La San-Felice, Tome 05. Dumas Alexandre
Читать онлайн книгу.chevalier passa un bras autour de son cou, appuya la tête de Luisa contre sa poitrine, et, relevant le capuchon de la mante de satin qui les couvrait, il baisa ses cheveux d'une lèvre frémissante et plus que paternelle cette fois.
Luisa ne put retenir un gémissement.
Le chevalier fit semblant de ne pas l'entendre.
On arriva à la descente de la Vittoria.
Une barque, montée de six rameurs, attendait, se maintenant à grand'peine contre les vagues qui la poussaient vers la plage.
A peine les rameurs eurent-ils vu la voiture s'arrêter, que, comprenant que ceux qu'ils attendaient étaient dedans, ils crièrent:
–Faites vite! la mer est mauvaise; à peine sommes-nous maîtres de la barque.
Et, en effet, San-Felice n'eut qu'à jeter un coup d'oeil sur l'embarcation pour voir qu'elle et ceux qui la montaient étaient en danger de perdition.
Le chevalier dit un mot tout bas au cocher, un mot tout bas à Michele, prit Luisa par le bras et descendit avec elle jusqu'à la plage.
Avant qu'ils fussent arrivés au bord de la mer, une vague, en se brisant sur le sable, les avait couverts d'écume.
Luisa jeta un cri.
Le chevalier la prit entre ses bras et la pressa contre son coeur.
Puis, appelant Michele d'un signe:
–Attends, dit-il à Luisa; je descends dans la barque, et, une fois descendu, Michele et moi, nous t'aiderons à descendre à ton tour.
Luisa en était à ce point de la douleur qui précède le complet anéantissement des forces et qui laisse à peine à la volonté la faculté de s'exprimer. Elle passa donc, presque sans s'en apercevoir, des bras du chevalier dans ceux de son frère de lait.
Le chevalier s'approcha résolument de la barque, et, au moment où, à l'aide d'une gaffe, deux hommes la maintenaient, sinon immobile, du moins proche du rivage, il sauta dans l'embarcation en criant:
–Au large!
–Et la petite dame? demanda le patron.
–Elle reste, dit San-Felice.
–Le fait est, répliqua le patron, que ce n'est pas là un temps à embarquer des femmes. Nagez, mes garçons! nagez d'ensemble, et vivement!
En une seconde, la barque fut à dix brasses du rivage.
Tout cela s'était passé si rapidement, que Luisa n'avait pas eu le temps de deviner la résolution de son mari, et, par conséquent, de la combattre.
En voyant la barque s'éloigner, elle jeta un cri:
–Et moi! et moi! dit-elle en essayant de s'arracher des bras de Michele pour suivre son mari, et moi! vous m'abandonnez donc?
–Que dirait ton père, à qui j'ai promis de veiller sur toi, en me voyant t'exposer à un pareil danger? répondit San-Felice en haussant la voix.
–Mais je ne puis rester à Naples! cria Luisa en se tordant les bras; je veux partir, je veux vous suivre! A moi, Luciano! si je reste, je suis perdue!
Le chevalier était déjà loin; une rafale de vent apporta ces mots:
–Michele, je te la confie!
–Non, non, cria Luisa désespérée; à personne qu'à toi, Luciano! Tu ne sais donc pas! je l'aime!
Et, en jetant au chevalier ces derniers mots, dans lesquels Luisa avait mis tout ce qui lui restait de force, son âme sembla l'abandonner.
Elle s'évanouit.
–Luisa! Luisa! fit Michele en essayant vainement de rappeler sa soeur de lait à la vie.
–Anankè! murmura une voix derrière Michele.
Le lazzarone se retourna.
Une femme était debout derrière eux, et, à la lueur d'un éclair, il reconnut l'Albanaise Nanno, qui, voyant le chevalier parti pour la Sicile et Luisa rester à Naples, prononçait en grec le mot mystérieux et terrible que nous avons donné pour titre à ce chapitre: FATALITÉ.
Au même moment, la barque qui emportait le chevalier disparaissait derrière la sombre et massive construction du château de l'Oeuf.
LXXVIII
JUSTICE DE DIEU
Le 22 décembre au matin, c'est-à-dire le lendemain du jour et de la nuit où s'étaient accomplis les événements que nous venons de raconter, des groupes nombreux stationnaient dès le point du jour devant des affiches aux armes royales apposées pendant la nuit sur les murailles de Naples.
Ces affiches renfermaient un édit déclarant que le prince de Pignatelli était nommé vicaire du royaume, et Mack lieutenant général.
Le roi promettait de revenir de la Sicile avec de puissants secours.
La vérité terrible était donc enfin révélée aux Napolitains. Toujours lâche, le roi abandonnait son peuple, comme il avait abandonné son armée. Seulement, cette fois, en fuyant, il dépouillait la capitale de tous les chefs-d'oeuvre recueillis depuis un siècle, et de tout l'argent qu'il avait trouvé dans les caisses.
Alors, ce peuple désespéré courut au port. Les vaisseaux de la flotte anglaise, retenus par le vent contraire, ne pouvaient sortir de la rade. A la bannière flottant à son mât, on reconnaissait celui qui portait le roi: c'était, comme nous l'avons dit, le Van-Guard.
En effet, vers les quatre heures du matin, ainsi que l'avait prévu le comte de Thurn, le vent étant un peu tombé, la mer avait calmi; et, après avoir passé la nuit dans la maison de l'inspecteur du port, sans pouvoir se réchauffer, les fugitifs s'étaient remis en mer et à grand'peine avaient abordé le vaisseau de l'amiral.
Les jeunes princesses avaient eu faim et avaient soupé avec des anchois salés, du pain dur et de l'eau. La princesse Antonia, la plus jeune des filles de la reine, raconte ce fait et décrit ses angoisses et celles de ses augustes parents pendant cette terrible nuit.
Quoique la mer fût encore horriblement houleuse et le port mal garanti, l'archevêque de Naples, les barons, les magistrats et les élus du peuple montèrent dans des barques, et, à force d'argent, ayant décidé les plus braves patrons à les conduire, allèrent supplier le roi de revenir à Naples, promettant de sacrifier à la défense de la ville jusqu'à la dernière goutte de leur sang.
Mais le roi ne consentit à recevoir que le seul archevêque, monseigneur Capece Zurlo, lequel, malgré ses prières, ne put en tirer que ces paroles:
–Je me fie à la mer, parce que la terre m'a trahi.
Au milieu de ces barques, il y en avait une qui conduisait un homme seul. Cet homme, vêtu de noir, tenait son front abaissé dans ses mains, et, de temps en temps, relevait sa tête pâle pour regarder d'un oeil hagard si l'on approchait du vaisseau qui servait d'asile au roi.
Le vaisseau, comme nous l'avons dit, était entouré de barques; mais, devant cette barque isolée et cet homme seul, les barques s'écartèrent.
Il était facile de voir que c'était par répugnance et non par respect.
La barque et l'homme arrivèrent au pied de l'échelle; mais là se tenait un soldat de marine anglais, dont la consigne était de ne laisser monter personne à bord.
L'homme insista pour qu'on lui accordât, à lui, la faveur refusée à tous. Son insistance amena un officier de marine.
–Monsieur, cria celui à qui l'on refusait l'entrée du vaisseau, ayez la bonté de dire à ma reine que c'est le marquis Vanni qui sollicite l'honneur d'être reçu par elle pendant quelques instants.
Un murmure s'éleva de toutes les barques.
Si le roi et la reine, qui refusaient de recevoir les magistrats, les barons et les élus du peuple, recevaient Vanni, c'était une insulte faite à tous.
L'officier avait transmis la demande à Nelson. Nelson, qui connaissait le procureur fiscal, de nom,