La San-Felice, Tome 09. Dumas Alexandre

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La San-Felice, Tome 09 - Dumas Alexandre


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deux forts rendus sur trois, c'est vrai; mais le troisième, et par sa position et par les hommes qui la défendent, est à peu près imprenable, ou bien nécessitera un long siége. Où sont vos ingénieurs, où sont vos pièces de gros calibre, où est votre armée pour faire le siége d'une citadelle comme celle que commande le colonel Mejean? Vous échouerez en arrivant au but, et, en échouant, Votre Éminence perdra tout le mérite d'une campagne magnifique, tandis que, pour quelques misérables centaines de mille livres que vous pouvez, en supposant que vous ne les ayez pas, lever en deux heures sur Naples vous couronnez l'édifice de la restauration et vous pouvez dire au roi: «Sire, le général Mack, avec une armée de soixante mille soldats, avec cent canons, avec un trésor de vingt millions, a perdu les États romains, Naples, la Calabre, le royaume enfin; moi, avec quelques paysans, j'ai reconquis tout ce que le général Mack avait perdu. Il m'en a coûté, il est vrai, cinq cent mille francs ou un million pour prendre le fort Saint-Elme; mais qu'est-ce qu'un million comparé au dégât qu'il pouvait faire? Car, enfin, sire, vous le savez mieux que personne, pourrez-vous ajouter, le fort Saint-Elme a été bâti, non point pour défendre Naples, mais pour la menacer, et la preuve, c'est qu'il existe une loi, rendue par votre auguste père, qui défend d'élever des maisons au-dessus d'une certaine hauteur, attendu qu'à une certaine hauteur, elles pourraient gêner le jeu des boulets et des obus. Or, Naples bombardée, ce n'était point une perte de cinq cent mille francs ou d'un million, c'était une perte incalculable.» Et, devant cette explication de votre conduite, le roi, croyez-moi, est un homme d'un trop grand sens pour ne point vous donner raison.

      –Alors, en cas de siége, reprit le cardinal, le colonel Mejean compte bombarder Naples?

      –Mais sans doute.

      –Ce sera une infamie gratuite.

      –Pardon, Votre Éminence, ce sera un cas de légitime défense: on nous attaque, nous ripostons.

      –Oui, mais ripostez du côté où l'on vous attaque, et, comme on vous attaquera du côté opposé à la ville, vous ne pourrez pas riposter du côté de la ville.

      –Bon! qui sait où vont les boulets et les bombes?

      –Ils vont du côté où on les pointe, monsieur: la chose est parfaitement sue, au contraire.

      –Eh bien, on les pointera du côté de la ville, en ce cas.

      –Pardon, monsieur; mais, si vous portiez l'habit militaire, au lieu de porter l'habit bourgeois, vous sauriez qu'une des premières lois de la guerre défend aux assiégés de tirer sur les maisons situées en un point d'où ne vient point l'attaque. Or, les batteries que l'on dirigera contre le château Saint-Elme étant établies du côté opposé à la ville, le feu du château Saint-Elme, sous peine de manquer à toutes les conventions qui régissent les peuples civilisés, ne pourra lancer un seul boulet, un seul obus, ou une seule bombe du côté opposé aux batteries qui l'attaqueront. Ne vous obstinez donc pas dans une erreur que ne commettrait certainement point le colonel Mejean, si j'avais l'honneur de discuter avec lui, au lieu de discuter avec vous.

      –Et si, cependant, il la commettait, cette erreur, et qu'au lieu de la reconnaître, il y persistât, que dirait Votre Éminence?

      –Je dirais, monsieur, que, s'écartant des lois reconnues par tous les peuples civilisés, lois que la France, qui se prétend à la tête de la civilisation, doit connaître mieux qu'aucun autre pays, il doit s'attendre à être traité lui-même en barbare. Et, comme il n'y a pas de forteresse imprenable, et que, par conséquent, le fort Saint-Elme serait pris un jour ou l'autre, ce jour-là, lui et la garnison seraient pendus aux créneaux de la citadelle.

      –Diable! comme vous y allez, monseigneur! dit le faux secrétaire avec une feinte gaieté.

      –Et ce n'est pas le tout! dit le cardinal en se levant à la force de ses poignets appuyés sur la table et en regardant fixement l'ambassadeur.

      –Comment, ce n'est pas le tout? Il lui arriverait donc encore quelque chose après avoir été pendu?

      –Non, mais avant de l'être, monsieur.

      –Et que lui arriverait-il, monseigneur?

      –Il lui arriverait que le cardinal Ruffo, regardant comme indigne de son caractère et de son rang de discuter plus longtemps les intérêts des rois et la vie des hommes avec un coquin de son espèce, l'inviterait à sortir de sa maison, et, s'il n'obéissait pas à l'instant même, le ferait jeter par la fenêtre.

      Le plénipotentiaire tressaillit.

      –Mais, continua Ruffo en adoucissant sa voix jusqu'à la courtoisie et son visage jusqu'au sourire, comme vous n'êtes point le commandant du château Saint-Elme, que vous êtes seulement son envoyé, je me contenterai de vous prier, monsieur, de lui reporter mot pour mot la conversation que nous venons d'avoir ensemble, en l'assurant bien positivement qu'il est tout à fait inutile qu'il tente à l'avenir aucune nouvelle négociation avec moi.

      Sur quoi, le cardinal s'inclina, et, d'un geste moitié poli, moitié impératif, indiqua la porte au colonel, qui sortit, plus furieux encore de voir sa spéculation manquée qu'humilié de l'injure qui lui était faite.

      LXXXV

      OU IL EST PROUVÉ QUE FRÈRE JOSEPH VEILLAIT

      SUR SALVATO

      C'était pendant la matinée du 27 que Salvato et Luisa avaient quitté le Château-Neuf pour le fort Saint-Elme: le même jour, les châteaux devaient être rendus aux Anglais, et les patriotes embarqués.

      Du haut des remparts, Salvato et Luisa avaient pu voir les Anglais prendre possession des forts et les patriotes descendre dans les tartanes.

      Quoique tout parût s'accomplir loyalement et selon les conditions du traité, Salvato conserva les doutes qu'il avait conçus sur sa complète exécution.

      Il est vrai que, pendant tout le jour et pendant toute la soirée du 27, le vent avait soufflé de l'ouest, et s'était opposé à ce que les tartanes missent à la voile.

      Mais, pendant la nuit du 27 au 28, le vent avait sauté au nord-nord-ouest, et, par conséquent, était devenu tout à fait favorable au départ; cependant, les tartanes ne bougeaient pas.

      Salvato, ayant Luisa appuyée à son bras, les regardait inquiet du haut des remparts, lorsqu'il fut joint par le colonel Mejean, lequel lui annonça que, contre son attente, le lieutenant-colonel étant de retour au fort vingt-quatre heures plus tôt qu'il ne le pensait, rien ne s'opposait à ce qu'il l'accompagnât dans la course qu'il comptait faire la prochaine nuit.

      La chose fut donc arrêtée.

      La journée se passa en conjectures. Le vent continuait d'être favorable, et Salvato ne voyait faire aucun préparatif de départ. Sa conviction était qu'il se préparait quelque catastrophe.

      Du point élevé où il se trouvait, il planait sur tout le golfe, et pouvait voir, à l'aide d'une longue-vue, tout ce qui se passait dans les tartanes et même sur les vaisseaux de guerre.

      Vers cinq heures, une barque, montée par un officier et quelques marins, se détacha des flancs du Foudroyant et s'avança vers l'une des tartanes.

      Il se fit alors un grand mouvement à bord de la tartane que la barque venait d'accoster; douze personnes furent tirées de la tartane et descendirent dans la barque; puis la barque volta et rama de nouveau vers le Foudroyant, sur le pont duquel montèrent les douze patriotes, qui bientôt, pour ne plus reparaître, s'enfoncèrent dans les flancs du vaisseau.

      Ce fait, dont Salvato cherchait en vain l'explication, lui donna beaucoup à penser.

      La nuit vint. Cette excursion que devait faire Mejean inquiétait Luisa. Salvato lui en expliqua la cause en lui faisant part du marché qu'il avait conclu avec Mejean et moyennant lequel il avait acheté leur commun salut.

      Luisa serra la main de Salvato.

      –N'oublie pas, au besoin, lui dit-elle, que j'ai toute une fortune chez les pauvres Backer.

      –Mais à cette fortune, qui n'est point entièrement à toi, répondit en souriant Salvato, n'était-il pas convenu que


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