Le Speronare. Dumas Alexandre

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Le Speronare - Dumas Alexandre


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me répondit Gaëtano; vous ne pensez pas, j'espère, que je crois à toutes ces bêtises.

      – Vous n'y croyez pas! vous n'y croyez pas, dites-vous? tant pis; moi j'y crois, monsieur. Nunzio, tu iras commander la messe chez fra Girolamo, entends-tu, pas chez un autre.

      – Soyez tranquille, capitaine.

      Pietro et Nunzio sortirent pour s'acquitter chacun de la mission dont il était chargé. Je restai seul avec Gaëtano Sferra et le vieux Matteo.

      – Maintenant, monsieur, dis-je en m'approchant de Gaëtano, si au moment où nous sommes arrivés, vous n'avez rien à faire avec Dieu, vous avez sans doute quelque chose à faire avec le monde. Vous avez un père, une mère, une maîtresse, quelqu'un enfin qui s'intéresse à vous et que vous aimez. Matteo, du papier et de l'encre. Faites comme moi, monsieur, écrivez à cette personne, et si je vous tue, foi d'Arena! la lettre sera fidèlement remise.

      – Ceci, c'est autre chose, et vous avez raison, dit Gaëtano en prenant le papier et l'encre des mains du vieux Matteo, et en se mettant à écrire.

      Je m'assis à la table qui était en face de la sienne, et je me mis à écrire de mon côté. Il va sans dire que la lettre que j'écrivais était pour ma pauvre femme.

      Comme nous finissions, Nunzio et Pietro rentrèrent.

      – La messe est commandée, dit Nunzio.

      – A fra Girolamo?

      – A lui-même.

      – Voici les deux couteaux, dit Pietro, c'est une piastre les deux.

      – Chut! dis-je.

      – Non, non, dit Gaëtano; il est juste que je paie le mien et vous le vôtre. D'ailleurs, nous avons un compte à régler, capitaine. Je vous redois deux cents ducats, car vous m'avez, selon nos conventions, fidèlement remis à terre.

      – Que cela ne vous inquiète pas, rien ne presse.

      – Cela presse fort, au contraire, capitaine. Voici les deux cents ducats. Quant à vous, mon ami, continua-t-il en s'adressant à Pietro, voici deux onces pour l'achat du couteau.

      – Je vous demande pardon, monsieur, dit Pietro; le couteau coûte cinq carlins, et non pas deux onces. Je ne reçois pas de bonne main pour une pareille chose.

      – Je crois bien! dit Pietro interrompant encore; un couteau qui pouvait tuer le capitaine!

      – Maintenant, reprit Gaëtano Sferra, quand vous voudrez; je vous attends.

      – Vous êtes servis, dit le vieux Matteo en rentrant de sa cuisine.

      – Montons donc, dis-je à Gaëtano.

      Nous montâmes. Je suivais Gaëtano par derrière; il marchait d'un pas ferme: je demeurai convaincu que cet homme était brave. C'était à n'y plus rien comprendre.

      Comme l'avait dit Matteo, nous étions servis. Un bout de la table, couvert d'une nappe et de tout l'accompagnement nécessaire, supportait le dîner. L'autre bout était resté vide, et un tonneau défoncé par un bout était disposé de chaque côté pour nous recevoir quand il nous plairait de commencer.

      Pietro déposa un couteau de chaque côté de la table.

      – Si vous connaissez ici quelqu'un, et que vous désiriez l'avoir pour témoin, dis-je à Gaëtano, vous pouvez l'envoyer chercher, nous attendrons.

      – Je ne connais personne, capitaine. D'ailleurs ces deux braves gens sont là, continua Gaëtano en montrant Pietro et le pilote; ils serviront en même temps pour vous et pour moi.

      Ce sang-froid m'étonna. Depuis que j'avais vu cet homme de près, j'avais perdu une partie de mon désir de me venger. Je résolus donc de faire une espèce de tentative de conciliation.

      – Écoutez, lui dis-je au moment où il venait de passer de l'autre côté de la table, il est évident qu'il y a dans tout ceci quelque mystère que je ne connais pas et que je ne puis deviner. Vous n'êtes point un assassin. Pourquoi m'avez-vous frappé? Dans quel but moi plutôt qu'un autre? Soyez franc, dites-moi tout; et si je reconnais que vous avez été poussé par une nécessité quelconque, par une de ces fatalités plus fortes que l'homme, et à laquelle il faut que l'homme obéisse, eh bien! tout sera dit et nous en resterons là.

      Gaëtano réfléchit un instant; puis, d'un air sombre:

      – Je ne puis rien vous dire, reprit-il, le secret n'est pas à moi seul; puis voyez-vous, ce n'est point le hasard qui nous a conduits face à face. Ce qui est écrit est écrit, et il faut que les choses s'accomplissent: battons-nous!

      – Réfléchissez, repris-je, il en est encore temps. Si c'est la présence de ces hommes qui vous gêne, il s'en iront, et je resterai seul avec vous, et ce que vous m'aurez dit, je vous le jure! ce sera comme si vous l'aviez dit à un confesseur.

      – J'ai été près de mourir, j'ai fait venir un prêtre, je me suis confessé à lui, croyant que cette confession serait la dernière; au risque de paraître devant Dieu chargé d'un péché mortel, je ne lui ai pas révélé le secret que vous voulez savoir.

      – Cependant… monsieur, repris-je, insistant d'autant plus qu'il se défendait davantage.

      – Ah! interrompit-il insolemment, est-ce que c'est vous qui, après m'avoir fait venir ici, ne voudriez plus vous battre? Est-ce que vous auriez peur, par hasard?

      – Peur! m'écriai-je; et d'un bond je fus dans le tonneau et le couteau à la main.

      – N'est-ce pas, Pietro, continua le capitaine en s'interrompant, n'est-ce pas que je fis tout cela pour l'amener à me dire la cause de sa conduite envers moi?

      – Oui, vous l'avez fait, répondit Pietro, et j'en étais même bien étonné, car vous le savez bien, capitaine, ce n'est pas votre habitude, et quand nous avions de ces choses-là avec les Calabrais, ça allait comme sur des roulettes.

      – Enfin, reprit le capitaine, il ne voulut rien entendre. Il entra à son tour dans son tonneau. Seulement, quand on voulut lui lier le bras gauche derrière le dos comme on venait de me le faire à moi, il prétendit que cela le gênait, et demanda qu'on lui laissât le bras libre. On le lui délia aussitôt.

      Alors nous commençâmes à nous escrimer; comme malgré lui et naturellement il parait les coups que je lui portais avec le bras gauche, cela retarda un peu la fin du combat. Il me déchira même un tant soit peu l'épaule avant que je l'eusse touché, car je regardais comme au-dessous de moi de le frapper dans les membres. Mais, ma foi! quand je vis mon sang couler, et Pietro qui se mangeait les poings jusqu'aux coudes, je lui allongeai une si rude botte, que, du coup de poing encore plus que du coup de couteau, il s'en alla rouler, lui et son tonneau, jusqu'auprès de la fenêtre. Quand je vis qu'il ne se relevait pas, je pensai qu'il avait son compte. En effet, en regardant la lame du couteau, je vis qu'elle était rouge jusqu'au manche. Nunzio courut à lui.

      – Eh bien! eh bien! lui dit-il, qu'est-ce qu'il y a? Est-ce que nous demanderons un prêtre ou un médecin?

      – Un prêtre, répondit Gaëtano d'une voix sourde, le médecin serait inutile.

      – Va donc pour le prêtre, dit Nunzio. Eh! vieux, continua-t-il en appelant.

      Une porte s'ouvrit et Matteo apparut.

      – Une chambre et un lit pour monsieur qui se trouve mal!

      – C'est prêt, dit Matteo.

      – Alors, aidez-moi à le porter pendant qu'ils vont casser quelques bouteilles, eux autres, pour faire croire que ça est venu comme ça petit à petit.

      – Un prêtre! un prêtre! murmura Gaëtano plus sourdement encore que la première fois; vous voyez bien que si vous tardez, je serai mort avant qu'il vienne – En effet, le sang coulait de sa poitrine comme d'une fontaine.

      – Vous, mort! ah! bien oui, dit Matteo en le prenant pardessous les épaules, tandis que Nunzio le prenait par les jambes; vous avez encore pour plus de quatre ou cinq heures à vivre, allez, je vois ça dans vos


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