Le corricolo. Dumas Alexandre
Читать онлайн книгу.deux termes à son propriétaire, lequel lui fit signifier que s'il ne payait pas ces deux termes dans les vingt-quatre heures, il allait, par avance et en se pourvoyant devant le juge, se mettre en situation de le renvoyer à la fin du troisième.
Le troisième arriva, et, comme don Philippe ne paya point, on saisit et l'on vendit les meubles, à l'exception de son lit et de celui d'une vieille domestique de la famille qui n'avait pas voulu le quitter et qui partageait toutes les vicissitudes de sa fortune. La veille du jour où il devait quitter la maison, il se mit en quête d'un autre logement. Ce n'était pas chose facile à trouver: don Philippe commençait à être fort connu sur le pavé de Naples. Désespérant donc de trouver un propriétaire avec qui traiter à l'amiable, il résolut de faire son affaire par force ou par surprise.
Il connaissait une maison que son propriétaire, vieil avare, laissait tomber en ruines plutôt que de la faire réparer. Dans tout autre temps, cette maison lui eût paru fort indigne de lui; mais don Philippe était devenu facile dans la fortune adverse. Il s'assura pendant la journée que la maison n'était point habitée, et, lorsque la nuit fut venue, il déménagea avec sa vieille servante, chacun portant son lit, et s'achemina vers son nouveau domicile. La porte était close, mais une fenêtre était ouverte; il passa par la fenêtre, alla ouvrir la porte à sa compagne, choisit la meilleure chambre, l'invita à choisir après lui, et une heure après tous deux étaient installés.
Quelques jours après, le vieil avare, en visitant sa maison, la trouva habitée. C'était une bonne fortune pour lui: depuis deux ou trois années elle était dans un tel état de délabrement qu'il ne pouvait plus la louer à personne; il se retira donc sans mot dire; seulement, il fit constater l'occupation par deux voisins.
Le jour du terme, don Bernardo se présenta, cette attestation à la main, et après force révérences: – Monsieur, lui dit-il, je viens réclamer l'argent que vous avez bien voulu me devoir, en me faisant l'agréable surprise de venir loger chez moi sans m'en prévenir.
– Mon cher, mon estimable ami, lui répondit don Philippe en lui serrant la main avec effusion, informez-vous partout où j'ai demeuré si j'ai jamais payé mon loyer; et si vous trouvez dans tout Naples un propriétaire qui vous réponde affirmativement, je consens à vous donner le double de ce que vous prétendez que je vous dois, aussi vrai que je m'appelle don Philippe Villani.
Don Philippe se vantait, mais il y a des momens où il faut savoir mentir pour intimider l'ennemi.
A ce nom redouté, le propriétaire pâlit. Jusque-là il avait ignoré quel illustre personnage il avait eu l'honneur de loger chez lui. Les bruits de magie qui s'étaient répandus sur le compte de don Philippe se présentaient à son esprit, et il se crut non seulement ruiné pour avoir hébergé un locataire insolvable, mais encore damné pour avoir frayé avec un sorcier.
Don Bernardo se retira pour réfléchir à la résolution qu'il devait prendre. S'il eût été le diable boiteux, il eût enlevé le toit; il n'était qu'un pauvre diable, il se décida à le laisser tomber, ce qui ne pouvait, au reste, entraîner de longs retards, vu l'état de dégradation de la maison. C'était justement dans la saison pluvieuse, et quand il pleut à Naples on sait avec quelle libéralité le Seigneur donne l'eau; le propriétaire se présenta de nouveau au seuil de la maison.
Comme nos premiers pères poursuivis par la vengeance de Dieu, à laquelle ils cherchaient à échapper, don Philippe s'était retiré de chambre en chambre devant le déluge. Le propriétaire crut donc, au premier abord, qu'il avait pris le parti de décamper, mais son illusion fut courte. Bientôt, guidé par la voix de son locataire, il pénétra dans un petit cabinet un peu plus imperméable que le reste de la maison, et le trouva sur son lit tenant d'une main son parapluie ouvert, de l'autre main un livre, et déclamant à tue-tête les vers d'Horace: Impavidum ferient ruinæ!
Le propriétaire s'arrêta un instant immobile et muet devant l'enthousiaste résignation de son hôte, puis enfin, retrouvant la parole:
– Vous ne voulez donc pas vous en aller? demanda-t-il faiblement et d'une voix consternée:
– Écoutez-moi, mon brave ami, écoutez-moi, mon digne propriétaire, dit don Philippe en fermant son livre. Pour me chasser d'ici, il faut me faire un procès; c'est évident: nous n'avons pas de bail, et j'ai la possession. Or, je me laisserai juger par défaut: un mois, je formerai opposition au jugement: autre mois; vous me réassignerez: troisième mois; j'interjetterai appel: quatrième mois; vous obtiendrez un second jugement: cinquième mois; je me pourvoirai en cassation: sixième mois. Vous voyez qu'en allongeant tant soit peu la chose, car je cote au plus bas, c'est une année de perdue, plus les frais.
– Comment les frais! s'écria le propriétaire; c'est vous qui serez condamné aux frais.
– Sans doute, c'est moi qui serai condamné aux frais, mais c'est vous qui les paierez, attendu que je n'ai pas le sou, et que, comme vous serez le demandeur, vous aurez été forcé de faire les avances.
– Hélas! ce n'est que trop vrai! murmura le pauvre propriétaire en poussant un profond soupir.
– C'est une affaire de six cents ducats, continua don Philippe.
– A peu près, répondit le propriétaire, qui avait rapidement calculé les honoraires des juges, des avocats et des greffiers.
– Eh bien! faisons mieux que cela, mon digne hôte, transigeons.
– Je ne demande pas mieux, voyons.
– Donnez-moi la moitié de la somme, et je sors à l'instant de ma propre volonté, et je me retire à l'amiable.
– Comment! que je vous donne trois cents ducats pour sortir de chez moi, quand c'est vous qui me devez deux termes!
– La remise de l'argent portera quittance.
– Mais c'est impossible!
– Très bien. Ce que j'en faisais, c'était pour vous obliger.
– Pour m'obliger, malheureux!
– Pas de gros mots, mon hôte; cela n'a pas réussi, vous le savez, au papa Félix.
– Eh bien! dit l'avare faisant un effort sur lui-même, eh bien! je donnerai moitié.
– Trois cents ducats, dit don Philippe, pas un grain de plus, pas un grain de moins.
– Jamais! s'écria le propriétaire.
– Prenez garde que, lorsque vous reviendrez, je ne veuille plus pour ce prix-là.
– Eh bien! je risquerai le procès, dût-il me coûter six cents ducats!
– Risquez, mon brave homme, risquez.
– Adieu; demain vous recevrez du papier marqué.
– Je l'attends.
– Allez au diable!
– Au plaisir de vous revoir.
Et tandis que don Bernardo se retirait furieux, don Philippe reprit son ode au Justum et tenacem.
VII
Suite
Le lendemain se passa, le surlendemain se passa, la semaine se passa, et don Philippe, comme il s'y attendait, ne vit apparaître aucune sommation; loin de là, au bout de quinze jours, ce fut le propriétaire qui revint, aussi doux et aussi mielleux au retour qu'il s'était montré menaçant et terrible au départ.
– Mon cher hôte, lui dit-il, vous êtes un homme si persuasif qu'il faut en passer par où vous voulez: voici les trois cents ducats que vous avez exigés; j'espère que vous allez tenir votre promesse. Vous m'avez promis, si je vous apportais trois cents ducats, de vous en aller à l'instant, de votre propre volonté et à l'amiable.
– Si vous me les donniez le jour même; mais je vous ai dit que si vous attendiez ce serait le double. Or, vous avez attendu. Payez-moi six cents ducats, mon cher, et je me retire.
– Mais c'est une ruine!
– C'est la vingtième partie de la somme qu'on vous a offerte