Le corricolo. Dumas Alexandre

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Le corricolo - Dumas Alexandre


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que le défendeur, s'étant fait enterrer quelques jours auparavant aux frais de la confrérie des pèlerins, venait d'être assigné afin de prouver légalement qu'il était mort. Comme on le voit, le procès était assez original pour attirer une certaine affluence. Nous demandâmes à Francesco ce que c'était que don Philippe Villani. En ce moment, il nous montra un individu qui passait tout courant.

      – Le voici, nous dit-il.

      – Celui qu'on a enterré il y a huit jours?

      – Lui-même.

      – Mais comment cela se fait-il?

      – Il sera ressuscité.

      – Il est donc sorcier?

      – C'est le neveu de Cagliostro.

      En effet, grâce à la filiation authentique qui le rattache à son illustre aïeul, et à une série de tours de magie plus ou moins drôles, don Philippe était parvenu à accréditer à Naples le bruit qu'il était sorcier.

      On lui faisait tort: don Philippe Villani était mieux qu'un sorcier, C'était un type: don Philippe Villani était le Robert Macaire napolitain. Seulement l'industriel napolitain a une grande supériorité sur l'industriel français; notre Robert Macaire à nous est un personnage d'invention, une fiction sociale, un mythe philosophique, tandis que le Robert Macaire ultramontain est un personnage de chair et d'os, une individualité palpable, une excentricité visible.

      Don Philippe est un homme de trente-cinq à quarante ans, aux cheveux noirs, aux yeux ardens, à la figure mobile, à la voix stridente, aux gestes rapides et multipliés; don Philippe a tout appris et sait un peu de tout; il sait un peu de droit, un peu de médecine, un peu de chimie, un peu de mathématiques, un peu d'astronomie; ce qui fait qu'en se comparant à tout ce qui l'entourait, il s'est trouvé fort supérieur à la société et a résolu de vivre par conséquent aux dépens de la société.

      Don Philippe avait vingt ans lorsque son père mourut: il lui laissait tout juste assez d'argent pour faire quelques dettes. Don Philippe eut le soin d'emprunter avant d'être ruiné toute fait, de sorte que ses premières lettres de change furent scrupuleusement payées: il s'agissait d'établir son crédit. Mais toute chose a sa fin dans ce monde; un jour vint où don Philippe ne se trouva pas chez lui au moment de l'échéance: on y revint le lendemain matin, il était déjà sorti; on y revint le soir, il n'était pas encore rentré. La lettre de change fut protestée. Il en résulta que don Philippe fut obligé de passer des mains des banquiers aux mains des escompteurs, et qu'au lieu de payer six du cent, il paya douze.

      Au bout de quatre ans, don Philippe avait usé les escompteurs comme il avait usé les banquiers; il fut donc obligé de passer des mains des escompteurs aux mains des usuriers. Ce nouveau mouvement s'accomplit sans secousse sensible, si ce n'est qu'au lieu de payer douze pour cent, don Philippe fut obligé de payer cinquante. Mais cela importait peu à don Philippe, qui commençait à ne plus payer du tout. Il en résulta qu'au bout de deux ans encore don Philippe, qui éprouvait le besoin d'une somme de mille écus, eut grand'peine à trouver un juif qui consentit à la lui prêter à cent cinquante pour cent. Enfin, après une foule de négociations dans lesquelles don Philippe eut à mettre au jour toutes les ressources inventives que le ciel lui avait données, le descendant d'Isaac se présenta chez don Philippe avec sa lettre de change toute préparée; elle portait obligation d'une somme de neuf mille francs: le juif en apportait trois mille; il n'y avait rien à dire, c'était la chose convenue.

      Don Philippe prit la lettre de change, jeta un coup d'oeil rapide dessus, étendit négligemment la main vers sa plume, fit semblant de la tremper dans l'encrier, apposa son acceptation et sa signature au bas de l'obligation, passa sur l'encre humide une couche de sable bleu, et remit au juif la lettre de change toute ouverte.

      Le juif jeta les yeux sur le papier; l'acceptation et la signature étaient d'une grosse écriture fort lisible; le juif inclina donc la tête d'un air satisfait, plia la lettre de change et l'introduisit dans un vieux portefeuille où elle devait rester jusqu'à l'échéance, la signature de don Philippe ayant depuis long-temps cessé d'avoir cours sur la place.

      A l'échéance du billet, le juif se présente chez don Philippe. Contre son habitude, don Philippe était à la maison. Contre l'attente du juif, il était visible. Le juif fut introduit.

      – Monsieur, dit le juif en saluant profondément son débiteur, vous n'avez point oublié, j'espère, que c'est aujourd'hui l'échéance de notre petite lettre de change.

      – Non, mon cher monsieur Félix, répondit don Philippe. Le juif s'appelai Félix.

      – En ce cas, dit le juif, j'espère que vous avez eu la précaution de vous mettre en règle?

      – Je n'y ai pas pensé un seul instant.

      – Mais alors vous savez que je vais vous poursuivre?

      – Poursuivez.

      – Vous n'ignorez pas que la lettre de change entraîne la prise de corps?

      – Je le sais.

      – Et, afin que vous ne prétextiez cause d'ignorance, je vous préviens que, de ce pas, je vais vous faire assigner.

      – Faites.

      Le juif s'en alla en grommelant, et fit assigner don Philippe à huitaine.

      Don Philippe se présenta au tribunal.

      Le juif exposa sa demande.

      – Reconnaissez-vous la dette? demanda le juge.

      – Non seulement je ne la reconnais pas, répondit don Philippe, mais je ne sais pas même ce que monsieur veut dire.

      – Faites passer votre titre au tribunal, dit le juge au demandeur.

      Le juif tira de son portefeuille la lettre de change souscrite par don Philippe et la passa toute pliée au juge.

      Le juge la déplia; puis, jetant un coup d'oeil dessus:

      – Oui, dit-il, voilà bien une lettre de change, mais je n'y vois ni acceptation ni signature.

      – Comment! s'écria le juif en pâlissant.

      – Lisez vous-même, dit le juge.

      Et il rendit la lettre de change au demandeur.

      Le juif faillit tomber à la renverse. L'acceptation et la signature avaient effectivement disparu comme par magie.

      – Infâme brigand! s'écria le juif en se retournant vers don Philippe.

      Tu me paieras celle-là.

      – Pardon, mon cher monsieur Félix, vous vous trompez, c'est vous qui me la paierez au contraire. Puis se tournant vers le juge:

      – Excellence, lui dit-il, nous vous demandons acte que nous venons d'être insulté en face du tribunal, sans motif aucun.

      – Nous vous l'accordons, dit le juge.

      Muni de son acte, don Philippe attaqua le juif en diffamation, et comme l'insulte avait été publique, le jugement ne se fit pas attendre.

      Le juif fut condamné à trois mois de prison et à mille écus d'amende.

      Maintenant expliquons le miracle.

      Au lieu de tremper sa plume dans l'encre, don Philippe l'avait purement et simplement trempée dans sa bouche et avait écrit avec sa salive. Puis, sur l'écriture humide, il avait passé du sable bleu. Le sable avait tracé les lettres; mais, la salive séchée, le sable était parti et avec lui l'acceptation et la signature.

      Don Philippe gagna six mille francs à ce petit tour de passe-passe, mais il y perdit le reste de son crédit; il est vrai que le reste de son crédit ne lui eût probablement pas rapporté six mille francs.

      Mais si bien qu'on ménage mille écus, ils ne peuvent pas éternellement durer; d'ailleurs, don Philippe avait une assez grande foi dans son génie pour ne point pousser l'économie jusqu'à l'avarice. Il essaya de négocier un nouvel emprunt, mais l'affaire du pauvre Félix avait fait grand bruit, et, quoique personne ne plaignit le juif, chacun éprouvait une répugnance


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