeaux.

      – Ah! diable! fit celui des frères auquel le narrateur avait donné le nom d'Amiet, qui probablement, comme celui de Morgan, n'était qu'un nom de guerre, voilà qui est fâcheux! Tu sais que le Directoire, qui est plein d'imagination, organise des compagnies de chauffeurs qui opèrent en notre nom, et qui ont pour but de faire croire que nous en voulons aux pieds et aux bourses dès particuliers, c'est-à-dire que nous sommes de simples voleurs.

      – Attendez donc, reprit Morgan, voilà justement ce qui m'a retardé; j'avais entendu dire quelque chose de pareil à Lyon, de sorte que j'étais déjà à moitié chemin de Valence quand je me suis aperçu de l'erreur par l'étiquette. Ce n'était pas bien difficile, il y avait sur le sac, comme si le bonhomme eût prévu le cas: Jean Picot, marchand de vin à Fronsac, près Bordeaux.

      – Et tu lui as renvoyé son argent?

      – J'ai mieux fait, je le lui ai reporté.

      – À Fronsac?

      – Oh!


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